Vu la procédure suivante :
La société Entreprise Carré a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'Institut national de la recherche agronomique pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) à lui verser la somme de 68 470,59 euros toutes taxes comprises au titre des sommes restant dues dans le cadre du marché correspondant au lot n° 5 " menuiseries extérieures et façades " du marché public de construction du projet dénommé " Arcad ". Des conclusions reconventionnelles ont été présentées au tribunal par l'INRAE, tendant à la condamnation de la société Entreprise Carré à lui verser la somme de 52 715,34 euros. Par un jugement n° 2001847 du 30 décembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la société Entreprise Carré et l'a condamnée à verser à l'INRAE la somme de 52 715,34 euros hors taxes au titre du décompte général et définitif du marché.
Par un arrêt n° 22TL20727 du 19 mars 2024, la cour administrative d'appel de Toulouse a, sur appel de la société Entreprise Carré, annulé ce jugement et fixé à 68 470,59 euros toutes taxes comprises le solde du marché en faveur de cette société.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 mai et 12 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel formé par la société Entreprise Carré ;
3°) de mettre à la charge de la société Entreprise Carré une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Didier Ribes, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'INRAE et à la SARL Jérôme Ortscheidt, avocat de la société BDR et associes, mandataire de la société Entreprise Carré ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par acte d'engagement du 5 juillet 2017, l'Institut national de la recherche agronomique pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) a, dans le cadre d'un marché public de travaux ayant pour objet la construction d'un bâtiment destiné à accueillir le centre de conservation et d'étude des ressources génétiques des plantes cultivées et de leur faculté d'adaptation, confié le lot n° 5 de ce marché, portant sur les " menuiseries extérieures et façades ", au groupement conjoint constitué des sociétés Entreprise Carré et SMAC. La réception de ce lot a été prononcée, sous réserve et avec réserves, le 15 avril 2019. Ces réserves ont été levées le 11 octobre 2019. Par un jugement du 30 décembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a, d'une part, rejeté la demande de la société Entreprise Carré tendant à la condamnation de l'INRAE à lui verser la somme de 68 470,59 euros toutes taxes comprises, au titre du solde de ce marché, et, d'autre part, fait droit aux conclusions reconventionnelles de l'INRAE en condamnant cette même société à lui verser la somme de 52 715,34 euros hors taxes au titre du solde du marché. L'INRAE se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 mars 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Toulouse a, sur appel de la société Entreprise Carré, annulé ce jugement et fixé à 68 470,59 euros toutes taxes comprises le solde du marché en faveur de cette société.
2. Aux termes de l'article 13.4.2 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics de travaux, dans sa version applicable au marché en litige : " Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : / -trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; / - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. (...) ". Selon l'article 13.4.4 de ce cahier : " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé (...) / Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. / Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. (...) ".
3. Aux termes de l'article 4.5.1 du cahier des clauses administratives particulières du marché litigieux : " (...) / Par dérogation à l'article 13.4.2 du CCAG, le maître d'ouvrage notifie à l'entreprise le décompte général dans un délai de 40 jours après la date de remise au maître d'œuvre du projet de décompte final via EDIFLEX (...). / (...) / Si le maître d'ouvrage ne respecte pas les délais sus-mentionnés, le titulaire établit et notifie en original au maître d'ouvrage un projet de décompte général signé. Par dérogation à l'article 13.4.4, le maître d'ouvrage dispose d'un délai de 30 jours pour notifier au titulaire à compter de la réception de ce projet de décompte général, le décompte général incluant les révisions. / Si dans ce délai de 30 jours, le maître d'ouvrage n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. (...) ".
4. En estimant que la société Entreprise Carré avait notifié au maître d'ouvrage, le 17 mars 2020, son " projet de décompte général " du marché en litige, conformément aux stipulations de l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales, alors que ce courrier du 17 mars 2020 constituait en réalité une réponse de la société Entreprise Carré à un document intitulé " décompte général ", signé le 11 mars 2020, qui correspondait à un décompte de la seule " tranche optionnelle n° 1 " du marché notifié par l'INRAE le 13 mars précédent, la cour administrative d'appel de Toulouse a dénaturé les pièces du dossier.
5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'INRAE est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Entreprise Carré la somme de 3 000 euros à verser à l'INRAE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 19 mars 2024 de la cour administrative d'appel de Toulouse est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Toulouse.
Article 3 : La société Entreprise Carré versera une somme de 3 000 euros à l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement et à la société BDR et associés, mandataire de la société Entreprise Carré.