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18/04/2025 | FRANCE | N°498282

France | France, Conseil d'État, 2ème chambre, 18 avril 2025, 498282


Vu la procédure suivante :



Par une requête enregistrée le 7 octobre 2024 devant la section du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler le décret du 6 août 2024 rapportant le décret du 13 juillet 2020 lui ayant accordé la nationalité française ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Vu les autres pièces du dossier ;



Vu :

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administratio...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 7 octobre 2024 devant la section du contentieux du Conseil d'Etat, M. F... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 6 août 2024 rapportant le décret du 13 juillet 2020 lui ayant accordé la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Liza Bellulo, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que M. F..., ressortissant marocain, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture des Bouches-du-Rhône le 26 février 2018, par laquelle il indiquait être veuf et sans enfant. Il a été naturalisé par décret du 13 juillet 2020. Par un bordereau daté du 8 septembre 2022 reçu le 13 septembre 2022, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre de l'intérieur et des outre-mer que d'une part, M. F... avait épousé Mme C... D... à Fès (Maroc), résidant habituellement à l'étranger, le 30 octobre 2019, soit antérieurement à sa demande de naturalisation et, d'autre part, avait été marié de 1988 au 3 janvier 2019 avec Mme A... B..., avec laquelle il a eu deux enfants, majeurs à la date de sa demande de naturalisation. Par décret du 6 août 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a rapporté le décret du 13 juillet 2020 prononçant la naturalisation de M. F... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. F... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, la circonstance que l'auteur du courrier l'informant du projet de retrait de la mesure de naturalisation n'aurait pas disposé d'une délégation de signature est sans incidence sur la légalité du décret litigieux.

4. En deuxième lieu, il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par la secrétaire générale du Gouvernement, que celui-ci a été signé par le Premier ministre et contresigné par le ministre de l'intérieur. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué ne serait pas revêtu des signatures requises ne peut qu'être écarté.

5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le ministre chargé des naturalisations a informé le requérant de son intention de saisir le Conseil d'Etat d'un projet de décret portant retrait du décret du 13 juillet 2020 le 7 juillet 2024. L'intéressé a été informé du délai d'un mois dont il disposait à compter de la notification pour faire valoir ses observations. M. F... a adressé des observations au ministre par lettres des 17 juin et 5 juillet 2024, reçues les 21 juin et 11 juillet suivant, lesquelles ont été portées par le ministre à la connaissance de la section de l'intérieur du Conseil d'Etat avant qu'elle émette un avis sur le projet de décret, ainsi que l'indiquent les mentions du décret attaqué. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles fixées par le décret du 30 décembre 1993 ne peut qu'être écarté.

6. En quatrième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressé à la date du décret lui accordant la nationalité française.

7. Il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit au point 2, que M. F... a contracté, au cours de l'instruction de sa demande de naturalisation, un mariage, dont l'intervention aurait dû être portée à la connaissance des services chargés d'examiner sa demande, comme il s'y était engagé lors du dépôt de celle-ci. L'intéressé, dont la maîtrise de la langue française est attestée par le compte-rendu de l'entretien d'assimilation du 23 mai 2019 ainsi que par le fait qu'il réside en France depuis 1980, ne pouvait se méprendre sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande. Dans ces conditions, M. F... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale.

8. En quatrième lieu, le délai de deux ans imparti par l'article 27-2 du code civil pour rapporter le décret de naturalisation de M. F... a commencé à courir à la date à laquelle la réalité de la situation de l'intéressée a été portée à la connaissance du ministre chargé des naturalisations. A cet égard, il ressort des pièces du dossier que les services du ministre chargé des naturalisations n'ont été informés des éléments relatifs à son mariage, transmis par bordereau du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, que le 13 septembre 2022. Dans ces conditions, le décret attaqué, qui a été signé le 6 août 2024, a été pris avant l'expiration du délai de deux ans prévu par les dispositions de l'article 27-2 du code civil. Par suite, en rapportant sa naturalisation, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le Premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27- 2 du code civil.

9. Il résulte de ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 6 août 2024 par lequel le Premier ministre rapporte le décret du 13 juillet 2020. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. E... F... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2025 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et Mme Liza Bellulo, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 18 avril 2025.

Le président :

Signé : M. Nicolas Boulouis

La rapporteure :

Signé : Mme Liza Bellulo

Le secrétaire :

Signé : M. Guillaume Auge


Synthèse
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 498282
Date de la décision : 18/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 avr. 2025, n° 498282
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Liza Bellulo
Rapporteur public ?: Mme Dorothée Pradines

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:498282.20250418
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