Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 avril et 1er octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée Novartis Pharma demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du Comité économique des produits de santé du 21 juillet 2023 fixant à 18,39 euros le prix de référence de la spécialité Tabrecta pour le calcul de la remise due à raison du chiffre d'affaires réalisé du 1er janvier 2016 au 10 août 2023, en application de l'article L. 162-16-5-1 du code de la sécurité sociale, ensemble la décision du 18 janvier 2024 rejetant son recours gracieux du 11 décembre 2023 ;
2°) de fixer le prix de référence de la spécialité Tabrecta à 83,69 euros, de réduire à 3 569 248 euros le montant de la remise et de la décharger de la somme de 5 701 741 euros correspondant à la différence entre le montant de 9 270 989 euros résultant de la décision contestée et ce montant ;
3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au Comité économique des produits de santé de fixer le prix de référence de la spécialité Tabrecta à 83,69 euros ou, à défaut, de déterminer ce prix sur la base du coût de traitement journalier établi pour le comparateur pertinent Xalkori, de réduire le montant de la remise à 3 569 248 euros ou, à défaut, au montant résultant de ce prix appliqué au chiffre d'affaires réalisé sur la période du 1er janvier 2021 au 10 août 2022 et d'assortir ces injonctions d'un délai d'exécution ne pouvant excéder deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir et d'une astreinte journalière de 3 000 euros.
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 avril 2025, présentée par la société Novartis Pharma ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que, sur le fondement de l'article L. 5121-12 du code de la santé publique et de l'article L. 162-16-5-1 du code de la sécurité sociale, la spécialité Tabrecta (capmatinib), exploitée par la société Novartis Pharma, a bénéficié, le 26 juin 2019, d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) nominative puis, le 17 juin 2021, d'une autorisation temporaire d'utilisation dite " de cohorte ", dans l'indication : " en monothérapie pour le traitement des patients adultes atteints d'un cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) avancé présentant une mutation qui entraîne le saut de l'exon 14 au niveau du gène du facteur de transition mésenchymato-épithéliale (METex14), qui nécessitent un traitement systémique après un traitement antérieur par immunothérapie et/ou chimiothérapie à base de platine ". Par arrêté du 2 août 2022, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont mis fin, à compter du 10 août 2022, à la prise en charge de la spécialité Tabrecta au titre de l'autorisation temporaire d'utilisation de cohorte. Pour déterminer la " remise " à reverser aux unions pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales, prévue dans un tel cas par les III et IV de l'article L. 162-16-5-1 du code de la sécurité sociale, le Comité économique des produits de santé a adressé le 3 mai 2022 à la société Novartis Pharma un projet de fixation de prix de référence de la spécialité Tabrecta puis, par une décision du 21 juillet 2023 prise après l'audition de la société le 13 juillet 2023, a fixé ce prix de référence à 18,39 euros pour la période du 1er janvier 2016 au 10 août 2023, obtenu à partir du prix de la spécialité Alimta après application d'une décote de 30 %. La société requérante demande l'annulation de cette décision et du rejet de son recours gracieux.
Sur le cadre juridique applicable :
2. Le B du IV de l'article 78 de la loi du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021, qui a réformé le système d'accès dérogatoires et de prise en charge des médicaments notamment en remplaçant le régime de l'autorisation temporaire d'utilisation dite " de cohorte " par celui de l'autorisation d'accès précoce, dispose que : " Les autorisations temporaires d'utilisation délivrées au titre de l'article L. 5121-12 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, et dont l'échéance est postérieure à la date mentionnée au A du présent IV [soit le 1er juillet 2021] demeurent régies jusqu'à leur terme, notamment en ce qui concerne leur prise en charge par l'assurance maladie, par les dispositions du code de la santé publique et du code de la sécurité sociale dans leur rédaction antérieure à la présente loi. (...) " et que : " Les dispositions de l'article L. 162-16-5-4 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction antérieure à la présente loi restent applicables aux autorisations temporaires d'utilisation délivrées antérieurement à la date mentionnée au A du présent IV ". La spécialité Tabrecta ayant fait l'objet en dernier lieu d'une autorisation temporaire d'utilisation dite " de cohorte " délivrée le 17 juin 2021 au titre de l'article L. 5121-12 du code de la santé publique dans sa rédaction antérieure à la loi du 14 décembre 2020, sont en l'espèce applicables les dispositions du code de la santé publique et du code de la sécurité sociale relatives au régime de l'autorisation temporaire d'utilisation, notamment les articles L. 165-16-5-1 et L. 165-5-4 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction antérieure à cette loi.
3. Il résulte du III de l'article L. 162-16-5-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, que, lors d'une première inscription d'une spécialité au remboursement au titre d'une autorisation de mise sur le marché, le laboratoire verse une remise égale à la différence entre le chiffre d'affaires facturé aux établissements de santé, au titre de la période s'étendant de l'obtention de l'autorisation temporaire d'utilisation à la première date d'inscription au remboursement, et celui qui aurait résulté de la valorisation des unités vendues au prix net de référence de cette spécialité. Le IV de ce même article prévoit que les dispositions de son III sont également applicables lorsque, comme en l'espèce, pour une indication thérapeutique, il est mis fin à la prise en charge au titre de l'autorisation temporaire d'utilisation, sans qu'une prise en charge dite " post-ATU " ou au titre d'une autorisation de mise sur le marché soit mise en place.
4. Il résulte du IV de l'article L. 162-16-5-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, que, lorsqu'une spécialité ayant bénéficié d'une autorisation temporaire d'utilisation cesse d'être prise en charge dans les conditions mentionnées au point 3, " le Comité économique des produits de santé peut retenir un prix de référence (...) en fonction des critères de fixation et de modification des prix et tarifs prévus aux articles L. 162-16-4, L. 162-16-5 et L. 162-16-6 ", c'est-à-dire en fonction des critères qui régissent la fixation du prix de vente au public des spécialités inscrites respectivement sur la liste des médicaments remboursables, sur la liste de rétrocession hospitalière ou sur la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation. Aux termes de l'article L. 162-16-4 du même code, la fixation du prix de vente au public des médicaments " tient compte principalement de l'amélioration du service médical rendu par le médicament, le cas échéant des résultats de l'évaluation médico-économique, des prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente prévus ou constatés ainsi que des conditions prévisibles et réelles d'utilisation du médicament ".
Sur les moyens soulevés :
En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance de motivation et de la méconnaissance de la directive 89/105/CEE :
5. L'article 1er de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance-maladie prévoit que : " 1. Les États membres veillent à ce que toute mesure nationale, qu'elle soit de nature législative, réglementaire ou administrative, en vue de contrôler les prix des médicaments à usage humain ou de restreindre la gamme des médicaments couverts par leurs systèmes nationaux d'assurance-maladie, soit conforme aux exigences de la présente directive. (...) ". En vertu de l'article 2 de cette directive : " (...) lorsque la commercialisation d'un médicament n'est autorisée qu'après que les autorités compétentes de l'État membre intéressé ont approuvé le prix du produit : (...) 2) Si les autorités compétentes décident de ne pas autoriser la commercialisation du médicament en question au prix proposé par le demandeur, la décision comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables (...) ".
6. Il ressort de la décision contestée que le Comité économique des produits de santé, pour calculer le prix de référence de la spécialité Tabrecta, a, compte tenu de son service médical rendu insuffisant, décidé d'appliquer une décote de 30 % au prix du comparateur retenu. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'application de cette décote n'est pas motivée et ne repose pas sur un critère objectif et vérifiable.
En ce qui concerne les moyens contestant le prix de référence retenu :
7. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir obtenu le 20 juin 2022 une autorisation de mise sur le marché pour la spécialité Tabrecta dans l'indication précitée, la société Novartis Pharma a soumis à la Haute Autorité de santé une demande d'autorisation d'accès précoce sur laquelle la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé a émis un avis défavorable le 6 juillet 2022 et qui a été rejetée le 13 juillet 2022 par la Haute Autorité de santé, en raison notamment de l'existence d'un autre traitement approprié disponible en accès compassionnel. La société Novartis Pharma a ensuite déposé une demande d'inscription de la spécialité Tabrecta sur la liste visée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique et la liste mentionnée à l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale. Le 18 janvier 2023, la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé a émis un avis défavorable à cette inscription, au motif que le service médical rendu par la spécialité Tabrecta était insuffisant.
8. En premier lieu, par ses avis du 6 juillet 2022 et du 18 janvier 2023, la commission de la transparence a considéré que la spécialité Tabrecta avait pour comparateurs cliniquement pertinents le Tepmetko (tepotinib), le Xalkori (crizotinib), ainsi que plusieurs médicaments de chimiothérapie ou d'immunothérapie, dont relève notamment la spécialité Alimta, et qui, contrairement à ce que soutient la société requérante, occupent tous la même place dans la stratégie thérapeutique dès lors qu'ils peuvent tous être utilisés en deuxième ligne et plus après l'échec d'un traitement par chimiothérapie ou immunothérapie. Il s'ensuit que le Comité économique des produits de santé, qui n'était pas tenu de justifier sa décision au regard des conclusions de l'avis du 6 juillet 2022, qu'au demeurant elle ne contredisait pas, pouvait, sans erreur de droit ni erreur manifeste d'appréciation, regarder la spécialité Alimta comme un médicament à même visée thérapeutique au sens de de l'article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale et calculer le prix de référence de la spécialité Tabrecta à partir de son prix.
9. En deuxième lieu, le Comité économique des produits n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale, qui au demeurant ne fixe pas une liste exhaustive des éléments permettant de justifier le prix d'une spécialité, en appliquant, pour fixer le prix de référence de la spécialité Tabrecta, dont le service médical rendu est, comme il a été dit, insuffisant, une décote de 30 % au prix de la spécialité Alimta, dont le service médical rendu est important.
En ce qui concerne le moyen contestant la période prise en compte pour le calcul de la remise :
10. Il résulte du I de l'article L. 162-16-5-4 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable, d'une part, que la prise en charge, en application de l'article L. 162-16-5-1-1 du même code, d'une spécialité pharmaceutique disposant, pour une indication particulière, d'une autorisation temporaire d'utilisation en application de l'article L. 5121-12 du code de la santé publique, implique l'engagement par le laboratoire exploitant la spécialité de permettre d'assurer la continuité des traitements pendant une durée d'au moins un an à compter de l'arrêt de cette prise en charge et, d'autre part, que, durant cette période de continuité de traitement postérieure à la prise en charge au titre de l'article L. 162-16-5-1-1, " les conditions de prise en charge, le cas échéant, fixées par le Comité économique des produits de santé s'appliquent ".
11. Il résulte par ailleurs des dispositions du III et du IV de l'article L. 162-16-5-1 du code de la sécurité sociale que la remise prévue en cas de fin de la prise en charge d'une spécialité au titre de l'autorisation temporaire d'utilisation est calculée à partir du chiffre d'affaires réalisé sur les ventes de la spécialité durant la période s'étendant de l'obtention de l'autorisation temporaire d'utilisation à la fin de la prise en charge de la spécialité au titre de cette autorisation. Il résulte des dispositions citées au point 10 que cette période inclut nécessairement la période de continuité des traitements.
12. Il s'ensuit que le Comité économique des produits de santé n'a pas méconnu ces dispositions en prenant en compte, pour le calcul de la remise, la période du 10 août 2022 au 10 août 2023 correspondant à la continuité de traitements postérieure à l'arrêt de la prise en charge de la spécialité Tabrecta. En outre, dès lors que le montant de la remise est obtenu à partir du chiffre d'affaires réalisé sur les ventes de la spécialité Tabrecta dans le cadre de l'autorisation temporaire d'utilisation, la circonstance que l'administration ait mentionné que la période de calcul de la remise commençait à courir à une date antérieure au 1er janvier 2021, date de délivrance de la première autorisation temporaire d'utilisation payante, n'a aucune incidence sur le calcul de la remise.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de présentées par la société Novartis Pharma doivent être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, de ses conclusions à fin d'injonction et de celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société Novartis Pharma est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Novartis Pharma, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 2 avril 2025 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Edouard Geffray, conseiller d'Etat et M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 2 mai 2025.
La présidente :
Signé : Mme Gaëlle Dumortier
Le rapporteur :
Signé : M. Cyril Noël
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly