Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 août et 17 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 17 juin 2024 par lequel la ministre du travail, de la santé et des solidarités et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche l'ont suspendu à titre conservatoire de ses fonctions universitaires et hospitalières avec maintien de son traitement universitaire et de ses émoluments hospitaliers ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de de la santé publique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2021-1645 du 13 décembre 2021 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Carole Hentzgen, auditrice,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 7 mars 2025, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 26 du décret du 13 décembre 2021 relatif au personnel enseignant et hospitalier des centres hospitaliers universitaires : " I. - Lorsque l'intérêt du service l'exige, la suspension d'un agent qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire ou d'une procédure pour insuffisance professionnelle peut être prononcée, à titre conservatoire, par arrêté des ministres chargés de l'enseignement supérieur et de la santé. / L'arrêté précise si l'intéressé conserve, pendant le temps où il est suspendu, le bénéfice de son traitement universitaire et de ses émoluments hospitaliers ou détermine la quotité de la retenue qu'il subit, qui ne peut être supérieure à la moitié du montant total du traitement universitaire et des émoluments hospitaliers. En tout état de cause, il continue à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille. / Sauf s'il fait l'objet de poursuites pénales, lorsqu'aucune décision n'est intervenue dans le délai de trois mois à compter de la suspension, l'intéressé reçoit de nouveau l'intégralité de son traitement universitaire et de ses émoluments hospitaliers et a droit au remboursement des retenues opérées sur son traitement universitaire. (...) / II. - Par dérogation au I, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients ou celle des étudiants, le directeur général du centre hospitalier universitaire et le président de l'université concernée peuvent décider conjointement de suspendre les activités de l'agent mentionnées à l'article 8. / Ils en réfèrent sans délai aux autorités mentionnées au I, qui confirment cette suspension ou y mettent fin. "
2. Il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 4 janvier 2024, le directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et le président de l'Université Paris-Cité ont suspendu de ses fonctions, sur le fondement du II des dispositions citées au point 1, M. A..., professeur des universités-praticien hospitalier en fonction à l'hôpital Cochin, relevant de l'AP-HP. Puis, par un arrêté du 17 juin 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ont, sur le fondement du I de ces mêmes dispositions, suspendu M. A... de ses fonctions dans l'attente de la décision de la juridiction disciplinaire compétente à l'égard des personnels enseignants et hospitaliers qu'ils ont saisie par un courrier du même jour de faits relevés à son encontre. M. A... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.
Sur la légalité externe :
3. La mesure de suspension prise à l'encontre M. A... par l'arrêté du 17 juin 2024, qui se fonde sur les dispositions du I de l'article 26 du décret du 13 décembre 2021 citées au point 1, revêt un caractère conservatoire et ne constitue pas, par elle-même, une sanction, de sorte qu'elle n'est pas au nombre des décisions qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en résulte que le moyen tiré de son défaut de motivation doit être écarté.
Sur la légalité interne :
4. Il ressort des pièces du dossier que la lettre du 17 juin 2024 par laquelle les ministres en charge de la santé et de l'enseignement supérieur ont saisi la juridiction disciplinaire compétente retient deux griefs à l'encontre de M. A..., à savoir des accès illégitimes au dossier médical d'une célébrité hospitalisée à l'AP-HP et des comportements et attitudes inappropriés vis-à-vis des patients et du personnel, notamment des remarques sexistes et racistes.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, s'agissant du premier de ces motifs, qu'un rapport d'audit du 26 mai 2023 reproche à M. A... des accès injustifiés à quatre reprises au dossier médical d'une personnalité connue. En se bornant à indiquer que les connexions en cause ne sauraient lui être reprochées au motif qu'il était occupé par ailleurs aux horaires en cause, que son poste de travail est librement accessible et que le partage des codes d'accès est courant au sein de l'hôpital, M. A..., à qui il appartient en tout état de cause de veiller à la confidentialité des systèmes d'information auxquels il lui est donné accès, n'apporte pas d'élément suffisant pour remettre en cause la vraisemblance des faits reprochés.
6. En deuxième lieu, s'agissant du second motif, il ressort, d'une part, du rapport de l'enquête administrative du 22 février 2023, qui fait état de témoignages circonstanciés et concordants, ainsi que des trois signalements recueillis en décembre 2023 sur des faits contemporains, que M. A... a, à plusieurs reprises, adopté une attitude et tenu des propos irrespectueux à l'encontre des personnels de l'AP-HP. Il ressort en particulier des termes mêmes du rapport d'enquête administrative que les propos et comportement attribués à l'intéressé pourraient, de par leur nature répétée, être qualifiés de sexistes et racistes.
7. Il ressort, d'autre part, des pièces du dossier que divers témoignages joints au dossier rapportent également un comportement inapproprié de M. A... vis-à-vis de ses patients. En particulier, les faits décrits dans les signalements de décembre 2022 font état d'évènements indésirables graves ayant eu lieu les 8 novembre et 2 décembre 2022, notamment une attitude " agressive " de la part de l'intéressé vis-à-vis d'une patiente lors d'un toucher rectal. Le compte-rendu de la réunion 24 avril 2023 souligne en outre des interactions " brutales " avec la patientèle en raison de " propos orduriers ", voire " culpabilisants ", ainsi qu'une " absence de précaution " répétée du praticien lors de ses consultations.
8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 7 que les faits reprochés à M. A... sont d'une vraisemblance et d'une gravité suffisantes pour justifier l'édiction, dans l'attente de l'issue de la procédure disciplinaire engagée à son encontre, d'une mesure de suspension temporaire sur le fondement des dispositions du I de l'article 26 du décret du 13 décembre 2021 citées au point 1. Par suite, M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque. Sa requête doit, dès lors, être rejetée, y compris les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 mars 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; M. Alain Seban, conseiller d'Etat et Mme Carole Hentzgen, auditrice-rapporteure.
Rendu le 4 avril 2025.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Carole Hentzgen
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet