Vu la procédure suivante :
M. E... B... et Mme A... D... ont demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler les décisions du 9 août 2021 par lesquelles le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté leurs demandes d'asile et de leur reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de leur accorder le bénéfice de la protection subsidiaire.
Par une décision n° 21053053, 21053054 du 30 juin 2023, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté leurs demandes.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 1er décembre 2023 et 1er février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... et Mme D... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de mettre à la charge de l'OFPRA la somme de 3 000 euros, à verser à leur avocat, la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967, relatifs au statut des réfugiés ;
- la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 ;
- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil 13 décembre 2011 ;
- la décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Frédéric Puigserver, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. B... et de Mme C... D... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Office français de protection des refugies et apatrides ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par deux décisions du 9 août 2021, l'Office français de réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté les demandes d'asile présentées, le 4 février 2020, l'une, par M. B..., né le 30 juillet 1993 et, l'autre, par sa mère, Mme D..., née le 16 juin 1973, ressortissants ukrainiens qui ont quitté l'Ukraine fin février 2018 et rejoint la France le 8 mai 2018. M. B... et Mme D... se pourvoient en cassation contre la décision du 30 juin 2023 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a rejeté, après les avoir jointes, leurs demandes tendant à ce que leur soit reconnue la qualité de réfugié ou, à défaut, que leur soit accordé le bénéfice de la protection subsidiaire.
Sur la qualité de réfugié :
2. En vertu de l'article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui " craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ".
3. M. B... et Mme D..., qui soutiennent avoir été persécutés à la suite de la publication en mai 2017 par M. B... sur des réseaux sociaux de deux vidéos montrant des exactions et abus commis par la police ukrainienne locale, reprochent à la Cour nationale du droit d'asile d'avoir qualifié de succincts les éléments de leurs récits se rapportant à la façon dont M. B... s'est procuré ces vidéos et aux conditions dans lesquelles Mme D... s'est enfuie à l'occasion de son hospitalisation. Après avoir exprimé ses doutes sur les différents éléments portés à sa connaissance par M. B... et sa mère pour prétendre au bénéfice de la protection internationale, la Cour nationale du droit d'asile, en retenant que ni les pièces des dossiers, ni les déclaration des intéressés faites devant elle ne permettent de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées, n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve et a porté sur les faits et les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation.
Sur la protection subsidiaire :
4. Aux termes de l'article L. 521-l du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mais pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'elle courrait dans son pays un risque réel de subir l'une des atteintes graves suivantes : / 1° La peine de mort ou une exécution ; / 2° La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; / 3° S'agissant d'un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence qui peut s'étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d'une situation de conflit armé interne ou international ". Il résulte du 3° de cet article que le droit à la protection subsidiaire n'est pas subordonné à la condition que l'intéressé rapporte la preuve qu'il est visé spécifiquement en raison d'éléments propres à sa situation personnelle dès lors que le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé atteint un niveau si élevé qu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de menaces contre sa vie ou sa personne.
5. La décision d'exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, a eu pour effet d'introduire à leur bénéfice une protection temporaire.
6. En premier lieu, en retenant que la seule nationalité ukrainienne ne pouvait suffire à justifier l'octroi de la protection subsidiaire et en fondant sa décision, non sur l'existence de la décision d'exécution du 4 mars 2022 mentionnée au point précédent qui ne fait état d'aucune distinction entre les différents oblasts ukrainiens pour l'octroi de la protection temporaire qu'elle prévoit au bénéfice des personnes massivement déplacées d'Ukraine, mais sur une analyse approfondie et circonstanciée de la violence prévalant tant en Ukraine, marquée ainsi qu'elle l'a constatée par des disparités régionales notamment quant à leur impact sur les populations civiles, que dans l'oblast d'Odessa, dont les requérants allèguent être originaires et qu'ils ont vocation à rejoindre, la Cour nationale du droit d'asile n'a pas, eu égard à la différence de régime qui existe entre la protection temporaire mise en place par la décision d'exécution précitée et la protection subsidiaire prévue par les dispositions rappelées au point 4, commis d'erreur de droit. Elle n'a pas davantage inexactement qualifié les faits de l'espèce.
7. En deuxième lieu, compte tenu des informations récentes et des éléments pertinents retenus par la Cour pour analyser la situation dans la région d'Odessa, parmi lesquels le nombre de bombardements ayant causé des dommages aux habitations et aux infrastructures civiles, celui des personnes ayant dû fuir la région et la ville, ainsi que la circonstance que le site portuaire, demeurait la cible d'attaques, en relevant également que les risques avaient diminué, que la région ne connaissait pas de combats terrestres majeurs et que le nombre des " incidents de sécurité " et des victimes avait fortement baissé, par rapport à celui constaté dans d'autres oblasts à l'est et au sud, la Cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'à la date de sa décision, la violence aveugle n'était pas telle qu'il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que tout civil courrait, du seul fait de sa présence, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa sécurité.
8. En dernier lieu, si M. B... et Mme D... se sont prévalus de leur situation d'isolement en cas de retour dans l'oblast d'Odessa et, en ce qui concerne Mme D..., de son mauvais état de santé, la Cour nationale du droit d'asile n'a pas, dans les circonstances de l'espèce et eu égard aux éléments fournis par les intéressés, entaché sa décision d'une insuffisance de motivation ou d'erreur de droit en retenant qu'ils n'ont fait état d'aucun élément relatif à leur situation personnelle constitutif d'un indice sérieux qu'ils seraient exposés, en cas de retour, à des atteintes graves au sens et pour l'application des dispositions citées au point 4.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de M. B... et Mme D... doit être rejeté, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E
----------------
Article 1er : Le pourvoi de M. B... et Mme D... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. E... B..., représentant unique désigné, et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 février 2025 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat et Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 10 avril 2025.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Léandre Monnerville