Vu la procédure suivante :
L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) de la Villa a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2019 par lequel le préfet de la Marne a refusé de lui délivrer une dérogation aux règles de distance d'implantation par rapport aux tiers de son élevage soumis à déclaration au titre de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement.
Par un jugement n° 1902707 du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé l'arrêté du 11 octobre 2019 et enjoint au préfet de la Marne de réexaminer la demande de dérogation sollicitée dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Par un arrêt n° 21NC02482 du 19 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 décembre 2023 et 21 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 27 décembre 2013 du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à déclaration sous les rubriques nos 2101-1, 2101-2, 2101-3, 2102 et 2111 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de la EARL de la villa ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un acte du 3 avril 2018, l'EARL de la Villa, qui exploitait un élevage de quatre-vingt vaches allaitantes sur le territoire de la commune de Servon-Melzicourt (Marne), a acquis des bâtiments sur un terrain non contigu, utilisés précédemment pour un élevage de quarante vaches laitières, en vue de développer son activité et porter son élevage à cent-vingt vaches allaitantes. Le 23 juin 2018, l'EARL a déposé un dossier de déclaration, au titre de la rubrique n° 2101 de la nomenclature des installations classées, accompagné d'une demande de dérogation à la règle de distance par rapport aux habitations. Par un arrêté du 11 octobre 2019, le préfet de la Marne a rejeté cette demande. Par un jugement du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de la Marne de réexaminer la demande de dérogation présentée par l'EARL en vue, le cas échéant, de fixer les prescriptions qui, selon lui, seraient strictement nécessaires pour garantir la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 19 octobre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté son appel contre ce jugement.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 512-10 du code de l'environnement : " Pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, le ministre chargé des installations classées peut fixer par arrêté (...) les prescriptions générales applicables à certaines catégories d'installations soumises à déclaration. / Ces arrêtés (...) précisent également les conditions dans lesquelles ces prescriptions peuvent être adaptées par arrêté préfectoral aux circonstances locales ". Sur le fondement de ces dispositions, le ministre chargé des installations classées a adopté, le 27 décembre 2013, un arrêté relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à déclaration sous les rubriques nos 2101-1, 2101-2, 2101-3, 2102 et 2111. En vertu de l'article 1er de cet arrêté, les installations soumises à déclaration sous les rubriques nos 2101-1, 2101-2 et 2101-3 (élevages de bovins) de la nomenclature sont soumises aux dispositions figurant à son annexe I. Il résulte du paragraphe 2.1 de cette annexe que les bâtiments d'élevage et leurs annexes doivent être implantés à une distance minimale de 100 mètres des habitations ou locaux habituellement occupés par des tiers ainsi que des zones destinées à l'habitation par des documents d'urbanisme opposables aux tiers. Le même paragraphe précise toutefois que cette distance peut être réduite à " 50 mètres lorsqu'il s'agit de bâtiments d'élevage de bovins sur litière accumulée (...) ". Aux termes de l'article 2 du même arrêté : " Le préfet peut, en application de l'article L. 512-10 du code de l'environnement, adapter aux circonstances locales, installation par installation, les prescriptions du présent arrêté dans les conditions prévues à l'article R. 512-52 du code de l'environnement ". Cet article R. 512-52 dispose enfin que : " Si le déclarant veut obtenir la modification de certaines des prescriptions applicables à l'installation en vertu de l'article L. 512-10 (...), il adresse une demande au préfet, qui statue par arrêté. / (...) L'arrêté préfectoral est pris sur le rapport de l'inspection des installations classées et, si le préfet décide de le recueillir, après avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (...) ".
3. D'autre part, en vertu du premier alinéa de l'article L. 512-12 du code de l'environnement : " Si les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 ne sont pas garantis par l'exécution des prescriptions générales contre les inconvénients inhérents à l'exploitation d'une installation soumise à déclaration, le préfet, éventuellement à la demande des tiers intéressés (...), peut imposer par arrêté toutes prescriptions spéciales nécessaires ".
4. En premier lieu, il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 512-10, L. 512-12 et R. 512-52 du code de l'environnement et de l'arrêté du 27 décembre 2013 rappelées ci-dessus que le préfet peut, pour une installation déterminée, adapter par arrêté les règles de distance définies par le paragraphe 2.1 de l'annexe I de cet arrêté, au vu d'un rapport de l'inspection des installations classées et après avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques, en assortissant éventuellement sa décision de prescriptions spéciales.
5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que pour annuler le refus du préfet d'accorder la dérogation aux règles de distance sollicitée par l'EARL de la Villa, la cour a relevé que le projet litigieux ne nécessitait aucune modification des bâtiments précédemment utilisés pour l'élevage de quarante vaches allaitantes, prévoyait d'accueillir le même nombre d'animaux uniquement pendant la période hivernale et a estimé, au vu de l'activité précédemment exercée dans ces bâtiments, que les nuisances liées à la nouvelle activité ne seraient pas aggravées. En prenant notamment en compte, pour statuer ainsi, les conditions passées de l'exploitation bovine en cause, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
6. En second lieu, l'article L. 512-12 du code de l'environnement, applicable aux installations soumises à déclaration, donne au préfet la faculté d'imposer par arrêté, selon des modalités qu'il fixe, des prescriptions spéciales pour assurer la sauvegarde des intérêts protégés par l'article L. 511-1 du même code. En jugeant que le tribunal administratif était, en conséquence de l'annulation du refus de dérogation qu'il avait prononcée, fondé à enjoindre au préfet de fixer les prescriptions nécessaires pour garantir la protection des intérêts mentionnés à cet article L. 511-1, la cour, qui a porté sur les faits une appréciation souveraine exempte de dénaturation, n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit.
7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Son pourvoi doit, par suite, être rejeté. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à l'EARL de la Villa, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à l'EARL de la Villa une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et à l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) de la Villa.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 mars 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 2 mai 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Juliette Mongin
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo