La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/05/2025 | FRANCE | N°473804

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 06 mai 2025, 473804


Vu la procédure suivante :



La société Suez RV Osis FM a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 31 octobre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale du Gard a autorisé le transfert du contrat de travail de M. A... B..., salarié de la société Méditerranéenne de Nettoiement, la décision de cet inspecteur du travail du 27 novembre 2018 retirant sa précédente décision du 31 octobre 2018 et autorisant le transfert du contrat de travail de l'intéressé ainsi que la décision d

e la ministre du travail du 25 juin 2019 rejetant son recours hiérarchique. Par u...

Vu la procédure suivante :

La société Suez RV Osis FM a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 31 octobre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale du Gard a autorisé le transfert du contrat de travail de M. A... B..., salarié de la société Méditerranéenne de Nettoiement, la décision de cet inspecteur du travail du 27 novembre 2018 retirant sa précédente décision du 31 octobre 2018 et autorisant le transfert du contrat de travail de l'intéressé ainsi que la décision de la ministre du travail du 25 juin 2019 rejetant son recours hiérarchique. Par un jugement nos 1803557, 1803719, 1902684 du 19 novembre 2020, le tribunal administratif a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 21TL00272 du 7 mars 2023, sur appel de la société Suez RV Osis FM, la cour administrative d'appel de Toulouse a annulé le jugement du tribunal administratif et les décisions de l'inspecteur du travail du 27 novembre 2018 et de la ministre chargée du travail du 25 juin 2019, seules décisions dont l'annulation était demandée en appel.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 mai, 3 août et 26 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Méditerranéenne de Nettoiement demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Suez RC FM, anciennement dénommée Suez RV Osis FM, la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Fraval, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Corlay, avocat de la société Méditerranéenne de Nettoiement ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, en raison de la perte du marché de gestion des déchets de l'usine Perrier de Vergèze (Gard) détenue par la société Nestlé Waters Supply Sud, la société Méditerranéenne de Nettoiement a demandé à l'inspecteur du travail de l'unité départementale du Gard l'autorisation de transférer à la société Suez RV Osis FM, nouvel attributaire du marché, le contrat de travail de M. A... B..., agent de tri sur le site de Vergèze et ancien délégué du personnel, dont le mandat avait expiré depuis moins de six mois. Par une décision du 31 octobre 2018, l'inspecteur du travail de l'unité départementale du Gard a autorisé ce transfert en application de l'avenant n° 42 du 5 avril 2012 à la convention collective nationale des activités du déchet et relatif aux conditions de reprise du personnel non cadre. Par une décision du 27 novembre 2018, faisant droit au recours gracieux de la société Méditerranéenne de Nettoiement, l'inspecteur du travail a retiré sa décision du 31 octobre 2018, au motif que cet avenant n'était pas applicable, et a autorisé le transfert du contrat de travail de M. B... à la société Suez RV Osis FM sur le fondement des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail. Par une décision du 25 juin 2019, la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par la société Suez RC FM contre cette décision. Par un jugement du 19 novembre 2020, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de la société Suez RC FM tendant à l'annulation des décisions de l'inspecteur du travail des 31 octobre et 27 novembre 2018 et de celle de la ministre du travail du 25 juin 2019. La société Méditerranéenne de Nettoiement se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 7 mars 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Toulouse a, sur appel de la société Suez RC FM, annulé le jugement du tribunal administratif du 19 novembre 2020 et les décisions de l'inspecteur du travail du 27 novembre 2018 et de la ministre du travail du 25 juin 2019, seules décisions dont l'annulation était demandée en appel.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ". Aux termes de l'article L. 2414-1 du même code, dans sa version applicable au litige : " Le transfert d'un salarié compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement par application de l'article L. 1224-1 ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail lorsqu'il est investi de l'un des mandats suivants : (...) / 2° Délégué du personnel ; / (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2421-9 du code du travail : " Lorsque l'inspecteur du travail est saisi d'une demande d'autorisation de transfert, en application de l'article L. 2414-1, à l'occasion d'un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement, il s'assure que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire ".

3. Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation du transfert du contrat de travail d'un salarié protégé présentée en application de ces dispositions, il appartient à l'autorité administrative, en premier lieu, de vérifier que les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail sont applicables au transfert partiel d'entreprise ou d'établissement en cause, ce qui suppose qu'il concerne une entité économique autonome. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité qui poursuit un objectif propre, conservant son identité, et dont l'activité est poursuivie par le nouvel employeur. Si la perte d'un marché n'entraîne pas, en elle-même, le transfert des contrats de travail, il en va autrement lorsque l'exécution d'un marché de prestation de services par un nouveau titulaire s'accompagne du transfert d'une entité économique autonome. Il appartient à l'administration de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, l'existence d'un tel transfert en procédant à une appréciation de l'ensemble des circonstances de fait. Lorsque les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail sont applicables, l'autorité administrative doit, en second lieu, contrôler que le salarié protégé susceptible d'être transféré ne fait pas l'objet à cette occasion d'une mesure discriminatoire. A ce titre, elle doit s'assurer, d'une part, que le contrat de travail du salarié protégé est en cours au jour de la modification intervenue dans la situation juridique de l'employeur, d'autre part, que ce salarié exerce ses fonctions dans l'entité transférée.

4. Il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé que les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail ne sont pas applicables lorsqu'une entreprise perd un marché, repris par une autre entreprise, ce dont elle a déduit que le transfert du contrat de travail de M. B... à la société Suez RV Osis FM, qui avait repris le marché de gestion des déchets du site de Vergèze à la place de l'entreprise employant M. B..., ne pouvait être légalement autorisé. En statuant ainsi, alors que, comme il a été dit au point 3, si la perte d'un marché n'entraîne pas, en elle-même, le transfert des contrats de travail, il en va autrement lorsque l'exécution d'un marché de prestation de services par un nouveau titulaire s'accompagne du transfert d'une entité économique autonome, la cour, qui aurait ainsi dû rechercher s'il y avait eu, en l'espèce, un tel transfert, a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, la société Méditerranéenne de Nettoiement est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Suez RC FM une somme de 3 000 euros à verser à la société Méditerranéenne de Nettoiement au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Méditerranéenne de Nettoiement, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 7 mars 2023 de la cour administrative d'appel de Toulouse est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Toulouse.

Article 3 : La société Suez RC FM versera une somme de 3 000 euros à la société Méditerranéenne de Nettoiement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société Suez RC FM présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Méditerranéenne de Nettoiement, à la société Suez RC FM, à M. A... B... et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 473804
Date de la décision : 06/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-075 TRAVAIL ET EMPLOI. - TRANSFERTS. - DEMANDE D’AUTORISATION DE TRANSFERT D’UN SALARIÉ PROTÉGÉ – VÉRIFICATION PAR L’ADMINISTRATION DE CE QUE L’ARTICLE L. 1224-1 DU CODE DU TRAVAIL S’APPLIQUE [RJ1] – CHAMP DE CET ARTICLE – CAS DE LA REPRISE D’UN MARCHÉ DE PRESTATION DE SERVICES PAR UN NOUVEAU TITULAIRE – INCLUSION, LORSQUE L’EXÉCUTION DU MARCHÉ S’ACCOMPAGNE DU TRANSFERT D’UNE ENTITÉ ÉCONOMIQUE AUTONOME.

66-075 Si la perte d'un marché n'entraîne pas, en elle-même, le transfert des contrats de travail, il en va autrement lorsque l'exécution d'un marché de prestation de services par un nouveau titulaire s'accompagne du transfert d'une entité économique autonome. Il appartient à l’administration de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, l’existence d’un tel transfert en procédant à une appréciation de l'ensemble des circonstances de fait.


Publications
Proposition de citation : CE, 06 mai. 2025, n° 473804
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Cécile Fraval
Rapporteur public ?: M. Cyrille Beaufils
Avocat(s) : CORLAY ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:473804.20250506
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award