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13/05/2025 | FRANCE | N°491670

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 13 mai 2025, 491670


Vu la procédure suivante :



M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2008 et 2009, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 1509514, 1509675 du 22 septembre 2017, ce tribunal a prononcé la réduction des contributions sociales en litige et rejeté le surplus des conclusions de leur demande.



Par un arrêt no 17MA04305 d

u 3 octobre 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a prononcé la décharge ...

Vu la procédure suivante :

M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2008 et 2009, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 1509514, 1509675 du 22 septembre 2017, ce tribunal a prononcé la réduction des contributions sociales en litige et rejeté le surplus des conclusions de leur demande.

Par un arrêt no 17MA04305 du 3 octobre 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et du surplus des contributions sociales auxquelles M. et Mme B... ont été assujettis au titre de l'année 2008, ainsi que des pénalités correspondantes, a réformé ce jugement en ce qu'il avait de contraire et a rejeté le surplus des conclusions de l'appel formé contre celui-ci par les époux B....

Par une décision n° 436426 du 22 mars 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt en tant qu'il a statué sur les impositions et pénalités mises à la charge de M. et Mme B... au titre de l'année 2009 à raison de revenus distribués résultant de la rectification du résultat imposable de la société Mercure et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour.

Par un arrêt n° 21MA01191 du 11 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a prononcé la réduction à concurrence de la somme de 358 105 euros de la base imposable de M. et Mme B... au titre de l'année 2009 et la décharge correspondante des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis, réformé le jugement du tribunal administratif en ce qu'il avait de contraire et rejeté le surplus des conclusions de leur appel.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février 2024, 13 mai 2024 et 4 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme B... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 3 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. et Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle M. et Mme B... ont notamment été assujettis, sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, au titre de l'année 2009, à un complément d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, consécutif au rehaussement du bénéfice imposable de la société à responsabilité limitée (SARL) Mercure, à raison de revenus regardés par l'administration comme distribués par cette société. M. et Mme B... se pourvoient en cassation contre l'article 3 de l'arrêt du 11 décembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a prononcé la réduction des cotisations d'impôt sur le revenu dues par M. et Mme B... au titre de l'année 2009 et rejeté le surplus des conclusions de leur appel.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du même code que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

3. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.

4. Pour statuer sur la déduction des résultats de la société Mercure de charges comptabilisées pour l'achats de cartes téléphoniques, la cour administrative d'appel, après avoir relevé sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis que l'administration n'avait pu obtenir les informations qu'elle avait sollicitées, relatives notamment à la description desdites cartes, a examiné les arguments des deux parties susceptibles de confirmer ou d'infirmer la réalité de ces achats. Ayant constaté que M. et Mme B... se limitaient, sans apporter aucune justification, à se prévaloir d'une ordonnance de non-lieu rendue dans le cadre de poursuites pénales ou d'avis rendus par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaire à l'occasion de litiges concernant d'autres sociétés, c'est en tout état de cause, quand bien même des documents se rapportant à cette question n'auraient pas été produits à l'instance, sans erreur de droit que la cour a jugé que l'administration avait rejeté à bon droit la déduction des charges correspondantes.

5. En deuxième lieu, pour juger que le bénéfice de la société Mercure devait être majoré du produit de la revente de textiles achetés au Grande-Bretagne, la cour s'est fondée sur l'existence de factures établies par la société Maharadja Textiles, que l'administration a pu consulter dans le cadre de la coopération administrative avec le Royaume-Uni et dont l'origine et contenu détaillé sont précisés dans la proposition de rectification communiquée à la société Mercure, annexée à celle adressée à M. et Mme B..., faisant état d'achats, par cette dernière société, de marchandises qui ne figuraient pas dans l'inventaire de ses stocks en fin d'exercice, ce dont elle a déduit qu'elles avaient nécessairement été revendues à cette date. En statuant ainsi, la cour, qui n'avait pas à requérir la production de pièces complémentaires, n'a ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ni commis d'erreur de droit.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109, les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". En cas de refus des propositions de rectifications par le contribuable qu'elle entend imposer comme bénéficiaire de sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposé. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.

7. La cour a retenu que M. B... était, au cours de l'année 2009, le gérant de droit de la société Mercure dont il détenait par ailleurs 25 % du capital social, le reste du capital étant détenu par sa propre mère. Elle a en outre relevé que cette société ne comptait aucun employé et n'était représentée par aucune autre personne que M. B.... La cour en a déduit que l'administration avait à bon droit regardé l'intéressé comme le seul maître de l'affaire. Si M. et Mme B... soutiennent que la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant que M. B... était seul maître de l'affaire au sein de cette société, alors que, compte tenu de l'importance des parts qu'elle détenait, sa mère était en mesure de le révoquer de ses fonctions de gérant et disposait donc d'un véritable pouvoir de contrôle sur lui, ce moyen ne peut qu'être écarté, dès lors que de telles circonstances ne font nullement obstacle à l'exacte qualification juridique de maître de l'affaire retenue par la cour.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale : " I. - Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu (...) : (...) / c) des revenus de capitaux mobiliers (...) ". Aux termes de l'article L. 245-14 du même code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à un prélèvement sur les revenus et les sommes visés à l'article L. 136-6 ". Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale dans sa version applicable au litige : " I. - Il est institué une contribution perçue à compter de 1996 et assise sur les revenus du patrimoine définis au I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale perçus par les personnes physiques désignées au I de l'article 14 de la présente ordonnance (...) ".

9. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la somme de 358 105 euros, regardée par l'administration comme distribuée par la société Mercure à M. B... au titre de l'année 2009, ne pouvait être rattachée qu'à l'exercice clos le 30 septembre 2010. En prononçant, pour ce motif, la réduction de la base d'imposition à l'impôt sur le revenu de M. et Mme B... dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers à concurrence de ladite somme au titre de l'année 2009 sans prononcer, alors qu'elle était saisie de conclusions en ce sens, la réduction des cotisations supplémentaires de contributions sociales afférentes, la cour a commis une erreur de droit.

10. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme B... sont seulement fondés à demander l'annulation de l'article 3 de l'arrêt qu'ils attaquent en tant qu'il a statué sur les cotisations supplémentaires de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis à raison de la somme de 358 105 euros en base, ainsi que des pénalités correspondantes.

11. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée au point précédent.

12. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 que M. et Mme B... sont fondés à soutenir qu'à concurrence du montant de 358 105 euros en base, les contributions sociales supplémentaires et les pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2009 à raison de revenus regardés comme distribués par la société Mercure sont dépourvues de base légale et doivent, en conséquence, être déchargées.

Sur les conclusions du ministre à fins de compensation :

13. Aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande ".

14. Le ministre demande que la décharge demandée par les époux B... soit compensée, sur le fondement des dispositions mentionnées au point précédent, par la réintégration dans leur base d'imposition au titre de l'année 2009 d'une somme de 338 246 euros correspondant à des revenus réputés distribués à M. B... par la société Mercure à raison d'achats fictifs réalisés sur la période du 1er octobre 2008 au 31 décembre 2008 et se rattachant à l'exercice clos le 30 septembre 2009.

15. Il résulte cependant de l'instruction que l'administration disposait, avant l'introduction par M. et Mme B... de leur réclamation, présentée simultanément contre les impositions supplémentaires auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2008 et 2009, de l'ensemble des éléments propres à lui permettre de regarder comme appréhendés les revenus réputés distribués par la société Mercure au titre de son exercice clos le 30 septembre 2009. Par suite, l'insuffisance d'assiette qui résulterait de l'absence de réintégration des sommes mentionnées au point 14 ne saurait être regardée comme ayant, au sens des dispositions de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales, été constatée au cours de l'instruction de la demande présentée à l'administration par M. et Mme B.... Par suite, la demande de compensation sollicitée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ne peut qu'être rejetée.

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. et Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 3 de l'arrêt du 11 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il a statué sur les cotisations supplémentaires de contributions sociales et des pénalités correspondantes, résultant de la rectification du résultat imposable de la société Mercure, auxquelles M. et Mme B... ont été assujettis au titre de l'année 2009 à concurrence d'un montant en base de 358 105 euros.

Article 2 : M. et Mme B... sont déchargés des cotisations supplémentaires de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2009, ainsi que des pénalités correspondantes, à hauteur de la réduction de la base de ces contributions d'un montant de 358 105 euros.

Article 3 : Le jugement du 22 septembre 2017 du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2.

Article 4 : Les conclusions du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique à fins de compensation sont rejetées.

Article 5 : Le surplus des conclusions de M. et Mme B... est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 avril 2025 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, président de chambre, présidant ; M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 13 mai 2025.

Le président :

Signé : M. Thomas Andrieu

La rapporteure :

Signé : Mme Marie Prévot

Le secrétaire :

Signé : M. Aurélien Engasser


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 491670
Date de la décision : 13/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 mai. 2025, n° 491670
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Prévot
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:491670.20250513
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