Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 juillet et 22 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat national des ophtalmologistes de France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-617 du 27 juin 2024 relatif à l'adaptation de la prescription par l'opticien-lunetier lors de la première délivrance de verres correcteurs ou de lentilles de contact ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Le Syndicat national des ophtalmologistes de France demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 27 juin 2024 relatif à l'adaptation de la prescription par l'opticien-lunetier lors de la première délivrance de verres correcteurs ou de lentilles de contact.
2. En premier lieu, ni les dispositions du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, en vertu desquelles toute décision prise par une administration doit comporter la signature de son auteur, ni aucun autre texte ou aucun principe n'imposent que, lorsqu'une telle décision fait l'objet d'une publication, cette signature figure sur le document tel qu'il est publié. Il suit de là que le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué serait entaché d'illégalité externe au motif que, tel qu'il a été publié au Journal officiel de la République française, il ne comporte pas la signature manuscrite du Premier ministre et celle des ministres chargés de son exécution.
3. En second lieu, l'article L. 4362-10 du code de la santé publique dispose que : " La délivrance de verres correcteurs est subordonnée à l'existence d'une prescription, par un médecin ou un orthoptiste, en cours de validité. / Les opticiens-lunetiers peuvent, lors de la première délivrance de verres correcteurs ou de lentilles de contact suivant la prescription, adapter cette prescription après accord écrit du praticien prescripteur. / Les opticiens-lunetiers peuvent adapter, dans le cadre d'un renouvellement, les prescriptions initiales de verres correcteurs en cours de validité, sauf opposition du médecin ou de l'orthoptiste. / Les opticiens-lunetiers peuvent également adapter, dans le cadre d'un renouvellement, les corrections optiques des prescriptions initiales de lentilles de contact oculaire, sauf opposition du médecin ou de l'orthoptiste. / Les opticiens-lunetiers ne peuvent adapter et renouveler les prescriptions initiales de verres correcteurs et de lentilles de contact oculaire délivrées en application du 1° de l'article L. 4342-1 qu'à la condition qu'un bilan visuel ait été réalisé préalablement par un médecin ophtalmologiste, dans des conditions fixées par décret. (...) ". L'article L. 4362-11 de ce code prévoit que : " Sont déterminées par décret, par dérogation aux dispositions de l'article L. 5211-5 : (...) 3° Les conditions des adaptations prévues aux deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 4362-10 et la durée au cours de laquelle elles peuvent être effectuées. Cette durée peut varier notamment en fonction de l'âge ou de l'état de santé du patient (...) ".
4. L'article 1er du décret attaqué remplace, au a) de son 1°, le premier alinéa de l'article D. 4362-11-1 du code de la santé publique par les dispositions suivantes : " I.- Dans le cadre d'une première délivrance de lentilles de contact oculaire, l'opticien-lunetier peut, après réalisation d'un examen de la réfraction, adapter les corrections optiques prescrites, sauf opposition du prescripteur mentionnée expressément sur l'ordonnance et à condition d'avoir obtenu une réponse favorable ou réputée favorable de la part du prescripteur, dans les conditions prévues au deuxième alinéa du présent article. / L'opticien-lunetier sollicite l'accord écrit du prescripteur pour adapter la prescription initiale, en l'informant de l'adaptation envisagée. Cette réponse écrite est transmise par le prescripteur dans les dix jours ouvrables suivant la demande de l'opticien-lunetier. La sollicitation, par l'opticien-lunetier, du prescripteur et la réponse de ce dernier sont transmises par messagerie sécurisée ou par tout moyen permettant de garantir la confidentialité des échanges. Cette réponse est conservée par l'opticien-lunetier jusqu'à l'expiration de la durée de validité de l'ordonnance. En l'absence de réception de la réponse écrite dans le même délai de dix jours, la réponse du prescripteur est réputée favorable. (...) " Le même article 1er du décret attaqué remplace, au a) de son 2°, l'article D. 4362-12-1 du même code par les dispositions suivantes : " I.- Dans le cadre d'une première délivrance de verres correcteurs, l'opticien-lunetier peut, après réalisation d'un examen de la réfraction, adapter la prescription, sauf opposition du prescripteur mentionnée expressément sur l'ordonnance et à condition d'avoir obtenu une réponse favorable ou réputée favorable de la part du prescripteur, dans les conditions prévues au deuxième alinéa du présent article. / L'opticien-lunetier sollicite l'accord écrit du prescripteur pour adapter la prescription initiale, en l'informant de l'adaptation envisagée. Cette réponse écrite est transmise par le prescripteur dans les dix jours ouvrables suivant la demande de l'opticien-lunetier. La sollicitation, par l'opticien-lunetier, du prescripteur et la réponse de ce dernier sont transmises par messagerie sécurisée ou par tout moyen permettant de garantir la confidentialité des échanges. Cette réponse est conservée par l'opticien-lunetier jusqu'à l'expiration de la durée de validité de l'ordonnance. En l'absence de réception de la réponse écrite dans le même délai de dix jours, la réponse du prescripteur est réputée favorable. (...) "
5. Il résulte des dispositions de l'article L. 4362-10 du code de la santé publique citées au point 3 que, pour la première délivrance de verres correcteurs ou de lentilles de contact, l'adaptation de la prescription par les opticiens-lunetiers ne peut intervenir qu'après accord écrit du praticien prescripteur. Par suite, en prévoyant, au second alinéa du I de l'article D. 4362-11-1 du code de la santé publique et au second alinéa du I de l'article D. 4362-12-1 de ce code, que la réponse du prescripteur est réputée favorable en l'absence de sa réponse écrite dans le délai de dix jours ouvrables suivant la demande d'adaptation du l'opticien-lunetier, le pouvoir réglementaire a méconnu l'article L. 4362-10 du code de la santé publique.
6. Il s'ensuit que le Syndicat national des ophtalmologistes de France est fondé à demander l'annulation des dispositions de l'article 1er du décret contesté en tant seulement qu'elles prévoient, au second alinéa du I de l'article D. 4362-11-1 et au second alinéa du I de l'article D. 4362-12-1 du code de la santé publique, qu'" En l'absence de réception de la réponse écrite dans le même délai de dix jours, la réponse du prescripteur est réputée favorable ".
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par le Syndicat national des ophtalmologistes de France.
D E C I D E :
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Article 1er : Le a) du 1° et le b) du 2° de l'article 1er du décret du 27 juin 2024 sont annulés en tant qu'ils modifient les articles D. 4362-11-1 et D. 4362-12-1 du code de la santé publique pour prévoir respectivement, au second alinéa du I de l'article D. 4362-11-1 et au second alinéa du I de l'article D. 4362-12-1 du code de la santé publique, qu'" En l'absence de réception de la réponse écrite dans le même délai de dix jours, la réponse du prescripteur est réputée favorable ".
Article 2 : L'Etat versera au Syndicat national des ophtalmologistes de France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du Syndicat national des ophtalmologistes de France est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au Syndicat national des ophtalmologistes de France, au Premier ministre et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré à l'issue de la séance du 2 avril 2025 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Edouard Geffray, conseiller d'Etat et M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 2 mai 2025.
La présidente :
Signé : Mme Gaëlle Dumortier
Le rapporteur :
Signé : M. Cyril Noël
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly