Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés le 28 avril 2023 et les 3 et 11 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Défense des milieux aquatiques demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 23 février 2023 du secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, portant approbation de la délibération n° B2/2023 du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins relative au régime d'exercice de la pêche du bar (Dicentrarchus labrax) dans les divisions CIEM VIII a, b et d (golfe de Gascogne) pour la campagne de pêche 2023 ;
2°) d'enjoindre à l'Etat d'adopter, sur le fondement de l'article L911-1 du code de justice administrative dans un délai de trois mois, des mesures complémentaires de nature à réduire l'incidence des activités de pêche du bar dans le golfe de Gascogne sur la mortalité des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces, en prévoyant des mesures de fermeture spatiales et temporelles de la pêche appropriées.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Jau, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. L'association Défense des milieux aquatiques demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 23 février 2023 du secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer, portant approbation de la délibération n° B2/2023 du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins relative au régime d'exercice de la pêche du bar (Dicentrarchus labrax) dans les divisions CIEM VIII a, b et d (golfe de Gascogne) pour la campagne de pêche 2023.
Sur l'intervention du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins :
2. Le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins justifie, eu égard à la nature et à l'objet du litige, d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêté attaqué. Par suite, son intervention en défense est recevable.
Sur le litige :
3. L'article L. 911-2 du code rural et de la pêche maritime dispose que " la politique des pêches maritimes, de l'aquaculture marine et des activités halio-alimentaires a pour objectifs, en conformité avec les principes et les règles de la politique commune des pêches et dans le respect des engagements internationaux : / 1° De permettre d'exploiter durablement et de valoriser le patrimoine collectif que constituent les ressources halieutiques auxquelles la France accède, (...) dans le cadre d'une approche écosystémique afin de réduire au minimum les incidences négatives sur l'environnement (...) ". Dans le respect de ces objectifs, l'article L. 921-1 du même code prévoit que " l'exercice de la pêche maritime (...) [peut] être soumis à la délivrance d'autorisations. / Ces autorisations ont pour objet de permettre à une personne physique ou morale pour un navire déterminé, d'exercer ces activités pendant des périodes, dans des zones, pour des espèces ou groupe d'espèces et, le cas échéant, avec des engins et pour des volumes déterminés. Elles couvrent une période maximale de douze mois. Elles ne sont pas cessibles. " Aux termes de l'article L. 921-2 du même code, pour les espèces qui ne sont pas soumises à un total autorisé de captures ou à des quotas de captures en application de la réglementation européenne, " les autorisations de pêche sont délivrées par l'autorité administrative ou, sous son contrôle, par le comité national ou par les comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins (...) ". L'article L. 921-2-1 de ce code prévoit également que " l'autorité administrative peut, après avis du comité national ou des comités régionaux mentionnés à l'article L. 912-1, prendre des mesures d'ordre et de précaution destinées à organiser la compatibilité entre les métiers dans les eaux sous souveraineté ou juridiction française et décider de mesures techniques particulières pour organiser une exploitation rationnelle de la ressource de pêche, notamment dans les frayères et nourriceries, ou rendre obligatoires les délibérations adoptées à la majorité des membres des conseils du comité national et des comités régionaux dans ces mêmes domaines. " Enfin, en application de cet article, l'article R. 912-14 du même code dispose que " les délibérations adoptées à la majorité des membres du conseil du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, ou du bureau par délégation de ce dernier, peuvent être rendues obligatoires par arrêté du ministre chargé des pêches maritimes et de l'aquaculture marine, notamment lorsqu'elles prévoient : / 1° Des mesures d'adéquation des capacités de pêche à la ressource disponible, par l'institution et le contingentement d'autorisations de pêche, par l'ajustement de l'effort de pêche et par la définition et la normalisation des caractéristiques des engins de pêche (...) ".
4. L'arrêté attaqué approuve la délibération n° B2/2023 du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins prévoyant, pour la campagne de pêche pour 2023, les conditions de délivrance par ce comité, ainsi que le permet l'article L. 921-2 du code rural et de la pêche maritime cité au point précédent, des autorisations annuelles pour la pêche du bar européen dans le golfe de Gascogne, dites " licences bar ". Cette délibération définit, pour organiser une exploitation rationnelle de la ressource et sa bonne répartition entre les métiers concernés, les activités soumises à licence (navires dont la production annuelle de bar dépasse 3 tonnes, à l'exception de certains engins), les deux types de licence délivrées (pêche ciblée, pêche accessoire), le nombre de licences délivrées par type de licence et par métier (arts traînants, filets, hameçon), les conditions d'éligibilité à ces licences, des plafonds annuels et périodiques de capture par navire selon la licence détenue, ou pour les navires pêchant avec des engins non soumis à licence, ainsi que des règles de gestion et des mesures techniques applicables aux métiers et engins de pêche concernés.
5. En premier lieu, et d'une part, l'arrêté attaqué a été pris sur le fondement de l'article R. 912-14 du code rural et de la pêche maritime cité au point 2 et non, contrairement à ce que soutient la requérante, sur celui de l'arrêté du 17 janvier 2019 relatif au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne (divisions CIEM VIII a, b), modifié notamment par un arrêté du 24 décembre 2020, qui définit une taille minimale de capture du bar européen dans le golfe de Gascogne et une limitation annuelle des captures pour l'ensemble des navires de pêche professionnelle battant pavillon français dans cette zone. D'autre part, l'arrêté attaqué ne peut être regardé comme étant intervenu en raison de cet arrêté de 2019, dès lors que le dispositif d'autorisations individuelles qu'il approuve est distinct du dispositif de limitation globale des captures prévu par l'arrêté de 2019, les contingents de licence et plafonds par licence qu'il approuve ne résultant pas de la limitation globale arrêtée, laquelle s'applique au demeurant à l'ensemble des captures de bar, y compris celles effectuées par les navires non soumis à licence. Par suite, la requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué devrait être annulé par voie de conséquence de l'annulation de cet arrêté de 2019 par la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux n° 429018 du 8 juillet 2020.
6. En deuxième lieu, la requérante soutient que l'arrêté attaqué méconnaît le principe de précaution garanti par l'article 5 de la Charte de l'environnement ainsi que la portée des décisions du Conseil d'Etat, statuant au contentieux n° 429018 du 8 juillet 2020 et nos 449788, 449849, 453700, 459153 du 20 mars 2023 imposant l'adoption de mesures complémentaires de protection des petits cétacés dans le golfe de Gascogne, dès lors qu'il se borne à réitérer des mesures de répartition de l'effort de pêche individuel similaires à celles mises en œuvre les années précédentes, sans les assortir de mesures tendant spécifiquement à la protection des petits cétacés, notamment des mesures de fermeture spatio-temporelles.
7. Cependant, d'une part, l'arrêté attaqué a pour seul objet d'organiser la délivrance des autorisations de pêche pour 2023 et de prévoir des mesures techniques visant à assurer la compatibilité entre les métiers concernés et n'a pas pour objet d'assurer la bonne conservation des espèces de petits cétacés protégées, laquelle peut résulter de mesures de protection prévues par d'autres actes. D'autre part, et alors que les mesures prévues par l'arrêté attaqué ne sauraient conduire à dépasser la limitation annuelle des captures pour l'ensemble des navires de pêche professionnelle prévue par le régime national de gestion, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est même pas soutenu, que ces mesures, notamment le nombre de " licences bar ", les limites de pêche individuelles ou les règles de gestion et les mesures techniques applicables aux métiers et engins auraient directement, par elles-mêmes ou en raison de leurs effets cumulés avec d'autres mesures, des effets préjudiciables à la bonne conservation des petits cétacés, ou empêcheraient l'exécution des décisions du Conseil d'Etat du 8 juillet 2020 et du 20 mars 2023. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait, faute d'assortir les mesures qu'il prévoit de mesures complémentaires visant à protéger les petits cétacés, le principe de précaution ou la portée de ces décisions ne peut qu'être écarté.
8. En dernier lieu, aux termes l'article L. 414-4 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l'objet d'une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après " Evaluation des incidences Natura 2000 " : / 1° Les documents de planification qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations, sont applicables à leur réalisation ; / 2° Les programmes ou projets d'activités, de travaux, d'aménagements, d'ouvrages ou d'installations ; / 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage. / (...) / II bis. - Les activités de pêche maritime professionnelle s'exerçant dans le périmètre d'un ou de plusieurs sites Natura 2000 font l'objet d'analyses des risques d'atteinte aux objectifs de conservation des sites Natura 2000, réalisées à l'échelle de chaque site, lors de l'élaboration ou de la révision des documents d'objectifs mentionnés à l'article L. 414-2. Lorsqu'un tel risque est identifié, l'autorité administrative prend les mesures réglementaires pour assurer que ces activités ne portent pas atteinte aux objectifs de conservation du site, dans le respect des règles de la politique commune de la pêche maritime. Ces activités sont alors dispensées d'évaluation d'incidences sur les sites Natura 2000. / (...) / IV bis. ' Tout document de planification, programme ou projet ainsi que manifestation ou intervention susceptible d'affecter de manière significative un site Natura 2000 et qui ne figure pas sur les listes mentionnées aux III et IV fait l'objet d'une évaluation des incidences Natura 2000 sur décision motivée de l'autorité administrative (...) ".
9. L'arrêté attaqué, qui se borne à prévoir les mesures nécessaires pour organiser la délivrance des autorisations de pêche pour 2023 et la compatibilité entre les métiers concernés dans l'ensemble de la zone du golfe de Gascogne, n'a pas pour objet d'encadrer spécifiquement les activités de pêche réalisées dans les sites Natura 2000 de cette zone ayant pour objectif d'assurer la conservation d'espèces de petits cétacés et, dès lors qu'il s'applique sans préjudice des règlementations spécifiques aux sites Natura 2000 de cette zone, ne saurait être regardé comme étant susceptible, par lui-même, d'affecter significativement ces sites Natura 2000. Dès lors, la requérante ne saurait utilement soutenir que, faute d'avoir été précédé d'une évaluation préalable de ses incidences au regard des objectifs de conservation de ces sites, l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 414-4 du code de l'environnement.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'association Défense des milieux aquatiques doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins est admise.
Article 2 : La requête de l'association Défense des milieux aquatiques est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Défense des milieux aquatiques, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et au Comité national des pêches maritimes et des élevages marins.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 avril 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Pierre Boussaroque, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, conseillers d'Etat ; M. Nicolas Jau, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 21 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Nicolas Jau
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin