Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de réformer la décision du 27 novembre 2019 par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a approuvé, après réformation, le compte de campagne qu'il avait déposé au titre de l'élection des représentants au Parlement européen le 26 mai 2019 et a fixé à 3 374 658 euros le montant du remboursement dû par l'État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral.
Par un jugement n° 2001649 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit à cette demande en fixant le montant du remboursement dû par l'État à la somme de 3 376 758 euros.
Par un arrêt n° 21PA06659 du 28 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a modifié le compte de campagne de M. B... et fixé le montant du remboursement dû par l'Etat à la somme de 3 443 713 euros.
Par un pourvoi, enregistré le 16 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a décidé de réintégrer dans le compte de campagne du candidat les sommes de 6 541 euros et de 48 742 euros correspondant respectivement à des intérêts échus et à des primes exceptionnelles ;
2°) de régler l'affaire au fond en fixant le montant du remboursement dû par l'Etat à la somme de 3 388 430 euros.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 ;
- le code électoral ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 février 2025, présentée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de réformer la décision du 27 novembre 2019 par laquelle la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a approuvé, après réformation, le compte de campagne de la liste par lui conduite lors des opérations électorales qui se sont déroulées le 26 mai 2019 en vue des élections des représentants au Parlement européen et a fixé à 3 374 658 euros le montant du remboursement dû par l'État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral. Par un jugement du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit à sa demande en fixant le montant du remboursement dû par l'État en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral à 3 376 758 euros. Par un arrêt du 28 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a porté ce montant à 3 443 713 euros, en y intégrant notamment la somme de 6 541 euros correspondant à des intérêts se rapportant à des prêts consentis pour le financement de la campagne avant le versement effectif des fonds et celle de 48 742 euros correspondant à des primes exceptionnelles versées à certains salariés de la campagne. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a jugé que ces deux dépenses ouvraient droit au remboursement forfaitaire de l'Etat.
2. D'une part, il résulte de l'article 19-1 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen que le plafond des dépenses électorales pour une liste de candidats à l'élection des représentants au Parlement européen est fixé à 9 200 000 euros et que le remboursement forfaitaire est versé aux listes de candidats qui ont obtenu 3 % et plus des suffrages exprimés. D'autre part, aux termes de l'article L. 52-15 du code électoral rendu applicable, comme les autres dispositions du titre Ier du livre Ier de ce code, à l'élection des représentants au Parlement européen par l'article 2 de la loi du 7 juillet 1977 : " La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne. Elle arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu à l'article L. 52-11-1. (...) / Le remboursement total ou partiel des dépenses retracées dans le compte de campagne, quand la loi le prévoit, n'est possible qu'après l'approbation du compte de campagne par la commission. (...) ". L'article L. 52-11-1 de ce code prévoit que : " Les dépenses électorales des candidats aux élections auxquelles l'article L. 52-4 est applicable font l'objet d'un remboursement forfaitaire de la part de l'Etat égal à 47,5 % de leur plafond de dépenses. Ce remboursement ne peut excéder le montant des dépenses réglées sur l'apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne. (...) ". Les dépenses électorales susceptibles de faire l'objet de ce remboursement sont définies à l'article L. 52-12 du code électoral comme étant " l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle " par le candidat ou pour son compte au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4 du même code.
3. Les dépenses électorales susceptibles de faire l'objet, en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral, d'un remboursement forfaitaire de la part de l'Etat sont celles dont la finalité est l'obtention des suffrages des électeurs. Les dépenses qui, bien qu'engagées pendant la campagne par le candidat tête de liste ou par ses colistiers, n'ont pas cette finalité ne peuvent ouvrir droit au remboursement forfaitaire de l'Etat. Il appartient au juge de se prononcer sur le droit au remboursement du candidat et de réformer le cas échéant son compte de campagne, en arrêtant le montant du remboursement auquel le candidat peut prétendre de la part de l'État.
S'agissant de la réintégration de la somme de 6 541 euros d'intérêts comptabilisés :
4. Pour l'application des dispositions de l'article L. 52-11-1 du code électoral, les intérêts des emprunts souscrits par les candidats pour financer leur campagne constituent des "dépenses électorales" qui peuvent être prises en compte pour le calcul du remboursement forfaitaire de l'État, sous réserve que la réalité et la sincérité de l'emprunt soient établies, que son montant ne dépasse pas les besoins du candidat pour le financement de la campagne, que son taux corresponde aux conditions du marché et qu'il ait été souscrit pour une durée ne dépassant pas le délai raisonnablement prévisible d'intervention du remboursement par l'État, mais sans qu'il y ait lieu de ne prendre en compte que les intérêts échus avant la date limite de dépôt du compte de campagne.
5. Pour juger que la somme de 6 541 euros, correspondant à des intérêts échus portant sur une période comprise entre la remise des chèques par des prêteurs sympathisants et leur encaissement par l'association de financement électoral, devait être réintégrée dans le compte de campagne de M. B..., la cour a relevé, d'une part, qu'il n'était pas démontré que le montant des intérêts ainsi versés excèderait les conditions du marché et, d'autre part, que ce montant, rapporté au nombre des prêteurs, ne pouvait être regardé comme un enrichissement personnel de nature à porter atteinte au principe de la sincérité des emprunts. En statuant de la sorte, alors que l'exigence tenant à la réalité et à la sincérité de l'emprunt commandait de ne prendre en considération que les seuls intérêts échus à compter du versement effectif des fonds sur le compte de l'association de financement électoral, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit.
S'agissant de la réintégration de la somme de 48 742 euros de primes exceptionnelles
6. Il ressort des motifs de l'arrêt attaqué que des primes exceptionnelles ont été versées à vingt-quatre salariés de la campagne électorale, pour un montant de 51 791 euros, charges comprises, en sus de la rémunération prévue par les contrats de travail, afin de récompenser les efforts réalisés par les intéressés au cours de la campagne.
7. Si des primes exceptionnelles versées à des salariés de l'équipe de campagne pour récompenser leur engagement peuvent présenter le caractère de dépenses électorales, au sens de l'article L. 52-12 du code électoral, c'est à la condition que l'employeur les justifie par la production des stipulations contractuelles prévoyant le principe de ces gratifications exceptionnelles et les critères de leur versement.
8. Pour réintégrer la somme de 48 742 euros dans le compte de campagne de M. B..., la cour a estimé que ni la circonstance que le versement de ces primes n'était pas prévu par le contrat de travail des membres salariés de l'équipe de campagne, ni l'absence d'explications précises sur les modalités de leur répartition entre ces salariés n'étaient par elles-mêmes de nature à exclure le caractère électoral de la dépense, dès lors que les montants en cause demeuraient raisonnables et qu'ils bénéficiaient à des salariés ayant effectivement participé à la campagne. Il s'ensuit, qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que ces primes auraient été contractuellement prévues, la cour a commis une erreur de droit.
9. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris doit être annulé en tant qu'il a réintégré les sommes de 6 541 et 48 742 euros dans le compte de campagne de M. B... et, en conséquence, en tant qu'il fixe le montant du remboursement dû au candidat par l'Etat.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
11. En premier lieu, d'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que c'est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a estimé que le paiement des intérêts ne pouvait être admis qu'à compter de la date effective de la mise à disposition des fonds sur le compte de l'association électorale et retranché du compte de campagne la somme de 6 541 euros. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que le versement de primes exceptionnelles à vingt-trois salariés de l'équipe de campagne de M. B..., pour un montant de 48 742 euros aurait été prévu dans leurs contrats de travail. Celles-ci ne peuvent, en conséquence, être regardées comme des dépenses électorales, au sens de l'article L. 52-12 du code électoral, susceptibles de bénéficier du remboursement forfaitaire de l'Etat. Il s'ensuit que les dépenses du compte de campagne de M. B... doivent être arrêtées à la somme de 3 461 155 euros et ses recettes à la somme de 3 843 294 euros, soit un excédent de 382 139 euros.
12. En second lieu, il résulte de l'instruction que le montant ainsi arrêté des dépenses à caractère électoral de M. B..., dont la liste a obtenu plus de 3 % des suffrages exprimés, est inférieur à 47,5 % du plafond des dépenses, mais supérieur au montant de ses apports personnels diminué de l'excédent de son compte, lequel s'établit à 3 388 430 euros. Il résulte par suite des dispositions de l'article L. 52-11-1 du code électoral que le montant du remboursement qui lui est dû par l'Etat doit être fixé au montant de son apport personnel diminué de l'excédent de son compte.
13. Il y a lieu, par conséquent, de fixer le montant du remboursement forfaitaire dû par l'État à M. B... à la somme de 3 388 430 euros.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 28 décembre 2023 est annulé en tant qu'il a réintégré dans le compte de campagne de M. B... les sommes de 6 541 euros et 48 742 euros, correspondant respectivement à des intérêts comptabilisés et à des primes exceptionnelles, et en tant qu'il fixe le montant du remboursement dû au candidat par l'Etat.
Article 2 : Le compte de campagne de M. B..., déposé au titre de l'élection des représentants au Parlement européen qui s'est déroulée le 26 mai 2019 est modifié conformément aux motifs de la présente décision.
Article 3 : Le montant du remboursement dû par l'Etat à M. B... en application de l'article L. 52-11-1 du code électoral est fixé à la somme de 3 388 430 euros.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et à M. A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 19 février 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, M. Bruno Bachini, conseillers d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 25 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Stéphanie Vera
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain