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04/04/2025 | FRANCE | N°489866

France | France, Conseil d'État, 4ème - 1ère chambres réunies, 04 avril 2025, 489866


Vu la procédure suivante :



Par deux demandes, Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 mai 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle n° 3 de l'unité départementale du Val-d'Oise a autorisé ... à la licencier pour motif disciplinaire, ainsi que la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique qu'elle avait formé contre cette décision et, d'autre part, d'annuler la décision du 17 décembre 2018 par

laquelle la ministre du travail a expressément rejeté ce même recours hiérar...

Vu la procédure suivante :

Par deux demandes, Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 mai 2018 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle n° 3 de l'unité départementale du Val-d'Oise a autorisé ... à la licencier pour motif disciplinaire, ainsi que la décision implicite par laquelle la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique qu'elle avait formé contre cette décision et, d'autre part, d'annuler la décision du 17 décembre 2018 par laquelle la ministre du travail a expressément rejeté ce même recours hiérarchique. Par un jugement n°s 1813221, 1901591 du 16 février 2021, le tribunal administratif a rejeté les demandes de Mme A....

Par un arrêt n° 21VE01053 du 3 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par Mme A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 4 décembre 2023 et le 4 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de ... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Galy , avocat de Mme A... et à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de l'Union départementale des associations familiales du Val-d'Oise (...) ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 mars 2025, présentée par Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue d'une enquête interne diligentée à la suite de plusieurs signalements effectués par certains de ses salariés, l'association Union départementale des associations familiales du Val-d'Oise (...) a demandé l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire Mme A..., directrice des services au sein de l'association et titulaire du mandat de conseiller prud'homal. Par une décision du 11 mai 2018, l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle n° 3 de l'unité départementale du Val-d'Oise a autorisé ce licenciement. Par une décision implicite, puis une décision expresse du 17 décembre 2018, la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique de Mme A... et confirmé cette autorisation. Par un jugement du 16 février 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté les demandes de Mme A... tendant à l'annulation de ces trois décisions. Par un arrêt du 3 octobre 2023, contre lequel Mme A... se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. En premier lieu, en application de l'article R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même le salarié de prendre connaissance, d'une part, de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande et, d'autre part, de l'ensemble des éléments déterminants que l'inspecteur du travail a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation, sans que la circonstance que le salarié soit susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse, dans l'un ou l'autre cas, exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. Toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ... a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier Mme A... par un premier courrier du 19 mars 2018 mais que, par un courriel du 20 mars 2018, l'association lui a fait part de ce qu'elle annulait cette demande, avant de présenter une nouvelle demande d'autorisation de licencier Mme A... par un courrier du 22 mars 2018. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a relevé, d'une part, que la première demande d'autorisation de licenciement datée du 19 mars et le courriel du 20 mars 2018 annulant cette demande n'ont été visés dans la décision de l'inspecteur du travail qu'afin de récapituler les faits mais n'ont pas été présentés par ... à l'appui de sa seconde demande de licenciement, qui a seule été instruite, et, d'autre part, que ces documents ne comportaient aucun élément supplémentaire par rapport à la seconde demande susceptible de modifier l'appréciation de l'inspecteur du travail quant à la matérialité des faits allégués par l'employeur à l'appui de cette dernière. La cour a pu, sans erreur de droit, en déduire que l'absence de communication de ces deux documents à Mme A... n'avait pas méconnu le caractère contradictoire de la procédure d'enquête préalable de l'inspecteur du travail.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2421-1 du code du travail, applicable au conseiller prud'homme en vertu du 4° de l'article L. 2421-2 du même code : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué syndical, d'un salarié mandaté ou d'un conseiller du salarié ou d'un membre de la délégation du personnel au comité social et économique interentreprises est adressée à l'inspecteur du travail. / En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé dans l'attente de la décision définitive (...) ". Aux termes de l'article R. 2421-6 de ce code : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. (...) La demande d'autorisation de licenciement est présentée (...) dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied (...) ". Les délais, fixés par ces dispositions, dans lesquels la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié mis à pied doit être présentée, ne sont pas prescrits à peine de nullité de la procédure de licenciement. Toutefois, eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied, l'employeur est tenu de respecter un délai aussi court que possible pour la présenter. Par suite, il appartient à l'administration, saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé auquel s'appliquent ces dispositions, de s'assurer que ce délai a été aussi court que possible pour ne pas entacher d'irrégularité la procédure antérieure à sa saisine.

6. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ... a ouvert le 12 février 2018 une enquête interne à la suite de signalements de salariés mettant en cause Mme A... pour des faits susceptibles d'être qualifiés de harcèlement moral. Par un courrier du 22 février 2018, ... lui a notifié sa " mise en disponibilité provisoire rémunérée " afin de " permettre la poursuite sereine de l'enquête ", qui s'est achevée le 26 février 2018. Par un courrier du 27 février 2018, réitéré, en raison d'une erreur d'adressage, par un nouveau courrier du 5 mars 2018 dont Mme A... a accusé réception le 8 mars, l'employeur lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire et sa convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement, puis, par un courrier du 22 mars 2018, a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de la licencier.

7. L'employeur peut prendre, dans l'attente d'une éventuelle procédure disciplinaire, des mesures provisoires adaptées destinées à garantir les intérêts de l'entreprise, des autres salariés et des usagers, telles que la mise en disponibilité provisoire du salarié concerné, pourvu qu'il n'en résulte pas, sans l'accord du salarié, une modification durable de son contrat de travail. En jugeant que la mise en disponibilité de Mme A... décidée par ... le 22 février 2018, qui n'avait pas privé l'intéressée de revenus, était intervenue avant l'engagement d'une procédure disciplinaire, avait été suivie peu de temps après d'une mise à pied conservatoire, et avait pour seul objet de permettre le bon déroulement de l'enquête interne diligentée pour rechercher si les faits de harcèlement moral allégués à son encontre et portés à la connaissance de l'employeur étaient susceptible de constituer une faute de nature à justifier le déclenchement d'une procédure disciplinaire, ne pouvait être regardée comme une mise à pied conservatoire au sens des dispositions citées au point 5, la cour administrative d'appel a exactement qualifié les faits de l'espèce.

8. En troisième lieu, il résulte des dispositions de l'article R. 2421-6 du code du travail mentionnées au point 5 que le délai imparti à l'employeur pour demander l'autorisation de licenciement commence à courir à compter de la date de mise à pied du salarié protégé, qui s'entend de la date à laquelle prend effet cette mise à pied, c'est-à-dire la date de sa notification à l'intéressé. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que le délai prescrit à ... pour solliciter de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier Mme A... n'avait commencé à courir qu'à compter du 8 mars 2018, date à laquelle lui a été notifié le courrier du 5 mars 2018 lui signifiant sa mise à pied conservatoire, et non dès le 5 mars.

9. En quatrième lieu, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que le délai séparant la date de mise à pied de la salariée et la saisine de l'inspecteur du travail avait été en l'espèce aussi court que possible et qu'il ne résultait pas d'un manque de diligence de l'employeur, la cour administrative d'appel a relevé que ... avait dû mener des investigations complémentaires sur certains agissements commis le 7 mars 2018 par Mme A..., susceptibles de fonder également la demande d'autorisation de licenciement, et que l'association avait dû attendre les éclaircissements sur ce point de la caisse primaire d'assurance maladie, qui ne lui sont parvenus que le 20 mars 2018. En jugeant que le dépassement, dans ces conditions, de six jours du délai prescrit à l'article R. 2421-6 du code du travail n'était pas excessif et n'entachait pas d'irrégularité la procédure et en déduisant qu'il ne faisait pas obstacle à ce que l'autorité administrative autorise le licenciement de Mme A..., la cour s'est, sans erreur de droit, livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce.

10. En cinquième et dernier lieu, pour écarter le moyen invoqué par Mme A... tiré de ce que la décision d'autorisation de licenciement accordée par l'inspecteur du travail ne pouvait, sans porter atteinte à sa liberté d'expression, se fonder sur la circonstance que l'annonce qu'elle avait faite aux salariés de l'association de son mandat de conseiller prud'homme avait été interprétée par ces derniers comme une démarche de déstabilisation ou un avertissement, la cour a jugé que ce grief avait été abandonné dans la décision du ministre du 17 décembre 2018. Les décisions prises sur recours hiérarchique par le ministre en matière d'autorisations de licenciement de salariés protégés ne se substituant pas aux décisions de l'inspecteur du travail, la cour, a, en statuant ainsi, commis une erreur de droit. Toutefois, Mme A... ne pouvait utilement invoquer la liberté d'expression pour faire obstacle à ce que l'inspecteur du travail retienne, dans sa décision, des propos qu'elle avait tenus, au nombre des éléments permettant de regarder comme établis les agissements de harcèlement moral qui lui étaient reprochés. Ce motif, qui répond au moyen soulevé devant les juges du fond et ne nécessite l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué à celui retenu par les juges d'appel.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de ... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par ... au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de Mme A... est rejeté.

Article 2 : Les conclusions de ... présentées au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A..., à l'Union départementale des associations familiales du Val-d'Oise (...) et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.


Synthèse
Formation : 4ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 489866
Date de la décision : 04/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

PROCÉDURE - VOIES DE RECOURS - CASSATION - CONTRÔLE DU JUGE DE CASSATION - BIEN-FONDÉ - QUALIFICATION JURIDIQUE DES FAITS - QUESTION DE SAVOIR SI UNE MESURE PROVISOIRE - PRISE À L’ENCONTRE D’UN SALARIÉ PROTÉGÉ DANS L’ATTENTE D’UNE ÉVENTUELLE PROCÉDURE DISCIPLINAIRE CONSTITUE UNE MISE À PIED CONSERVATOIRE.

54-08-02-02-01-02 Le juge de cassation exerce un contrôle de la qualification juridique des faits sur la question de savoir si une mesure provisoire, prise à l’encontre d’un salarié protégé dans l’attente d’une éventuelle procédure disciplinaire, doit être regardée comme une mise à pied conservatoire, au sens de l’article L. 2421-1 du code du travail.

66 TRAVAIL ET EMPLOI - SALARIÉS PROTÉGÉS – 1) FACULTÉ DE L’EMPLOYEUR DE PRENDRE À LEUR ÉGARD - DANS L’ATTENTE D’UNE ÉVENTUELLE PROCÉDURE DISCIPLINAIRE - DES MESURES PROVISOIRES – EXISTENCE – INCLUSION – MISE EN DISPONIBILITÉ PROVISOIRE – 2) MESURE NE POUVANT CONSTITUER UNE MISE À PIED CONSERVATOIRE DÉGUISÉE – CONTRÔLE DU JUGE DE CASSATION – QUALIFICATION JURIDIQUE DES FAITS.

66 1) L’employeur peut prendre, dans l’attente d’une éventuelle procédure disciplinaire, des mesures provisoires adaptées destinées à garantir les intérêts de l’entreprise, des autres salariés et des usagers, telles que la mise en disponibilité provisoire du salarié concerné, pourvu qu’il n’en résulte pas, sans l’accord du salarié, une modification durable de son contrat de travail....2) Le juge de cassation exerce un contrôle de la qualification juridique des faits sur la question de savoir si une mesure provisoire, prise à l’encontre d’un salarié protégé dans l’attente d’une éventuelle procédure disciplinaire, doit être regardée comme une mise à pied conservatoire, au sens de l’article L. 2421-1 du code du travail.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 avr. 2025, n° 489866
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cabrera
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : GALY ; SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL

Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:489866.20250404
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