Vu la procédure suivante :
La société Lidl a demandé à la cour administrative d'appel de Douai, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la " décision " du 18 mars 2021 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a refusé d'autoriser l'extension de 430,33 m² de la surface de vente d'un supermarché à l'enseigne " Lidl " situé à Ecouis (Eure) et, d'autre part, d'enjoindre à la CNAC de lui délivrer l'autorisation demandée dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision. Par un arrêt n° 21DA081184 du 18 octobre 2022, la cour administrative d'appel a rejeté sa requête.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés le 26 décembre 2022 et les 24 mars, 4 septembre et 12 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Lidl demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions présentées devant la cour administrative d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la société Quidis la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la Société Lidl et à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de la société Quidis ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Lidl a déposé une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la démolition du bâtiment commercial d'une surface de vente de 840 m2 qu'elle exploitait à Ecouis et de la construction sur le même site d'un nouveau magasin d'une surface de vente de 1 420,33 m2. Le projet a reçu un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial de l'Eure le 14 mars 2016. Saisie d'un recours formé par la société Juliane contre cet avis favorable, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a rejeté comme irrecevable ce recours le 6 juillet 2016. Par un arrêté du 10 août 2016, le maire d'Ecouis a délivré le permis de construire à la société Lidl pour la réalisation de ce projet. La société Lidl a réalisé les travaux au cours du second semestre 2016 et le nouveau magasin a ouvert en janvier 2017. Par un arrêt du 29 novembre 2018, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Douai a annulé l'arrêté du 10 août 2016 en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale. Dans un premier temps, la société Lidl a saisi la Commission nationale d'aménagement commercial pour réexamen de son dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale, en prévoyant notamment une nouvelle délimitation de la zone de chalandise, la délimitation de la précédente ayant été jugée erronée par la cour administrative d'appel de Douai. Le 18 avril 2019, la Commission nationale d'aménagement commercial s'est prononcée défavorablement au projet modifié. Dans un second temps, la société Lidl a saisi la commission départementale d'aménagement commercial de l'Eure d'une demande d'autorisation d'extension de la surface de vente de ce magasin de 990 m2 à 1 420,33 m2. La commission départementale d'aménagement commercial de l'Eure a fait droit à sa demande. La CNAC, saisie d'un recours formé par la société Quidis, a, le 18 mars 2021, refusé d'autoriser une telle extension de la surface de vente exploitée. La société Lidl se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 octobre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté, comme irrecevables, les conclusions de sa requête tendant à l'annulation de cette " décision ", au motif qu'elles étaient dirigées contre un acte insusceptible de recours.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de commerce : " Sont soumis à une autorisation d'exploitation commerciale les projets ayant pour objet : / (...) 2° L'extension de la surface de vente d'un magasin de commerce de détail ayant déjà atteint le seuil des 1 000 mètres carrés ou devant le dépasser par la réalisation du projet (...) ". Aux termes de l'article L. 752-15 du même code : " L'autorisation d'exploitation commerciale est délivrée préalablement à la réalisation du projet si le permis de construire n'est pas exigé (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial. (...) ". Aux termes de l'article L. 600-1-4 de ce même code : " Lorsqu'il est saisi par une personne mentionnée à l'article L. 752-17 du code de commerce d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire mentionné à l'article L. 425-4 du présent code, le juge administratif ne peut être saisi de conclusions tendant à l'annulation de ce permis qu'en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu'il vaut autorisation de construire sont irrecevables à l'appui de telles conclusions. / Lorsqu'il est saisi par une personne mentionnée à l'article L. 600-1-2 d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire mentionné à l'article L. 425-4, le juge administratif ne peut être saisi de conclusions tendant à l'annulation de ce permis qu'en tant qu'il vaut autorisation de construire. Les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale sont irrecevables à l'appui de telles conclusions ".
4. Il résulte des termes mêmes de l'article L. 600-1-4 du code de l'urbanisme cité au point 3 que les professionnels mentionnés au I de l'article L. 752-17 du code de commerce ne peuvent régulièrement saisir le juge administratif de conclusions tendant à l'annulation d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale qu'en tant que ce permis tient lieu d'une telle autorisation. Le juge administratif, dont la décision ne saurait excéder la portée des conclusions qui lui sont soumises, ne peut par suite annuler le permis de construire que dans cette seule mesure. Toutefois, le permis de construire ne pouvant être légalement délivré que si le pétitionnaire dispose d'une autorisation d'exploitation commerciale, son annulation en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale fait obstacle à la réalisation du projet.
5. Dans un tel cas, néanmoins, si les modifications nécessaires pour mettre le projet en conformité avec la chose jugée par la décision d'annulation sont sans effet sur la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme, un nouveau permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale peut, à la demande du pétitionnaire, être délivré au seul vu d'un nouvel avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial compétente ou, le cas échéant, de la commission nationale.
6. Sont par ailleurs applicables aux permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, ainsi que le rappelle l'article L. 600-13 du code de l'urbanisme, les règles qui gouvernent les pouvoirs et les devoirs du juge et notamment les dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme aux termes desquelles : " Sans préjudice de la mise en œuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager (...) estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. (...) ".
7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en jugeant, après avoir relevé que l'annulation, par l'arrêt, devenu définitif, du 29 novembre 2018, du permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale délivré par le maire d'Ecouis à la société Lidl le 10 août 2016, en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale, faisait obstacle à la réalisation du projet dans son ensemble, et non pas seulement à l'exploitation de la surface de vente qu'il avait autorisée, les juges du fond, qui n'ont pas excédé la portée des conclusions dont ils étaient saisis, n'ont pas commis d'erreur de droit. En en déduisant qu'il appartenait au pétitionnaire, s'il entendait maintenir son projet, d'obtenir un nouveau permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, la cour n'a pas davantage commis d'erreur de droit.
8. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et il n'est d'ailleurs pas contesté que les modifications nécessaires pour mettre le projet de la société Lidl en conformité avec la chose jugée par l'arrêt du 29 novembre 2018, qui avait en particulier jugé que le dossier accompagnant la demande d'autorisation d'exploitation commerciale était incomplet, notamment en ce qu'il comportait une zone de chalandise inexactement délimitée, étaient sans effet sur la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme. En jugeant qu'un nouveau permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pouvait, dès lors, à la demande de la société Lidl, être délivré au seul vu d'un nouvel avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial compétente ou, le cas échéant, de la commission nationale, sans que la circonstance que la construction autorisée par l'arrêté du 10 août 2016 soit achevée n'y fasse obstacle, la cour n'a pas, compte tenu de ce qui a été dit au point 5, commis d'erreur de droit.
9. En dernier lieu, lorsqu'un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale en vertu des dispositions de l'article L. 752-1 du code de commerce doit également faire l'objet d'un permis de construire, seul ce permis, ou la décision refusant de le délivrer, peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. A cet égard, une décision implicite de rejet d'un tel permis est susceptible de naître, comme le prévoient les dispositions figurant au h) de l'article R*. 424-2 du code de l'urbanisme, à l'expiration du délai d'instruction, en cas d'avis défavorable de la commission départementale d'aménagement commercial sur le fondement de l'article L. 752-4 du code de commerce ou, le cas échéant, de la CNAC. En conséquence, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la " décision " par laquelle la CNAC s'était, le 18 mars 2021, défavorablement prononcée sur le projet présenté par la société Lidl constituait un avis et qu'il était insusceptible de recours contentieux, seule pouvant en l'espèce être déférée au juge administratif une décision de refus de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Lidl n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai qu'elle attaque.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Lidl une somme de 3 000 euros à verser à la société Quidis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Quidis qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Lidl est rejeté.
Article 2 : La société Lidl versera à la société Quidis une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Lidl, à la société Quidis, à la commune d'Ecouis et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.