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09/05/2025 | FRANCE | N°499277

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 09 mai 2025, 499277


Vu la procédure suivante :



Mme A... Gandon a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 27 septembre 2024 par laquelle la commission de discipline de la section disciplinaire du conseil académique de l'établissement Nantes Université, compétente à l'égard des usagers, l'a exclue de cette université pour une durée de neuf mois. Par une ordonnance n° 2416412 du 13 novembre 2024, le j

uge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande.



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Vu la procédure suivante :

Mme A... Gandon a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 27 septembre 2024 par laquelle la commission de discipline de la section disciplinaire du conseil académique de l'établissement Nantes Université, compétente à l'égard des usagers, l'a exclue de cette université pour une durée de neuf mois. Par une ordonnance n° 2416412 du 13 novembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire non communiqué, enregistrés les 29 novembre et 16 décembre 2024 et le 3 avril 2025, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme Gandon demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de renvoyer l'affaire devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes ;

3°) de mettre à la charge de l'établissement Nantes Université la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019, notamment son article 33 ;

- le décret n° 2020-785 du 26 juin 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Fradel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de Mme Gandon et à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de l'établissement Nantes Université ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er mai 2025, présentée par Mme Gandon ;

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, si, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, il résultait de l'article L. 811-5 du code de l'éducation que la section disciplinaire du conseil académique de l'université, compétente à l'égard des usagers, statuait comme juridiction disciplinaire sur les poursuites disciplinaires engagées contre un usager, sa décision étant susceptible d'appel devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en matière disciplinaire, les dispositions de cet article, dans leur rédaction issue de cette loi et aux termes desquelles " Les conseils académiques des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel statuant à l'égard des usagers sont constitués par une section disciplinaire qui comprend en nombre égal des représentants du personnel enseignant et des usagers. (...) ", ne prévoient plus désormais que cette section disciplinaire, s'agissant des poursuites disciplinaires engagées contre un usager, statue en matière juridictionnelle. En l'absence de disposition du code de l'éducation relative aux voies de recours ouvertes contre les décisions prises par cette instance, en particulier dans le décret du 26 juin 2020 relatif à la procédure disciplinaire dans les établissements publics d'enseignement supérieur pris pour l'application de cette loi, la contestation des décisions administratives par lesquelles les sections disciplinaires des conseils académiques de ces établissements infligent des sanctions à un de leurs usagers doit être portée devant le tribunal administratif, dont l'office est, pour le jugement des affaires au fond, celui du juge de l'excès de pouvoir.

2. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. "

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nantes que, par une décision du 27 septembre 2024, la commission de discipline de la section disciplinaire du conseil académique de l'établissement Nantes Université, compétente à l'égard des usagers, a exclu de cette université, pour une durée de neuf mois, Mme A... Gandon, étudiante inscrite en deuxième année de licence au sein de cet établissement pour l'année universitaire 2024-2025, par ailleurs présidente de l'association Union nationale inter-universitaire Nantes. Mme Gandon a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de cette décision. Par une ordonnance du 13 novembre 2024, contre laquelle Mme Gandon se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande au motif qu'aucun des moyens invoqués par la requérante n'était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision du 27 septembre 2024 de la commission de discipline.

Sur le pourvoi :

En ce qui concerne la procédure applicable devant la section disciplinaire compétente à l'égard des usagers :

4. D'une part, aux termes de l'article R. 811-26 du code de l'éducation, créé par le décret du 26 juin 2020 relatif à la procédure disciplinaire dans les établissements publics d'enseignement supérieur : " La section disciplinaire [compétente à l'égard des usagers] est saisie par une lettre adressée à son président. Ce document mentionne le nom, l'adresse et la qualité de la personne faisant l'objet des poursuites ainsi que les faits qui lui sont reprochés. Il est accompagné de toutes pièces justificatives. " Aux termes de l'article R. 811-27 de ce code, issu du même décret : " Dès réception du document mentionné à l'article R. 811-26 et des pièces jointes, le président de la section disciplinaire en transmet copie, par tout moyen permettant de conférer date certaine, à la personne poursuivie (...) / La lettre mentionnée au premier alinéa indique à l'usager poursuivi le délai dont il dispose pour présenter des observations écrites. Elle lui précise qu'il peut se faire assister ou représenter par un conseil de son choix, qu'il peut demander à être entendu par les rapporteurs chargés de l'instruction de l'affaire et qu'il peut prendre connaissance du dossier pendant le déroulement de cette instruction ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 811-21 du code de l'éducation : " Les affaires sont examinées par une commission de discipline. Le président de la section disciplinaire désigne les membres de la commission de discipline selon un rôle qu'il établit. " Le premier alinéa de l'article R. 811-31 du même code, dans sa rédaction résultant de ce décret, prévoit, par ailleurs, que " Le président de la commission de discipline convoque la personne poursuivie devant la commission de discipline par tout moyen permettant de conférer date certaine, quinze jours au moins avant la date de la séance. Cette convocation mentionne le droit, pour l'intéressé ou son conseil, de consulter le rapport d'instruction et des pièces du dossier pendant une période débutant au moins dix jours avant la date de la séance. La convocation mentionne également le droit, pour l'usager, de présenter des observations orales pendant la séance, le cas échéant par le conseil de son choix. "

5. D'autre part, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. " Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire.

6. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Elles impliquent que l'usager d'une université faisant l'objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les agissements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire.

7. Sauf détournement de procédure, le droit de se taire ne s'applique ni aux échanges ordinaires de l'usager avec les agents de l'université, ni aux enquêtes diligentées par le chef de l'établissement, quand bien même ceux-ci sont susceptibles de révéler des faits commis par l'usager de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire. Dans le cas où l'usager d'une université, ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire selon la procédure prévue au code de l'éducation, n'a pas été informé du droit qu'il avait de se taire alors que cette information était requise, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'usager et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit.

En ce qui concerne les moyens du pourvoi :

8. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nantes que, si Mme Gandon n'a pas été informée, à quelque stade de la procédure que ce soit, de son droit de se taire, la décision contestée ne repose pas sur des propos qu'elle aurait pu tenir. Par suite, en estimant que le moyen, que Mme Gandon avait présenté oralement lors de l'audience devant le juge des référés, tiré de ce que la procédure suivie devant la commission de discipline avait été viciée faute pour elle d'avoir été informée de son droit de se taire, n'était pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse, le juge des référés du tribunal administratif n'a, eu égard à ce qui a été dit au point 7, ni entaché son ordonnance d'erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

9. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier soumis au juge des référés que, saisi par une lettre datée du 13 juin 2024 de la présidente de l'établissement Nantes Université de poursuites disciplinaires engagées à l'encontre de Mme Gandon, le président de la section disciplinaire du conseil académique de cette université, compétente à l'égard des usagers, a notifié ces poursuites à l'intéressée par un courrier daté du 24 juillet 2024. Ce courrier ne précisait pas à Mme Gandon la faculté qu'elle avait de se faire assister ou représenter par un conseil de son choix, alors que tout usager d'une université faisant l'objet de poursuites disciplinaires doit être informé de ce droit dès la notification des griefs formulés à son encontre en application de l'article R. 811-27 du code de l'éducation cité au point 4.

10. En outre, il ressort également des pièces du dossier soumis au juge des référés que, bien que datée du 10 septembre 2024, la convocation à la séance au cours de laquelle la commission de discipline devait examiner l'affaire, fixée au 27 septembre 2024, a été adressée à Mme Gandon par un pli recommandé avec avis de réception envoyé par voie postale le 17 septembre 2024 et présenté à l'intéressée le 19 septembre 2024, de sorte que cette dernière a été privée des garanties prévues par ces dispositions pour lui permettre de préparer sa défense en vue de sa comparution devant la commission de discipline dans le délai de quinze jours prévu à l'article R. 811-31 du code de l'éducation cité au point 4.

11. Il s'ensuit qu'en ne retenant pas comme de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision du 27 septembre 2024 de la commission de discipline le moyen tiré de ce que cette décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière en raison de la méconnaissance des dispositions des articles R. 811-27 et R. 811-31 du code de l'éducation, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et commis une erreur de droit.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que Mme Gandon est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la demande de suspension :

14. D'une part, pour l'application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, cité au point 2, l'urgence justifie que soit prononcée la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

15. Mme Gandon soutient, sans être contestée, que la décision du 27 septembre 2024 par laquelle la commission de discipline de la section disciplinaire du conseil académique de l'établissement Nantes Université, compétente à l'égard des usagers, l'a exclue de cet établissement pour une durée de neuf mois, sanction dont le terme n'est pas, à la date de la présente décision, atteint, fait obstacle à ce qu'elle puisse y poursuivre le cursus de deuxième année de licence de droit auquel elle a été inscrite pour l'année universitaire 2024-2025. Par ailleurs, en faisant valoir que les faits ayant justifié le prononcé de la sanction litigieuse ont été suivis de troubles à l'ordre public et ont porté atteinte à sa réputation, l'établissement Nantes Université ne justifie pas qu'un intérêt public ferait à ce jour obstacle à ce que l'exécution de cette sanction soit suspendue, les faits litigieux ayant été commis en novembre 2023. Par suite, la condition d'urgence fixée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit, en l'espèce, être regardée comme remplie.

16. D'autre part, eu égard à ce qui a été dit aux points 9 et 10, le moyen tiré de ce que la décision du 27 septembre 2024 de la commission de discipline a été prise au terme d'une procédure irrégulière méconnaissant les dispositions des articles R. 811-27 et R. 811-31 du code de l'éducation, est, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.

17. Dès lors, il y a lieu d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 27 septembre 2024 de la commission de discipline de la section disciplinaire du conseil académique de Nantes Université, compétente à l'égard des usagers.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme Gandon qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'établissement Nantes Université, pour l'ensemble de la procédure, la somme de 3 000 euros à verser à Mme Gandon au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 13 novembre 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du 27 septembre 2024 de la commission de discipline de la section disciplinaire du conseil académique de l'établissement Nantes Université, compétente à l'égard des usagers, est suspendue.

Article 3 : L'établissement Nantes Université versera la somme de 3 000 euros à Mme Gandon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'établissement Nantes Université au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme A... Gandon et à l'établissement Nantes Université.

Copie en sera adressée à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 499277
Date de la décision : 09/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 09 mai. 2025, n° 499277
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Julien Fradel
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER ; SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH

Origine de la décision
Date de l'import : 11/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:499277.20250509
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