Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 11 août 2023 et le 3 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association La Maison de la Bio, l'association Cosmebio, le syndicat Synadis Bio et le syndicat Synabio demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par la Première ministre et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur leur demande du 13 avril 2023 tendant, d'une part, à ce qu'ils reconnaissent que les objectifs que devait atteindre l'agriculture biologique en 2020 et en 2022 n'ont pas été atteints, d'autre part, à ce qu'ils s'engagent à modifier leur politique pour atteindre les objectifs contraignants de croissance de l'agriculture biologique de 2027 et 2030 en prenant toutes mesures utiles, en particulier celles proposées par la Cour des Comptes ;
2°) d'enjoindre à la Première ministre et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de prendre toutes mesures utiles, et en particulier les mesures préconisées par la Cour des comptes, pour augmenter le recours à l'agriculture biologique sur le territoire national afin d'assurer au moins le respect des engagements nationaux et internationaux auxquels la France est tenue, et ce dans un délai de six mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Paul Levasseur, auditeur,
- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Par leur demande du 13 avril 2023, l'association La Maison de la Bio, l'association Cosmebio, le syndicat Synadis Bio et le syndicat Synabio doivent être regardés comme ayant demandé à la Première ministre et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire de prendre toute mesure utile permettant à la France, d'une part, d'atteindre ses objectifs de conversion de la surface agricole utile (SAU) nationale en agriculture biologique fixés par l'article 3 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement et les plans ministériels de promotion de l'agriculture biologique " Horizon 2012 ", " Ambition Bio 2017 " et " Ambition Bio 2022 ", d'autre part, d'assurer la compatibilité de sa trajectoire de croissance de l'agriculture biologique avec les objectifs de conversion de sa surface agricole utile fixés, pour l'année 2027, par le plan stratégique national de la politique agricole commune 2023-2027 et, pour l'année 2030, par la stratégie " De la ferme à la table " de la Commission européenne et l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime. Ces associations et syndicats demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par les ministres sur leur recours.
Sur les objectifs de conversion de la surface agricole nationale en agriculture biologique :
2. En premier lieu, l'article 31 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement dispose que : " (...) Le changement climatique, avec ses aléas et sa rapidité, impose à l'agriculture de s'adapter, de se diversifier et de contribuer à la réduction mondiale des émissions de gaz à effet de serre. Pour cela, il est indispensable de préserver les surfaces agricoles, notamment en limitant leur consommation et leur artificialisation. / (...) A cet effet, les objectifs à atteindre sont : / a) De parvenir à une production agricole biologique suffisante pour répondre d'une manière durable à la demande croissante des consommateurs et aux objectifs de développement du recours aux produits biologiques dans la restauration collective publique ou à des produits saisonniers à faible impact environnemental, eu égard à leurs conditions de production et de distribution. Pour satisfaire cette attente, l'Etat favorisera la production et la structuration de cette filière pour que la surface agricole utile en agriculture biologique atteigne 6 % en 2012 et 20 % en 2020 ". Ces dispositions, qui sont contenues dans une loi de programmation et se bornent à fixer des objectifs généraux à l'action de l'Etat, sont dépourvues de portée normative.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction en vigueur à la date de la présente décision : " I. Les priorités mentionnées au I A se traduisent par des politiques ayant pour finalités : / (...) 9° De favoriser l'installation économiquement viable d'exploitations agricoles en agriculture biologique (...) de manière notamment à ce que l'agriculture biologique représente 21 % de la surface agricole utile cultivée au 1er janvier 2030 ". Il ressort tant des travaux parlementaires ayant conduit à l'adoption de ces dispositions que de leur emplacement dans ce code, au sein d'un article énumérant plus de vingt objectifs généraux assignés à la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation de la France, que ces dispositions n'ont pas de portée normative.
4. En troisième lieu, ne sont pas davantage normatifs les objectifs fixés dans des plans d'actions du Gouvernement, comme les plans ministériels de promotion de l'agriculture biologique " Horizon 2012 ", " Ambition Bio 2017 " et " Ambition Bio 2022 ".
5. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1er du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021, établissant des règles régissant l'aide aux plans stratégiques devant être établis par les Etats membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) : " 1. Le présent règlement établit des règles concernant : / a) les objectifs généraux et spécifiques à réaliser au moyen des aides de l'Union financées par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) au titre de la politique agricole commune (PAC), ainsi que les indicateurs y afférents ; / (...) / c) les plans stratégiques relevant de la PAC à élaborer par les États membres, et qui fixent les valeurs cibles, précisent les conditions des interventions et affectent les ressources financières, conformément aux objectifs spécifiques et aux besoins recensés ; (...) ". L'objectif de conversion de 18 % de la surface agricole utile française en agriculture biologique d'ici 2027, fixé par le plan stratégique national de la politique agricole commune 2023-2027, constitue un simple indicateur de performance à prendre en compte dans l'évaluation de la mise en œuvre de ce plan et ne peut être regardé comme juridiquement contraignant. Est à cet égard sans incidence la circonstance que le plan ait fait l'objet d'une décision d'approbation de la Commission européenne, dans les conditions définies à l'article 118 du même règlement, ce qui, au demeurant, ne confère pas à ce plan le caractère d'un acte de droit de l'Union européenne.
6. En dernier lieu, la stratégie " De la ferme à la table " définie par la Commission européenne, qui fixe notamment pour objectif d'atteindre, dans l'ensemble de l'Union, 25 % de la surface agricole utile exploitée en agriculture biologique d'ici 2030, n'a pas davantage le caractère d'un acte juridiquement contraignant.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, à l'encontre des décisions attaquées, d'une méconnaissance des différents objectifs qu'ils invoquent, mentionnés aux points 2 à 6.
Sur les obligations en matière de repas servis au sein des restaurants collectifs publics :
8. Si, en vertu du I de l'article L. 230-5-1 du code rural et de la pêche maritime, les produits issus de l'agriculture biologique servis dans les restaurants collectifs dont les personnes morales de droit public ont la charge doivent " représenter une part au moins égale, en valeur, à 20 % " au plus tard le 1er janvier 2022, ces dispositions n'entraînent par elles-mêmes aucune obligation, pour le pouvoir réglementaire, d'assurer une hausse de la part de la surface agricole utile convertie à l'agriculture biologique. Leur éventuelle méconnaissance ne saurait donc être utilement invoquée à l'encontre des décisions attaquées.
Sur le respect des articles 1er, 3 et 6 de la Charte de l'environnement :
9. La seule circonstance que l'administration ne se conformerait pas à des objectifs de conversion de la surface agricole nationale en agriculture biologique, dépourvus de portée normative, ne saurait, en tout état de cause, constituer une méconnaissance de la Charte de l'environnement. Les moyens tirés d'une telle méconnaissance ne peuvent par suite qu'être écartés.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les associations et syndicats requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des décisions implicites attaquées, qui ne sont, en tout état de cause, pas entachées d'incompétence négative. Leur requête doit par suite être rejetée, y compris ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association La Maison de la Bio, l'association Cosmebio, le syndicat Synadis Bio et le syndicat Synabio est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association La Maison de la Bio, à l'association Cosmebio, au syndicat Synadis Bio, au syndicat Synabio, au Premier ministre et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 2 avril 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Catherine Fischer-Hirtz, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, conseillers d'Etat et M. Paul Levasseur, auditeur-rapporteur.
Rendu le 17 avril 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Paul Levasseur
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin