Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 juin 2024 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé son transfert aux autorités polonaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2408431 du 23 juillet 2024, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Montreuil a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis d'enregistrer la demande d'asile de Mme A... en procédure normale et de lui délivrer l'attestation correspondante dans un délai de quinze jours à compter de la notification de sa décision.
Par une ordonnance n° 24PA03787, 24PA03788 du 27 août 2024, enregistrée le 28 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi et la requête à fin de sursis à exécution, présentés par le préfet de la Seine-Saint-Denis, enregistrés le 19 août 2024 au greffe de cette cour.
1° Sous le n° 497307, par ce pourvoi, que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur s'est approprié, et un nouveau mémoire, enregistré le 24 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, ce ministre demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de Mme A....
2° Sous le n° 497308, par cette requête, que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur s'est appropriée, et un nouveau mémoire, enregistré le 24 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, ce ministre demande au Conseil d'Etat d'ordonner le sursis à exécution du jugement du 23 juillet 2024.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Le pourvoi et la requête visés ci-dessus sont dirigés contre le même jugement du tribunal administratif de Montreuil. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant ".
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 571-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes de l'article L. 572-4 du même code : " Sans préjudice de l'article L. 352-4, la décision de transfert mentionnée à l'article L. 572-1 peut être contestée devant le tribunal administratif selon la procédure prévue à l'article L. 921-1 ou, lorsque l'étranger est placé en rétention administrative, selon la procédure prévue à l'article L. 921-2. " Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article R. 922-26 du même code prévoit que : " Le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les recours contre les décisions de transfert mentionnées à l'article L. 572-1 ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis. Un nouveau délai, de même durée, commence à courir à compter de la date à laquelle le jugement du tribunal administratif statuant au principal sur cette demande est notifié à l'administration, quel que soit le sens de cette décision. Ni l'introduction d'un pourvoi en cassation, ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge de cassation sur une demande présentée en application de l'article R. 821-5 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
5. La requête de Mme A... devant le tribunal administratif de Montreuil a interrompu le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par la Pologne. Un nouveau délai de six mois a commencé à courir à compter de la notification à l'Etat du jugement du tribunal administratif, le 23 juillet 2024, qui n'a pas été interrompu par le pourvoi formé par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la France est devenue responsable de l'examen de la demande de protection de Mme A.... Le litige étant dès lors privé d'objet, il n'y a plus lieu d'y statuer.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y pas lieu de statuer sur le pourvoi et la requête du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Mme B... A....
Délibéré à l'issue de la séance du 2 avril 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pascal Trouilly, conseillers d'Etat et Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 6 mai 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Amélie Fort-Besnard
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard