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07/05/2025 | FRANCE | N°493196

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 07 mai 2025, 493196


Vu la procédure suivante :



La société Unither Industries a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de prononcer, à titre principal, la restitution de la somme de 817 200 euros, mise à sa charge par un titre de perception émis le 6 octobre 2017, pour la récupération d'une aide d'Etat octroyée en 1999 et 2000 à la société Creapharm Gannat qu'elle a acquise en 2005, et, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat au paiement d'une indemnité égale à 273 593 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution tardive, par la Franc

e, de la décision de la Commission du 16 décembre 2003 portant sur la récupérat...

Vu la procédure suivante :

La société Unither Industries a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de prononcer, à titre principal, la restitution de la somme de 817 200 euros, mise à sa charge par un titre de perception émis le 6 octobre 2017, pour la récupération d'une aide d'Etat octroyée en 1999 et 2000 à la société Creapharm Gannat qu'elle a acquise en 2005, et, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat au paiement d'une indemnité égale à 273 593 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution tardive, par la France, de la décision de la Commission du 16 décembre 2003 portant sur la récupération de cette aide. Par un jugement n° 1801205 du 10 juin 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21LY02718 du 8 février 2024, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par la société Unither Industries contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 avril et 5 juillet 2024 et le 29 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Unither Industries demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 ;

- le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015 ;

- le code général des impôts ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,

- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Unither Industries ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société

E-Pharma, devenue Creapharm Gannat, a bénéficié, au titre des années 1999 et 2000, de l'exonération d'impôt sur les sociétés instituée par l'article 44 septies du code général des impôts. Par une décision n° 2004/343/CE du 16 décembre 2003, la Commission européenne a déclaré que les exonérations prévues par ces dispositions, autres que celles qui remplissent les conditions d'octroi des aides de minimis, des aides à finalité régionale et des aides en faveur des petites et moyennes entreprises, constituaient des aides d'Etat illégales et en a ordonné la récupération sans délai. Par un arrêt n° C-214/07 du 13 novembre 2008, la Cour de justice des communautés européennes a jugé que la France avait manqué aux obligations de récupération de ces aides. Pour obtenir la restitution de l'aide accordée à la société E-Pharma, l'administration a émis, le 27 novembre 2009, un titre de perception d'un montant de 2 862 511 euros à l'encontre de la société Unither Industries, qui avait acquis la société Creapharm Gannat en 2005. Ce titre de perception a été annulé, le 11 mai 2010, après que la Commission, consultée par l'administration, a estimé que la cession de la société Creapharm Gannat n'avait pu transmettre au cessionnaire le bénéfice de l'aide. Le 26 janvier 2012, l'administration a émis un nouveau titre de perception, pour un montant de 2 961 333 euros, sur le fondement d'une nouvelle analyse de la Commission, selon laquelle la société Unither Industries devait être regardée comme la bénéficiaire de l'aide octroyée à E-Pharma. Après prise en compte des exceptions admises par la décision d'incompatibilité du 16 décembre 2003, l'administration a ramené le montant des sommes réclamées à 819 339 euros. Le 21 mai 2012, la société Unither Industries s'est acquittée de cette somme. Par un arrêt du 1er juin 2017, la cour administrative d'appel de Douai lui a accordé la décharge de l'obligation de payer cette somme, en raison d'un vice de forme entachant le titre de perception du 26 janvier 2012. Le 6 octobre 2017, l'administration a émis un nouveau titre de perception, pour un montant ramené à 817 200 euros, et a remboursé à la société le trop-versé.

2. Par un jugement du 10 juin 2021, le tribunal administratif de

Clermont-Ferrand a rejeté la demande de la société Unither Industries tendant, à titre principal, à la restitution de la somme de 817 200 euros, payée en exécution du titre de perception du

6 octobre 2017, et, à titre subsidiaire, à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 273 593 euros en réparation du préjudice qu'elle soutient avoir subi du fait de l'exécution tardive, par la France, de la décision de la Commission du 16 décembre 2003 portant sur la récupération de cette aide. Par un arrêt du 8 février 2024 contre lequel la société Unither Industries se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

Sur les motifs de l'arrêt relatifs à la régularité du titre de perception :

3. Il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si la société requérante a, dans ses écritures devant le tribunal administratif, dans une partie intitulée " Sur l'irrégularité du titre de perception ", qui rassemblait l'ensemble des moyens de légalité soulevés, invoqué un moyen tenant à l'application de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du principe de confiance légitime, ce moyen ne portait pas sur la régularité du titre de perception contesté ou de la procédure par laquelle celui-ci avait été émis, mais, comme les autres moyens invoqués, sur le bien-fondé de la créance dont le titre visait à obtenir le paiement. Par suite, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit, ni ne s'est méprise sur la portée des écritures de la société requérante, en écartant le moyen invoqué devant elle, tiré de la méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, comme reposant sur une cause juridique distincte de celle dont procédaient les moyens de première instance.

Sur les motifs de l'arrêt relatifs à la prescription :

4. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du

13 juillet 2015, applicable au litige : " 1. Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l'aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans. / 2. Le délai de prescription commence le jour où l'aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d'aide individuelle ou dans le cadre d'un régime d'aide. Toute mesure prise par la Commission ou un État membre, agissant à la demande de la Commission, à l'égard de l'aide illégale interrompt le délai de prescription. Chaque interruption fait courir de nouveau le délai. Le délai de prescription est suspendu aussi longtemps que la décision de la Commission fait l'objet d'une procédure devant la Cour de justice de l'Union européenne (...) ".

5. Il résulte de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 30 avril 2020, Nelson Antunes da Cunha Lda (aff. C-627/18), que le délai de prescription de dix ans prévu par ces dispositions s'applique uniquement aux rapports entre la Commission et l'État membre destinataire de la décision de récupération émanant de cette institution, et ne saurait donc être appliqué à la procédure de récupération d'une aide illégale par les autorités nationales compétentes. La cour a précisé qu'en vertu de l'article 16, paragraphe 3 du même règlement, cette récupération s'effectue conformément aux procédures prévues par le droit national, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. Selon la même décision, cette dernière réserve, fondée sur le principe d'effectivité du droit de l'Union, s'oppose à l'application du délai de prescription national au recouvrement d'une aide lorsque ce délai a expiré avant même l'adoption, dans le délai de dix ans, de la décision de la Commission déclarant cette aide illégale et en ordonnant la récupération ou lorsque l'expiration de ce délai résulte principalement du retard mis par les autorités nationales pour exécuter cette décision.

6. Il s'ensuit que la société requérante ne pouvait utilement se prévaloir, au soutien de sa demande de restitution, de ce que le titre de perception contesté aurait été émis après l'expiration du délai de prescription prévu par l'article 17 du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil du 13 juillet 2015. Ce motif doit être substitué à celui par lequel la cour a, au point 5 de son arrêt, écarté l'argumentation de la société tirée de l'invocation de ce délai de prescription, dont il justifie le dispositif sur ce point. Il en résulte que le moyen du pourvoi dirigé contre ce motif doit être écarté comme inopérant

Sur les motifs de l'arrêt relatifs aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime et au respect du droit de propriété :

7. La société requérante soutient que la cour administrative d'appel de Lyon a insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit en écartant comme inopérants les moyens tirés de la méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime ainsi que de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au motif que les autorités françaises étaient tenues de récupérer les aides illégalement attribuées auprès des bénéficiaires, alors qu'elle ne se prévalait pas d'une confiance légitime dans la régularité de l'aide, mais dans la décision, prise en 2010 par l'administration, après avoir consulté la Commission européenne, de ne pas la regarder comme bénéficiaire de l'aide accordée à la société Creapharm Gannat qu'elle a acquise en 2005 puis absorbée en 2008, ainsi que de l'espérance légitime née de cette décision, et qu'elle invoquait des circonstances exceptionnelles, qui lui permettaient de se prévaloir de ces principes à l'encontre d'une mesure de récupération d'une aide déclarée illégale.

8. Toutefois, la société requérante ne pouvait fonder d'espérance légitime sur les assurances erronées ayant motivé la décision du 11 mai 2010, qui ne lui avaient été données qu'après l'acquisition de l'entreprise bénéficiaire de l'aide, ni invoquer de confiance légitime en ces assurances. Ce motif, qui répond aux moyens invoqués devant la cour et repose sur des faits constants, doit être substitué à ceux qu'a retenus la cour administrative d'appel au point 7 de l'arrêt attaqué, dont il justifie sur ce point le dispositif. Il en résulte que le moyen du pourvoi dirigé contre ces motifs doit être écarté comme inopérant

Sur la demande de renvoi d'une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne :

9. D'une part, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour écarter la demande de la société requérante tendant à ce que soit transmise à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle relative à la validité de la décision de la Commission du 16 décembre 2003, dans la mesure où, selon elle, les dispositions de l'article 44 septies du code général des impôts n'auraient pas instauré une aide d'Etat ayant un caractère sélectif, au sens du 1 de l'article 87 du traité instituant la Communauté européenne devenu l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et où, en tout état de cause, cette aide aurait été justifiée par la nature ou l'économie générale du système fiscal français, la cour administrative d'appel a relevé sans, en tout état de cause, erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits qui lui étaient soumis, que cette exonération n'était pas destinée à toutes les entreprises, dès lors qu'elle ne visait que les sociétés nouvellement créées pour reprendre l'activité industrielle d'entreprises en difficulté dans le cadre d'une procédure collective ou obtenant l'agrément du ministère des finances ou des collectivités locales, et que la société requérante ne démontrait pas que cette mesure résultait directement de la nature ou l'économie générale du système fiscal français. Si la cour a ajouté que l'aide ne concernait " dans les faits et à titre quasi exclusif ", que les seules entreprises du secteur industriel, il s'agit d'un motif surabondant. Le moyen tiré de ce que ce motif serait erroné est par suite inopérant.

10. D'autre part, la circonstance que l'analyse au terme de laquelle la Commission a déclaré que les exonérations prévues à l'article 44 septies du code général des impôts, autres que celles qui remplissent les conditions d'octroi des aides de minimis, des aides à finalité régionale et des aides en faveur des petites et moyennes entreprises, affectaient sans justification les échanges intracommunautaires, faussaient ou risquaient de fausser la concurrence et constituaient ainsi des aides d'Etat illégales, n'aurait porté que sur une partie du champ de l'aide, était sans incidence sur la validité de son raisonnement. Par suite, en ne répondant pas à l'argument inopérant tiré de ce que les informations communiquées par les autorités françaises n'auraient concerné que les exonérations accordées sur agrément du ministre chargé du budget et non l'exonération de plein droit, la cour administrative d'appel n'a ni insuffisamment motivé son arrêt ni commis d'erreur de droit.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de la société Unither Industries doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la société Unither Industries est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Unither Industries et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 mars 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,

Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge,

M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.

Rendu le 7 mai 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Benoît Chatard

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 493196
Date de la décision : 07/05/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 07 mai. 2025, n° 493196
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Benoît Chatard
Rapporteur public ?: M. Bastien Lignereux
Avocat(s) : SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:493196.20250507
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