Vu les procédures suivantes :
1° L'école Mathias Grünewald, à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à l'annulation de la mise en demeure du recteur de l'académie de Strasbourg du 12 mars 2024, a produit un mémoire, enregistré le 23 octobre 2024 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par un jugement n° 2402299 du 9 janvier 2025, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, ce tribunal administratif, avant qu'il soit statué sur la requête de l'école Mathias Grünewald, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 481-1 du code de l'éducation, en ce qu'il maintient en vigueur l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement et les articles 9 et 10 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement, ainsi que des articles 1er de cette loi et 9 et 10 de cette ordonnance.
Sous le n° 500439, par la question prioritaire de constitutionnalité transmise, l'école Mathias Grünewald soutient que les dispositions, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, de l'article L. 481-1 du code de l'éducation, en ce qu'il maintient en vigueur l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement et les articles 9 et 10 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement ainsi que des articles 1er de cette loi et 9 et 10 de cette ordonnance méconnaissent la liberté de l'enseignement.
Par un mémoire, enregistré le 4 février 2025, la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que l'article L. 481-1 du code de l'éducation n'est pas applicable au litige et que la question de sa conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution ne présente pas un caractère sérieux.
La question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Premier ministre qui n'a pas produit de mémoire.
2° L'école Rudolf Steiner de Haute Alsace, à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à l'annulation de la mise en demeure du recteur de l'académie de Strasbourg du 12 mars 2024, a produit un mémoire, enregistré le 13 septembre 2024 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par un jugement n° 2403545 du 9 janvier 2025, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, ce tribunal administratif, avant qu'il soit statué sur la requête de l'école Rudolf Steiner de Haute Alsace, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 481-1 du code de l'éducation, en ce qu'il maintient en vigueur l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement et les articles 9 et 10 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement, ainsi que des articles 1er de cette loi et 9 et 10 de cette ordonnance.
Sous le n° 500442, par la question prioritaire de constitutionnalité transmise, l'école Rudolf Steiner de Haute Alsace soutient que les dispositions, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, de l'article L. 481-1 du code de l'éducation, en ce qu'il maintient en vigueur l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement et les articles 9 et 10 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement ainsi que des articles 1er de cette loi et 9 et 10 de cette ordonnance méconnaissent la liberté de l'enseignement.
Par un mémoire, enregistré le 4 février 2025, la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que l'article L. 481-1 du code de l'éducation n'est pas applicable au litige et que la question de sa conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution ne présente pas un caractère sérieux.
La question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Premier ministre qui n'a pas produit de mémoire.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34, 37 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'éducation ;
- la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement ;
- l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Paul Levasseur, auditeur,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Les mémoires présentés à l'appui des requêtes nos 500439 et 500442 soulèvent les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 481-1 du code de l'éducation : " Les dispositions particulières régissant l'enseignement applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle y demeurent en vigueur ".
4. L'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement dispose que : " Tout ce qui concerne l'enseignement primaire et secondaire est placé sous la surveillance et la direction des autorités de l'Etat. / Les dispositions existantes relatives à la surveillance locale de l'enseignement primaire resteront en vigueur jusqu'à nouvel ordre. / L'autorisation de l'Etat est nécessaire : / 1° Pour donner l'enseignement à titre professionnel ou dans un but lucratif ; / 2° Pour ouvrir une école ; / 3° Pour engager un maître dans une école. / Toute école peut être fermée par les autorités administratives lorsqu'elle ne se conforme pas aux prescriptions officielles en ce qui concerne l'organisation et le programme ".
5. L'article 9 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement prévoit que : " L'autorisation d'engager un maître dans une école doit être demandée par le propriétaire ou le chef d'établissement à l'autorité sous la surveillance et la direction de laquelle est placée cette école. / A la demande seront jointes toutes pièces justificatives constatant l'âge et les bonne vie et mœurs de la personne présentée, ainsi que son aptitude à l'enseignement qui doit lui être confié ". L'article 10 de cette ordonnance dispose que : " La décision sur la demande sera formulée par écrit. / L'autorisation peut être subordonnée à des conditions tant en ce qui concerne les matières de l'enseignement que les classes à tenir ".
Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L. 481-1 du code de l'éducation :
6. Les requérants demandent de renvoyer au Conseil constitutionnel, à l'appui de leurs demandes tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des mises en demeure qui leur ont été adressées par le recteur de l'académie de Strasbourg de faire immédiatement cesser les activités d'enseignement des enseignants pour lesquelles celui-ci n'avait pas délivré d'autorisation de recrutement et de déposer de telles demandes d'autorisation dans un délai de huit jours, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 481-1 du code de l'éducation, en tant que, par les dispositions de son premier alinéa, il maintient en vigueur l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement et les articles 9 et 10 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement.
7. Le premier alinéa de l'article L. 481-1 du code de l'éducation cité au point 3 se borne à maintenir en vigueur les dispositions particulières régissant l'éducation dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et à ne pas introduire dans ces départements les dispositions d'application générale prévues par le code de l'éducation qui n'y avaient pas été antérieurement introduites. Par suite, ces dispositions législatives ne sont pas applicables aux litiges à l'occasion desquels la présente question prioritaire de constitutionnalité est posée, au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer dans cette mesure au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 481-1 du code de l'éducation portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement et aux articles 9 et 10 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement :
8. Les requérants doivent également être regardés comme demandant de renvoyer au Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement et des articles 9 et 10 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement.
9. En premier lieu, d'une part, les instances à l'occasion desquelles la présente question prioritaire de constitutionnalité est posée sont relatives à la procédure d'autorisation de recrutement des enseignants dans une école. Par suite, ne sont pas applicables à ces litiges, au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, les dispositions des premier, deuxième, quatrième, cinquième et septième alinéas de l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement, relatives à l'autorisation de l'Etat pour donner l'enseignement à titre professionnel ou dans un but lucratif ou pour ouvrir une école, ou à la fermeture d'une école qui ne se conforme pas aux prescriptions officielles en ce qui concerne l'organisation et le programme.
10. D'autre part, le premier alinéa de l'article 9 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement et le premier alinéa de l'article 10 de cette même ordonnance se bornent à déterminer les conditions de forme que doivent respecter la demande d'autorisation de recrutement d'un enseignant adressée à l'autorité administrative et la décision que prend cette dernière sur la demande. De telles dispositions ne mettent en cause ni les principes fondamentaux de l'enseignement, ni aucun des autres principes ou règles placés par la Constitution dans le domaine de la loi. Elles ont donc un caractère réglementaire.
11. Par suite, sans qu'il soit besoin de renvoyer dans cette mesure au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les premier, deuxième, quatrième, cinquième et septième alinéas de l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement, le premier alinéa de l'article 9 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement ainsi que le premier alinéa de l'article 10 de cette ordonnance portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.
12. En second lieu, en revanche, les troisième et sixième alinéas de l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement, qui instaurent un régime d'autorisation préalable de l'administration pour le recrutement d'un enseignant, d'une part, et le second alinéa de l'article 9 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement ainsi que le second alinéa de l'article 10 de cette ordonnance, qui déterminent certains des critères à l'aune desquels la demande d'autorisation de recrutement sera examinée et permettent à l'administration de restreindre la liberté d'organisation des écoles concernées en limitant l'autorisation de recrutement qu'elle délivre à certaines matières ou certaines classes, d'autre part, sont applicables aux litiges à l'occasion desquels la présente question prioritaire de constitutionnalité est posée. Ces dispositions, qui se rattachent aux principes fondamentaux de l'enseignement au sens de l'article 34 de la Constitution et ont, de ce fait, un caractère législatif, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
13. Le moyen tiré de ce que ces dispositions, d'une part, en soumettant à une autorisation administrative préalable le recrutement des maîtres dans les écoles sans définir limitativement les critères sur lesquels l'administration peut se fonder pour refuser cette autorisation, ni préciser la portée des critères d'" âge ", de " bonne vie et mœurs " et d'" aptitude à l'enseignement " permettant à l'administration de refuser d'accorder une autorisation de recrutement d'un enseignant, d'autre part, en laissant la possibilité à l'autorité administrative de restreindre l'autorisation d'enseigner à un niveau ou une matière spécifique, n'entourent pas de garanties suffisantes la restriction qu'elles apportent à la liberté de l'enseignement soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer dans cette mesure au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des troisième et sixième alinéas de l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement, du second alinéa de l'article 9 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement ainsi que du second alinéa de l'article 10 de cette ordonnance est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L. 481-1 du code de l'éducation, aux premier, deuxième, quatrième, cinquième et septième alinéas de l'article 1er de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement, au premier alinéa de l'article 9 de l'ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873 pour l'exécution de la loi du 12 février 1873 sur l'enseignement ainsi qu'au premier alinéa de l'article 10 de cette ordonnance.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'école Mathias Grünewald, à l'école Rudolf Steiner de Haute Alsace et à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au tribunal administratif de Strasbourg.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 mars 2025 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Catherine Fischer-Hirtz, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, conseillers d'Etat et M. Paul Levasseur, auditeur-rapporteur.
Rendu le 4 avril 2025.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Paul Levasseur
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin