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15/05/2025 | FRANCE | N°498690

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 15 mai 2025, 498690


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 31 octobre et 18 décembre 2024 et les 30 janvier et 11 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :



1° de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour nationale du droit d'asile sur sa demande de réexamen de protection internationale ;



2° d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 12 août 2024 accordant son ext

radition aux autorités turques ;



3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 31 octobre et 18 décembre 2024 et les 30 janvier et 11 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1° de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour nationale du droit d'asile sur sa demande de réexamen de protection internationale ;

2° d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 12 août 2024 accordant son extradition aux autorités turques ;

3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Flot, auditrice,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Par décret du 12 août 2024, le Premier ministre a accordé aux autorités turques l'extradition de M. A... B..., ressortissant turc, sur le fondement d'un mandat d'arrêt délivré le 13 janvier 2022 par la quatrième chambre de la cour d'assises de Konya pour des faits qualifiés d'assassinat.

2. En premier lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par la secrétaire générale du Gouvernement, que, contrairement à ce qui est soutenu, le décret a été signé par le Premier ministre. L'ampliation notifiée à l'intéressé n'avait pas à être revêtue de cette signature.

3. En deuxième lieu, le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et satisfait ainsi à l'exigence de motivation prévue par l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.

4. En troisième lieu, aux termes du 2 de l'article 12 de la convention européenne d'extradition : " Il sera produit à l'appui de la requête : / a) L'original ou l'expédition authentique soit d'une décision de condamnation exécutoire, soit d'un mandat d'arrêt ou de tout autre acte ayant la même force, délivré dans les formes prescrites par la loi de la Partie requérante ; / b) Un exposé des faits pour lesquels l'extradition est demandée. Le temps et le lieu de leur perpétration, leur qualification légale et les références aux dispositions légales qui leur sont applicables seront indiqués le plus exactement possible ; / c) une copie des dispositions légales applicables ou, si cela n'est pas possible, une déclaration sur le droit applicable (...) ". Si le requérant soutient que le décret accordant son extradition aux autorités turques a été pris en méconnaissance de ces stipulations, il n'apporte aucune précision au soutien de ses allégations permettant d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que la demande d'extradition émanant des autorités turques était accompagnée de l'ensemble des pièces requises.

5. En quatrième lieu, l'article 696-15 du code de procédure pénale dispose que : " Lorsque la personne réclamée a déclaré au procureur général ne pas consentir à son extradition, la chambre de l'instruction est saisie, sans délai, de la procédure. La personne réclamée comparaît devant elle dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la date de sa présentation au procureur général. Les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 696-13 sont applicables. Si, lors de sa comparution, la personne réclamée déclare ne pas consentir à être extradée, la chambre de l'instruction donne son avis motivé sur la demande d'extradition. Elle rend son avis, sauf si un complément d'information a été ordonné, dans le délai d'un mois à compter de la comparution devant elle de la personne réclamée. Cet avis est défavorable si la cour estime que les conditions légales ne sont pas remplies ou qu'il y a une erreur évidente, Le pourvoi formé contre un avis de la chambre de l'instruction ne peut être fondé que sur des vices de forme de nature à priver cet avis des conditions essentielles de son existence légale ". Il ressort des pièces du dossier que, le 27 mars 2024, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a émis un avis favorable à l'extradition de M. B.... Si l'intéressé soutient que cet avis a été rendu alors que les autorités turques n'avaient pas informé les autorités françaises d'une procédure engagée à son encontre sur le fondement de son engagement politique, il n'appartient pas au Conseil d'Etat, statuant au contentieux d'apprécier la régularité de l'avis rendu par la chambre de l'instruction, ni de remettre en cause l'appréciation à laquelle celle-ci s'est livrée à l'effet de constater que les conditions légales de l'extradition sont réunies.

6. En cinquième lieu, il résulte des principes généraux du droit applicable à l'extradition qu'il n'appartient pas aux autorités françaises, sauf en cas d'erreur évidente, de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle erreur ait été commise.

7. En sixième lieu, si une décision d'extradition est susceptible de porter atteinte, au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au droit au respect de la vie familiale, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition, qui est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits. Si M. B... soutient que plusieurs membres de sa famille se trouvent en France, qu'il a des perspectives professionnelles et qu'il a quitté son pays depuis de nombreuses années, ces circonstances ne sont pas de nature à faire obstacle, dans l'intérêt de l'ordre public, à l'exécution de son extradition. Dès lors, le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention susvisée doit être écarté.

8. En septième lieu, l'article 3 de la convention européenne d'extradition n'autorise pas l'extradition " si la partie requise a des raisons sérieuses de croire que la demande d'extradition motivée par une infraction de droit commun a été présentée aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d'opinions politiques ou que la situation de cet individu risque d'être aggravée pour l'une ou l'autre de ces raisons ". Il ne ressort d'aucun des éléments du dossier que l'extradition de M. B..., qui a été accordée pour l'exécution d'un mandat d'arrêt décerné pour des faits d'assassinat, aurait été recherchée non dans le but de réprimer cette infraction de droit commun mais dans celui de poursuivre l'intéressé à raison de son engagement politique. Au demeurant, sa demande visant à obtenir le statut de réfugié a été rejetée. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées et du principe fondamental reconnu par les lois de la République qui prohibe l'extradition à des fins politiques ne peut, ainsi, qu'être écarté.

9. En huitième lieu, si M. B... soutient qu'en raison de ses origines kurdes, il ne bénéficiera pas du droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'apporte pas d'éléments circonstanciés de nature à établir le bien-fondé de ses allégations.

10. En neuvième lieu, si M. B... déclare redouter son incarcération en Turquie eu égard aux conditions de détention dans ce pays, en particulier à l'égard des personnes qui se réclament de la cause kurde, et fait valoir qu'il risquerait d'être exposé à la torture et à des traitements inhumains ou dégradants, en méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une part les considérations générales dont il se prévaut ne permettent pas d'établir l'existence de risques personnels, d'autre part il ressort des pièces du dossier que les autorités turques se sont engagées à ce qu'il soit détenu dans un établissement pénitentiaire de type " T ", lequel répond aux exigences posées par cette même convention, qu'elles ont garanti le respect de ses droits en cas de transfert dans un autre établissement pénitentiaire et qu'elles se sont engagées à ce qu'il ne soit pas soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

11. Sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour nationale du droit d'asile sur la demande de réexamen de protection internationale présentée par M. B... et déclarée irrecevable par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'il attaque.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 17 avril 2025 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; Mme Anne Courrèges, conseillère d'Etat et Mme Julia Flot, auditrice-rapporteure.

Rendu le 15 mai 2025.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

La rapporteure :

Signé : Mme Julia Flot

La secrétaire :

Signé : Mme Sandrine Mendy


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 498690
Date de la décision : 15/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 mai. 2025, n° 498690
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Julia Flot
Rapporteur public ?: M. Clément Malverti

Origine de la décision
Date de l'import : 18/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:498690.20250515
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