Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 novembre 2024 et 12 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher et la société Rocher participations demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet de leur demande d'abrogation du premier alinéa du paragraphe 120 des commentaires administratifs publiés le 23 août 2021 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-IS-DEF-20-30 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2021-953 du 19 juillet 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Les sociétés Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher et Rocher participations demandent l'annulation de la décision de rejet née du silence gardé par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur leur demande tendant à l'abrogation du premier alinéa du paragraphe 120 des commentaires administratifs publiés le 23 août 2021 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-IS-DEF-20-30, lequel énonce que les bénéfices des trois exercices antérieurs sur lesquels une entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés est admise à reporter en arrière un déficit, en application du dispositif exceptionnel institué par l'article 1er de la loi du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021, doivent s'entendre des seuls bénéfices déclarés par cette entreprise, à l'exclusion de ceux qui résulteraient de rehaussements consécutifs à un contrôle fiscal.
2. Aux termes de l'article 220 quinquies du code général des impôts : " I. Par dérogation aux dispositions du troisième alinéa du I de l'article 209, le déficit constaté au titre d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1984 par une entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés peut, sur option, être considéré comme une charge déductible du bénéfice de l'exercice précédent (...) / L'option mentionnée au premier alinéa n'est admise qu'à la condition qu'elle porte sur le déficit constaté au titre de l'exercice, dans la limite du montant le plus faible entre le bénéfice déclaré au titre de l'exercice précédent et un montant de 1 000 000 € (...) / II. L'option visée au I est exercée au titre de l'exercice au cours duquel le déficit est constaté et dans les mêmes délais que ceux prévus pour le dépôt de la déclaration de résultats de cet exercice (...) ". En application de ces dispositions, une société peut, dans le délai de réclamation ouvert au titre d'un exercice, demander par voie de réclamation contentieuse le bénéfice du report en arrière, sur le résultat de ce même exercice, tel qu'il a le cas échéant été rectifié par l'administration, d'un déficit constaté au titre de l'exercice suivant.
3. Aux termes du I de l'article 1er de la loi du 19 juillet 2021 de finances rectificative pour 2021 : " Par dérogation aux premier et troisième alinéas du I de l'article 220 quinquies du code général des impôts, le déficit constaté au titre du premier exercice déficitaire clos à compter du 30 juin 2020 et jusqu'au 30 juin 2021 peut, sur option, être imputé sur le bénéfice déclaré de l'exercice précédent et, le cas échéant, sur celui de l'avant-dernier exercice, puis sur celui de l'antépénultième exercice (...) / Pour l'application des trois premiers alinéas, les bénéfices d'imputation des trois exercices précédant celui au titre duquel l'option est exercée, déterminés dans les conditions prévues à l'article 220 quinquies du code général des impôts, sont diminués du montant des déficits constatés au titre des exercices antérieurs pour lesquels l'entreprise a opté pour le report en arrière ".
4. Il résulte de ces dispositions, telles qu'éclairées par les travaux préparatoires dont elles sont issues, que les bénéfices sur lesquels, en application du dispositif exceptionnel qu'elles instituent en vue d'aider les entreprises à surmonter les difficultés de trésorerie liées à la pandémie de Covid, un déficit constaté au titre d'un exercice postérieur est imputable sont, sauf pour ce qui concerne le nombre d'exercices concernés et les règles de plafonnement, déterminés dans les conditions prévues à l'article 220 quinquies du code général des impôts. Dès lors, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le montant des bénéfices sur lesquels est effectuée l'imputation de déficits postérieurs soit déterminé en prenant en compte les rectifications opérées le cas échéant par l'administration.
5. Les sociétés requérantes sont donc fondées à demander l'annulation du refus d'abroger le premier alinéa du paragraphe 120 de l'instruction attaquée, qui restreint incompétemment la portée de la disposition législative qu'il a pour objet de commenter.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros, à verser aux sociétés Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher et Rocher participations en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a refusé d'abroger le premier alinéa du paragraphe 120 des commentaires administratifs publiés le 23 août 2021 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-IS-DEF-20-30 est annulée.
Article 2 : L'Etat versera aux sociétés Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher et Rocher participations la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher, première dénommée, pour l'ensemble des requérantes, et au ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 26 mars 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 9 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle