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23/04/2025 | FRANCE | N°499665

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 23 avril 2025, 499665


Vu les procédures suivantes :



Le conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. B... A... devant la chambre disciplinaire de première instance de Centre-Val de Loire de l'ordre des médecins. Par une décision du 22 juillet 2022, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. A... la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée de six mois dont trois mois assortis du sursis.



Par une décision du 24 mars 2023, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des

médecins, saisie d'un appel de M. A..., a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la...

Vu les procédures suivantes :

Le conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. B... A... devant la chambre disciplinaire de première instance de Centre-Val de Loire de l'ordre des médecins. Par une décision du 22 juillet 2022, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. A... la sanction de l'interdiction d'exercer la médecine pendant une durée de six mois dont trois mois assortis du sursis.

Par une décision du 24 mars 2023, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins, saisie d'un appel de M. A..., a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du I et du II de l'article L. 4122-3 du code de la santé publique ainsi que celles du I et du II de l'article L. 4124-7 du même code que M. A... avait soulevée par mémoire distinct à l'appui de son appel.

Par une décision du 11 octobre 2024, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté l'appel formé par M. A... contre la décision de la chambre disciplinaire de première instance du 22 juillet 2022.

1° Sous le n° 499665, par un pourvoi enregistré le 12 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 11 octobre 2024 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 499668, par un pourvoi tenant lieu de mémoire distinct prévu à l'article R. 771-16 du code de justice administrative, enregistré le 12 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... conteste la décision du 24 mars 2023 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité concernant les dispositions du I et du II de l'article L. 4122-3 ainsi que celles du I et du II de l'article L. 4124-7 du code de la santé publique.

Il soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions qui résultent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

3° Sous le n° 499667, par une requête enregistrée le 12 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat d'ordonner, en application de l'article R. 821-5 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution de la même décision du 11 octobre 2024.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hugo Bevort, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Cyrille Beaufils, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP KRIVINE, VIAUD, avocat de M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois par lesquels M. A..., d'une part, conteste la décision du 24 mars 2023 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins de refuser de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée, d'autre part, demande l'annulation de la décision du 11 octobre 2024 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins et sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cette dernière décision présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision.

Sur la contestation de la décision du 24 mars 2023 refusant la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Il résulte en outre des dispositions de l'article 23-5 de cette ordonnance que, lorsque le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Par sa décision du 24 mars 2023, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité des dispositions du I et du II de l'article L. 4122-3 du code de la santé publique ainsi que celles du I et du II de l'article L. 4124-7 du même code au regard des principes d'impartialité et d'indépendance des juridictions résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

4. Aux termes des I et II de l'article L. 4122-3 du code de la santé publique : " I. - La chambre disciplinaire nationale, qui connaît en appel des décisions rendues par les chambres disciplinaires de première instance, siège auprès du Conseil national. Elle comprend des assesseurs titulaires et un nombre égal d'assesseurs suppléants. Les assesseurs sont de nationalité française. / II. - Elle est présidée par un membre du Conseil d'Etat, en activité ou honoraire, ayant au moins le rang de conseiller d'Etat, désigné par le vice-président du Conseil d'Etat pour une durée de six ans renouvelable. Un ou plusieurs présidents suppléants sont désignés dans les mêmes conditions. / Les fonctions de président ou de président suppléant de la chambre disciplinaire nationale sont incompatibles avec celles prévues à l'article L. 4122-1-1. Nul ne peut exercer les fonctions de président ou de président suppléant de la chambre disciplinaire nationale s'il a atteint l'âge de soixante-dix-sept ans. / Le montant des indemnités allouées aux présidents ou aux présidents suppléants des chambres disciplinaires nationales est fixé par arrêté des ministres chargés du budget et de la santé, après consultation de l'ordre. / Leurs frais de déplacement sont remboursés dans les conditions prévues par la réglementation applicable aux fonctionnaires de l'Etat. / Ces indemnités et frais sont à la charge du conseil national. " Aux termes des I et II de l'article L. 4124-7 du même code : " I. - La chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins et des chirurgiens-dentistes, sous réserve des dispositions de l'article L. 4124-10-1, siège auprès du conseil régional ou interrégional et les audiences se tiennent dans le département où siège ce conseil. / La chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des sages-femmes siège auprès du conseil interrégional de l'ordre des sages-femmes dont elle dépend, conformément à l'article L. 4152-7. / Les chambres disciplinaires de première instance de l'ordre des médecins, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes comprennent des assesseurs titulaires et un nombre égal de suppléants. Les assesseurs sont de nationalité française. / II. - La chambre disciplinaire de première instance est présidée par un membre en fonction ou honoraire du corps des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel désigné par le vice-président du Conseil d'Etat, sur proposition du président du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel pour une durée de six ans renouvelable. Un ou des suppléants sont désignés dans les mêmes conditions. Nul ne peut exercer les fonctions de président ou de président suppléant d'une chambre disciplinaire s'il a atteint l'âge de soixante-dix-sept ans. / Le montant des indemnités allouées aux présidents ou aux présidents suppléants des chambres disciplinaires de première instance est fixé par arrêté des ministres chargés du budget et de la santé, après consultation de l'ordre. / Leurs frais de déplacement sont remboursés dans les conditions prévues par la réglementation applicable aux fonctionnaires de l'Etat. / Ces indemnités et frais sont à la charge du conseil régional ou interrégional. "

5. En premier lieu, il ressort respectivement des deuxième et dernier alinéa du IV de l'article L. 4122-3 du code de la santé publique que les fonctions exercées par les membres de la chambre disciplinaire nationale sont incompatibles avec la fonction d'assesseur à la chambre disciplinaire de première instance et qu'aucun membre de la chambre disciplinaire nationale ne peut siéger lorsqu'il a eu connaissance des faits de la cause à raison de l'exercice d'autres fonctions ordinales, et notamment lorsqu'il a participé à la délibération par laquelle le conseil national a, le cas échéant, initié l'action disciplinaire ou fait appel de la décision rendue par la chambre disciplinaire de première instance. Par suite, les dispositions citées au point 4, en ce qu'elles prévoient que la chambre disciplinaire nationale et la chambre disciplinaire de première instance sont composées de membres de l'ordre des médecins et siègent auprès des instances de l'ordre, ne portent pas atteinte aux principes d'impartialité et d'indépendance des juridictions résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

6. En second lieu, il ressort des dispositions du I de l'article L. 4122-3 et du I de l'article L. 4124-7 du code de la santé publique, citées au point 4, que le président de la chambre disciplinaire de même que ses suppléants sont des membres de la juridiction administrative, en activité ou honoraire, désignés par le vice-président du Conseil d'Etat, les conseillers d'Etat désignés comme président et présidents suppléants de la juridiction disciplinaire d'appel ne pouvant par ailleurs être le membre du Conseil d'Etat qui assiste le Conseil national de l'ordre des médecins en application de l'article L. 4122-1-1 du code de la santé publique et que le montant des indemnités qui leur sont allouées au titre de l'exercice de ces fonctions sont fixées, non par l'ordre, mais par arrêté des ministres chargés du budget et de la santé. Par suite, les dispositions contestées, alors même qu'elles prévoient que le versement de ces indemnités est à la charge du conseil régional ou interrégional, pour la juridiction disciplinaire de première instance, et du Conseil national, pour la juridiction disciplinaire d'appel, ne sont pas contraires au principe d'impartialité et d'indépendance des juridictions résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 6 que la question de la conformité des dispositions du I et du II de l'article L. 4122-3 du code de la santé publique ainsi que de celles du I et du II de l'article L. 4124-7 du même code aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée, en tant qu'elle refuse de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée.

Sur le pourvoi en cassation dirigé contre la décision du 11 octobre 2024 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins :

8. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux. "

9. Pour demander l'annulation de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins du 11 octobre 2024 qu'il attaque, M. A... soutient qu'elle est entachée :

- d'erreur de droit en ce qu'elle juge que la règle du double degré de juridiction ne constitue pas un principe fondamental de procédure faisant obstacle à la faculté des juridictions disciplinaires de soulever en appel des griefs nouveaux ;

- d'erreur de droit et d'irrégularité en ce qu'elle fonde sa décision sur des griefs nouveaux relevés d'office, insuffisamment précis en fait et en droit ;

- d'erreur de droit, d'insuffisance de motivation et d'irrégularité en ce que, d'une part, elle retient que l'anonymisation des témoignages participe du respect du secret médical, d'autre part, elle fonde sa décision sur des faits issus de ces témoignages anonymes, et enfin omet de répondre au moyen tiré de l'impossibilité de prononcer une sanction sur le seul fondement de témoignages anonymes ;

- d'inexacte qualification juridique des faits et d'erreur de droit en ce qu'elle juge, en méconnaissance de la liberté et de l'indépendance du praticien dans le cadre de ses consultations, que les faits consistant à recevoir ses patients sans porter de masque, à recommander à ses patients d'ôter le leur, à s'opposer aux mesures barrières mises en œuvre dans la gestion de la crise sanitaire sont constitutifs d'un manquement aux obligations déontologiques découlant des dispositions des articles R. 4127-2 et R. 4127-12 du code de la santé publique ;

- d'inexacte qualification juridique des faits et d'insuffisance de motivation en ce qu'elle juge, en méconnaissance de la liberté du praticien de s'écarter des avis d'autorités sanitaires, que les prescriptions de l'ivermectine et de l'azithromycine en méconnaissance des avis " des plus hautes autorités sanitaires ", sont constitutives d'un manquement aux obligations déontologiques résultant de l'article R. 4127-39 du code de la santé publique.

Il soutient, en outre, que la décision qu'il attaque lui inflige une sanction hors de proportion avec la gravité des fautes reprochées.

10. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi n° 499665.

11. Le pourvoi formé par M. A... contre la décision du 11 octobre 2024 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins n'étant pas admis, les conclusions qu'il présente aux fins de sursis à exécution de cette décision sont devenues sans objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.

D E C I D E :

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Article 1er : La contestation du refus de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité relative aux dispositions des articles L. 4122-3 et L. 4124-7 du code de la santé publique est rejetée.

Article 2 : Le pourvoi n° 499665 de M. A... n'est pas admis.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de M. A... tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de la décision du 11 octobre 2024 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins.

Article 4: La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au conseil départemental du Cher de l'ordre des médecins.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, et au Conseil national de l'ordre des médecins.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 499665
Date de la décision : 23/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 avr. 2025, n° 499665
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Hugo Bevort
Avocat(s) : SCP KRIVINE, VIAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 25/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:499665.20250423
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