Vu la procédure suivante :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Besançon, à titre principal, d'une part, d'annuler la décision du 18 mars 2022 de la Caisse des dépôts et consignations en tant qu'elle " annule sa pension de réversion " et en tant qu'elle exige le remboursement des sommes perçues depuis le 20 mai 2006 et d'autre part, de condamner cet établissement à lui rembourser la somme de 17 298 euros, et à titre subsidiaire, de réduire les sommes dues à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales aux sommes versées depuis 2012. Par un jugement n° 2201039 du 17 mai 2024, ce tribunal a annulé la décision du 18 mars 2022 en tant qu'elle demande la restitution de la somme de 58 857,74 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 juillet et 30 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Caisse des dépôts et consignations demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de Mme C....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la Caisse des dépôts et consignations et à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de Mme C... ;
Vu la note en délibérée, enregistrée le 18 avril 2025, présentée par la Caisse des dépôts et consignations ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C... a bénéficié, à compter du 1er avril 1997, d'une pension de réversion versée par la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. L'intéressée ayant déclaré vivre en concubinage depuis le 20 mai 2006, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales a mis fin en août 2015 au versement de la pension de réversion et l'a informée que les pensions indument versées lui seraient réclamées ultérieurement. Par un courrier du 19 novembre 2015, la Caisse des dépôts et consignations a notifié à Mme C... " l'annulation de sa pension " ainsi que le montant de pension à restituer, s'élevant à la somme de 76 155,74 euros. En janvier 2016, Mme C... a remboursé la somme de 17 298 euros. Par un courrier du 18 mars 2022, la Caisse des dépôts et consignations lui a notifié le montant restant de l'indu de pension et lui a demandé de le régler sous vingt jours, à défaut de quoi il serait recouvré par voie de contrainte.
2. Par un jugement du 17 mai 2024, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision du 18 mars 2022 en tant qu'elle demande à Mme C... la restitution de la somme de 58 857,74 euros, correspondant au montant restant de l'indu de pension, et rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à l'annulation de cette décision " en tant qu'elle annule sa pension de réversion " et à ce que la somme de 17 298 euros lui soit restituée, ou, à titre subsidiaire, à ce que les sommes dues à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales soient réduites à ce dernier montant.
Sur le pourvoi principal :
3. D'une part, aux termes des dispositions de l'article 2224 du code civil : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ". Aux termes des dispositions de l'article 2240 du même code : " La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ". Aux termes des dispositions de l'article 2241 de ce code : " La demande en justice (...) interrompt le délai de prescription (...) même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente (...) ". Aux termes de l'article 2244 de ce code : " Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée ".
4. D'autre part, il appartient au juge administratif de se prononcer sur le bien-fondé des moyens dont il est saisi et, le cas échéant, d'écarter de lui-même, quelle que soit l'argumentation du défendeur, un moyen qui lui paraît infondé, au vu de l'argumentation qu'il incombe au requérant de présenter au soutien de ses prétentions.
5. En l'espèce, d'une part, s'il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal, comme le soutient la Caisse des dépôts et consignations, que la demande de Mme C... mentionnait tant le remboursement, auquel elle avait procédé le 16 janvier 2016, d'une partie des sommes qui lui étaient réclamées, qu'une mise en demeure qui lui aurait été adressée le 12 décembre 2016 en vue du paiement du solde de ces sommes, il en ressort également que n'y figurait aucune précision supplémentaire, ni aucune pièce, faisant apparaître que ce remboursement et cette mise en demeure auraient présenté les caractères, respectivement, d'un acte valant reconnaissance par Mme C... du droit de créance de la Caisse, ou d'un acte d'exécution forcé au sens des dispositions des articles 2240 et 2244 du code civil citées au point 3. Dès lors, en ne tenant pas compte, pour apprécier le bien-fondé du moyen tiré de l'expiration du délai de prescription institué à l'article 2224 du code civil, de ces événements dont la Caisse des dépôts et consignations, qui n'a pas défendu devant le tribunal administratif de Besançon, soutient pour la première fois en cassation qu'ils avaient interrompu le délai de prescription, comme en s'abstenant de les mentionner, le tribunal n'a ni commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.
6. D'autre part, si le tribunal administratif qui a jugé que la prescription instituée à l'article 2224 du code civil était acquise du fait de l'expiration du délai de cinq ans qu'il prévoit avant la notification à Mme C... de la décision du 18 mars 2022, s'est également abstenu de mentionner l'assignation de Mme C... devant le tribunal judiciaire de Belfort par la Caisse des dépôts et consignations le 10 décembre 2020, dont il est constant qu'elle présentait le caractère d'un acte interruptif de prescription en application des dispositions de l'article 2241 du code civil, citées au point 3, cette circonstance est restée sans incidence sur l'appréciation portée par le tribunal administratif sur la prescription de l'action en restitution engagée par la Caisse des dépôts et consignations dès lors qu'à la date du 10 décembre 2020, ce délai avait déjà expiré.
7. Il résulte de ce qui précède que la Caisse des dépôts et consignations n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.
Sur le pourvoi incident :
8. Mme C... ne conteste pas que " l'annulation de sa pension " pour la période postérieure à la date à compter de laquelle elle a déclaré vivre en état de concubinage notoire ainsi que le montant total de l'indu dont le remboursement lui était demandé, lui ont été notifiés par lettre du 19 novembre 2015. Il ressort en outre des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision du 18 mars 2022 tendait seulement, après le remboursement partiel auquel elle avait procédé le 16 janvier 2016, au recouvrement du solde restant, pour un montant de 58 857,74 euros. Il en résulte que les conclusions de Mme C... tendant à l'annulation de la décision du 18 mars 2022 en tant que celle-ci aurait prononcé " l'annulation de sa pension " ou qu'elle porterait sur le montant déjà remboursé par l'intéressée ne pouvaient qu'être rejetées par le tribunal administratif de Besançon. Ce motif, qui répond aux moyens soulevés devant le tribunal et n'implique aucune appréciation nouvelle des faits, doit être substitué à ceux qu'il a retenus par le jugement attaqué, dont il justifie sur ce point le dispositif.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations la somme de 3 000 euros à verser à Mme C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la Caisse des dépôts et consignations est rejeté.
Article 2 : Le pourvoi incident de Mme C... est rejeté.
Article 3 : La Caisse des dépôts et consignations versera à Mme C... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Caisse des dépôts et consignations et à Mme B... C....
Délibéré à l'issue de la séance du 10 avril 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 15 mai 2025.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Lionel Ferreira
Le secrétaire :
Signé : M. Brian Bouquet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :