Vu la procédure suivante :
Mme B... A..., agissant en qualité de représentante légale de Mme C... A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite, née le 28 avril 2022, par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Dakar (Sénégal) refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à Mme C... A.... Par un jugement n° 2207089 du 28 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à l'intéressée le visa sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.
Par un arrêt n° 23NT01255 du 24 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Nantes a, sur appel du ministre de l'intérieur et des outre-mer, annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par Mme A... devant ce tribunal.
Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés les 29 décembre 2023 et 9 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la SCP Fabiani-Pinatel, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Didier Ribes, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Fabiani-Pinatel, avocat de Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., ressortissante française, après avoir obtenu, par jugement du 16 juillet 2019 du tribunal hors classe de Dakar (Sénégal), une " délégation de puissance paternelle " sur sa nièce, C... A..., ressortissante sénégalaise née en 2013, a sollicité pour cette dernière, auprès des autorités consulaires françaises à Dakar, la délivrance d'un visa de long séjour portant la mention " visiteur ". Mme A... a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'un recours préalable contre la décision du 30 décembre 2021 de l'autorité consulaire rejetant sa demande. Par un jugement du 28 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de rejet de ce recours par cette commission et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à l'intéressée le visa de long séjour sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Par un arrêt du 24 octobre 2023, contre lequel Mme A... se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement et, après avoir fait droit à une demande de l'administration de substitution du motif de sa décision, rejeté la demande de Mme A....
2. En premier lieu, aux termes de l'article 277 du code de la famille sénégalais : " La puissance paternelle sur les enfants légitimes appartient conjointement au père et à la mère. / Durant le mariage, elle est exercée par le père en qualité de chef de famille. Les décisions prises par le père, contrairement aux intérêts de l'enfant ou de la famille, peuvent être modifiées ou rapportées par le juge de paix du domicile de l'enfant, à la demande de la mère (...) ". L'article 289 du même code dispose : " Le père ou la mère de l'enfant, à l'exclusion du tuteur peut déléguer la puissance paternelle en tout ou partie à une personne majeure, jouissant de la pleine capacité civile (...) ". L'article 290 du même code précise que " Sur requête adressée par la partie la plus diligente au Président du Tribunal départemental du domicile ou de la résidence du mineur, le père ou la mère exerçant la puissance paternelle et le délégué choisi par eux comparaissent en personne au jour fixé par le juge (...) ".
3. C'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour administrative d'appel de Nantes a estimé qu'il résultait des dispositions du code de la famille sénégalais que le père de l'enfant d'un couple marié peut décider de déléguer l'autorité parentale sur l'un des enfants du couple sans l'accord de la mère de l'enfant.
4. En deuxième lieu, d'une part, les jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes. Si l'autorité administrative doit tenir compte de tels jugements dans l'exercice de ses prérogatives, il lui appartient toutefois, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révéleraient l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.
5. D'autre part, le principe d'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale est au nombre des principes relevant de la conception française de l'ordre public international.
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a, d'une part, relevé que le tribunal hors classe de Dakar avait, conformément aux dispositions du code de la famille sénégalais, accordé la délégation de l'autorité parentale à la seule demande du père de l'enfant et, d'autre part, estimé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que l'attestation signée par la mère de l'enfant indiquant avoir consenti à la procédure que se bornait à produire la requérante ne présentait pas un caractère probant. En déduisant de ces circonstances que le jugement du tribunal hors classe de Dakar révélait l'existence d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international dont il résulte qu'une délégation d'autorité parentale à un tiers ne peut pas être accordée par un des parents de l'enfant concerné sans l'accord de l'autre parent, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas méconnu son office ni commis d'erreur de droit.
7. En dernier lieu, dès lors que la cour a jugé que l'administration était fondée à écarter la reconnaissance de la délégation de l'autorité parentale dont elle se prévalait, Mme A..., qui n'invoquait aucun autre motif tiré de l'intérêt de l'enfant à la rejoindre, ne peut utilement soutenir que la cour aurait méconnu celui-ci en rejetant sa demande.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
9. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par la SCP Fabiani-Pinatel, avocat de Mme A....
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de Mme A... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.