Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 juin, 1er juillet et 29 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée Medtronic France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 janvier 2024 par laquelle les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont refusé l'inscription du dispositif médical Kyphon sur la liste des produits et prestations pris en charge en sus des prestations d'hospitalisation mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale pour les indications " fracture ostéoporotique " et " fracture secondaire à une néoplasie lytique ", ainsi que le rejet de son recours gracieux ;
2°) d'enjoindre aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale de réexaminer sa demande d'inscription du dispositif médical " Kyphon " sur la liste dite " en sus " pour les indications " fracture ostéoporotique " et " fracture secondaire à une néoplasie lytique " dans le délai de trois mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier que la société Medtronic a demandé l'inscription du dispositif de cyphoplastie par ballonnets Kyphon sur la liste des produits et prestations remboursables mentionnée à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale et sur la liste des produits et prestations pris en charge en sus des prestations d'hospitalisation mentionnée à l'article L. 162-22-7 du même code pour trois indications distinctes : les fractures ostéoporotiques, les fractures traumatiques et les fractures secondaires à une néoplastie lytique. Par un avis du 16 mai 2023, la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé a estimé que le service attendu de ce dispositif était " suffisant " et a considéré que l'amélioration du service attendu était, d'une part, " mineure " (niveau IV) par rapport aux traitements médicaux conventionnels non chirurgicaux (antalgiques, corsets, kinésithérapie) pour le traitement des fractures ostéoporotiques et des fractures secondaires à une néoplasie lytique, et, d'autre part, " absent " (niveau V) par rapport à la vertébroplastie et aux systèmes pour spondyloplastie avec implant intracorporéal, pour les trois indications. Par une décision du 9 janvier 2024, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont inscrit le dispositif médical Kyphon sur les deux listes dans l'indication du traitement des fractures traumatiques et ont refusé cette inscription pour les deux autres indications. La société Medtronic demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, en tant qu'elle refuse l'inscription du dispositif médical Kyphon sur la liste des produits et prestations pris en charge en sus des prestations d'hospitalisation mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale : " Le remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel (...) est subordonné à leur inscription sur une liste établie après avis d'une commission de la Haute Autorité de santé mentionnée à l'article L. 161-37 (...) ". L'article R. 165-1 du même code prévoit que : " Les produits et prestations mentionnés à l'article L. 165-1 ne peuvent être remboursés par l'assurance maladie (...) que s'ils figurent sur une liste établie par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé de la santé après avis de la commission spécialisée de la Haute Autorité de santé mentionnée à l'article L. 165-1 du présent code et dénommée " Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé " (...) ". L'article R. 165-2 précise que : " Les produits ou les prestations mentionnés à l'article L. 165-1 sont inscrits sur la liste prévue audit article au vu de l'appréciation du service qui en est attendu. / Le service attendu est évalué, dans chacune des indications du produit ou de la prestation et, le cas échéant, par groupe de population en fonction des deux critères suivants : / 1° L'intérêt du produit ou de la prestation au regard, d'une part, de son effet thérapeutique, diagnostique ou de compensation du handicap ainsi que des effets indésirables ou des risques liés à son utilisation, d'autre part, de sa place dans la stratégie thérapeutique, diagnostique ou de compensation du handicap compte tenu des autres thérapies ou moyens de diagnostic ou de compensation disponibles ; / 2° Son intérêt de santé publique attendu (...)./ Les produits ou prestations dont le service attendu est insuffisant pour justifier l'inscription au remboursement ne sont pas inscrits sur la liste. " et l'article R. 165-4 de ce code que : " Ne peuvent être inscrits sur la liste prévue à l'article L. 165-1 : (...) 2° Les produits ou prestations qui n'apportent ni amélioration du service qui en est attendu ou du service qu'ils rendent, ni économie dans le coût du traitement ou qui sont susceptibles d'entraîner des dépenses injustifiées pour l'assurance maladie. (...) "
3. D'autre part, aux termes du I de l'article L. 162-22-7 du même code : " L'Etat fixe (...) les conditions dans lesquelles certains produits et prestations mentionnés à l'article L. 165-1 peuvent faire l'objet d'une prise en charge en sus des prestations d'hospitalisation susmentionnées. Cette liste précise les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge (...) des produits et prestations en sus des prestations d'hospitalisation mentionnées à l'article L. 162-22 ". Aux termes du premier alinéa de son article R. 162-38 : " La liste des produits et prestations et les conditions de prise en charge des produits et prestations mentionnés à l'article L. 162-22-7 sont fixées par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ".
4. Enfin, l'article R. 165-16 du code de la sécurité sociale prévoit que les décisions portant refus d'inscription sur la liste prévue à l'article L. 165-1 sont communiquées à l'entreprise avec la mention de leurs motifs. Il en va de même des décisions de refus d'inscription sur la liste des produits et prestations pris en charge en sus des prestations d'hospitalisation mentionnée à l'article L. 162-22-7 du même code.
5. Par ailleurs, la notice d'information relative à la procédure de demande d'inscription ou de radiation d'un produit ou d'une prestation sur la liste en sus, publiée sur le site internet du ministère chargé de la santé le 17 décembre 2021 à effet du 1er janvier 2022, indique les critères sur lesquels se fondent les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale pour inscrire certains produits et prestations mentionnés à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale sur la liste des produits et prestations pris en charge en sus des prestations d'hospitalisation mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale ou pour les radier de cette liste. Le point 5 de cette notice mentionne que l'inscription d'un produit ou d'une prestation est subordonnée au respect de plusieurs conditions dont celle d'une amélioration du service attendu majeure, importante, modérée ou mineure et que cette inscription peut intervenir en cas d'absence d'amélioration du service attendu lorsque le ou les comparateurs retenus par la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé sont inscrits sur cette même liste dans l'indication considérée.
6. Par un avis du 16 mai 2023, la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, s'agissant de la place du dispositif médical Kyphon dans la stratégie thérapeutique, a relevé que, selon les recommandations de plusieurs sociétés savantes, pour le traitement des fractures vertébrales par compression, le traitement de première intention était un traitement non chirurgical (antalgiques, alitement, port d'un corset), mais que, chez certains patients réfractaires au traitement médical, en cas de collapsus vertébral continu et de douleur intense, une approche chirurgicale par augmentation vertébrale pouvait être indiquée. Elle a ensuite attribué au dispositif médical Kyphon une absence d'amélioration du service attendu (niveau V) par rapport à la vertébroplastie et aux systèmes par spondyloplastie avec implant intracorporéal et un niveau mineur d'amélioration du service attendu (niveau IV) par rapport aux traitements médicaux conventionnels non chirurgicaux (antalgiques, corsets, kinésithérapie).
7. Pour refuser l'inscription sur la liste dite " en sus " du dispositif médical Kyphon dans deux des indications pour lesquelles elle était sollicitée, à savoir le traitement des fractures ostéoporotiques et des fractures secondaires à une néoplasie lytique, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont indiqué se fonder sur l'absence d'amélioration du service attendu (niveau V) de ce dispositif médical par rapport à la vertébroplastie et aux systèmes par spondyloplastie avec implant intracorporéal. En retenant ce seul critère, sans faire état d'éléments sur la place respective de ces comparateurs dans la stratégie thérapeutique par rapport à celle des traitements médicaux conventionnels non chirurgicaux, au regard desquels la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé avait attribué au dispositif en cause un niveau mineur d'amélioration du service attendu (niveau IV) et dont ils n'ont pas précisé s'ils intervenaient sur la même ligne de traitement, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont insuffisamment motivé leur décision.
8. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, la société Medtronic France est fondée à demander l'annulation, d'une part, de la décision du 9 janvier 2024 lui refusant l'inscription du dispositif médical Kyphon sur la liste des produits et prestations pris en charge en sus des prestations d'hospitalisation mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale pour les indications " fracture ostéoporotique " et " fracture secondaire à une néoplasie lytique " et, d'autre part, de la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
9. L'exécution de la présente décision implique nécessairement, eu égard à ses motifs, le réexamen de la demande de la société requérante. Il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'ordonner qu'il soit procédé à ce réexamen dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Medtronic au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La décision des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale du 9 janvier 2024, en tant qu'elle refuse l'inscription du dispositif médical Kyphon sur la liste des produits et prestations pris en charge en sus des prestations d'hospitalisation mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale pour les indications " fracture ostéoporotique " et " fracture secondaire à une néoplasie lytique " et la décision de rejet du recours gracieux formé contre cette décision sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale de réexaminer la demande de la société Medtronic dans un délai de six mois.
Article 3 : L'Etat versera à la société Medtronic France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Medtronic France, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 mars 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat ; Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 26 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Redondo
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber