Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 27 septembre 2024 et le 10 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat France Hydro Electricité demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite par laquelle Voies navigables de France (VNF) a rejeté sa demande du 29 mai 2024 tendant à l'abrogation de la délibération du 17 décembre 2019 de son conseil d'administration, modifiée par une délibération du 28 juin 2023 ;
2°) d'enjoindre à VNF d'abroger cette délibération modifiée ;
3°) de mettre à la charge de VNF la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Alianore Descours, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Le syndicat France Hydro Electricité demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle Voies Navigables de France (VNF) a rejeté sa demande du 29 mai 2024 tendant à l'abrogation de la délibération du 17 décembre 2019 du conseil d'administration de cet établissement relative aux modalités de mise en œuvre de la redevance de prise et de rejet d'eau dans le domaine public fluvial qui lui est confié, modifiée par une délibération du 28 juin 2023. Eu égard aux moyens qu'elle soulève, la requête doit être regardée comme étant dirigée contre la délibération modifiée en tant qu'elle concerne la redevance due au titre des installations de production hydroélectrique.
2. Aux termes de l'article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 donne lieu au paiement d'une redevance (...) ". Aux termes de l'article L. 2125-3 du même code : " La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation ".
3. Aux termes de l'article L. 2125-7 du même code : " Les titulaires d'autorisations de prise d'eau sur le domaine public fluvial sont assujettis à payer à l'Etat une redevance calculée d'après les bases fixées par un décret en Conseil d'Etat. / Sur le domaine public fluvial appartenant ou confié en gestion à une collectivité territoriale ou un groupement, la redevance est perçue à son profit. Elle est établie par délibération de l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale ou du groupement, dans les limites fixées par décret en Conseil d'Etat. / Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux cours d'eau domaniaux et aux canaux confiés à Voies navigables de France ". Aux termes de l'article R. 2125-13 du même code : " La redevance annuelle prévue au deuxième alinéa de l'article L. 2125-7 du code général de la propriété des personnes publiques que peut instituer une collectivité pour les autorisations de prises d'eau sur son domaine public fluvial est fixée dans la limite de 7 euros par millier de mètres cubes prélevables ou rejetables dans l'année. / Cette redevance s'ajoute à la redevance d'occupation temporaire du domaine. (...) / Lorsque les autorisations de prises d'eau concernent un ouvrage hydroélectrique autorisé en application de la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, cette redevance est égale au produit de la puissance maximale brute autorisée de la chute par un taux de base ne pouvant dépasser 18,3 euros par kilowatt. L'ensemble des redevances pour prise d'eau et pour occupation du domaine ne doit pas dépasser un montant égal à 3 % du chiffre d'affaires annuel procuré par l'ouvrage l'année précédant l'année d'imposition. "
4. Aux termes de l'article L. 4316-1 du code des transports : " Les ressources de Voies navigables de France comprennent : / 1° Le produit des redevances de prise et de rejet d'eau ; (...) ". Aux termes de l'article R. 4316-1 du même code : " Les titulaires de titres d'occupation ou d'utilisation du domaine public fluvial confié à Voies navigables de France qui implantent ou exploitent des ouvrages destinés à la prise ou au rejet d'eau, ou d'autres ouvrages hydrauliques destinés à prélever ou à évacuer des volumes d'eau sur le domaine public fluvial sont assujettis au paiement d'une redevance mentionnée au 1° de l'article L. 4316-1 ". Aux termes de l'article R. 4316-2 du même code : " Lorsque le titre d'occupation ou d'utilisation du domaine public mentionné à l'article R. 4316-1 est délivré en vue d'utiliser la force motrice de l'eau à des fins de production électrique, le montant de la redevance est déterminé par l'autorité compétente de Voies navigables de France dans le cadre fixé par les articles L. 2122-1-1 à L. 2122-1-4 du code général de la propriété des personnes publiques. Cette redevance comporte une part fondée sur la superficie de l'emprise au sol des ouvrages implantés sur le domaine public fluvial ainsi qu'une part représentative des avantages de toute nature procurés par la prise ou le rejet de l'eau (...) ". Aux termes de l'article R. 4316-3 du même code : " Lorsque le titre d'occupation ou d'utilisation du domaine public mentionné à l'article R. 4316-1 est accordé pour un autre usage que celui mentionné à l'article R. 4316-2, la redevance comporte une part fondée sur l'emprise au sol de l'ouvrage sur le domaine public fluvial et une part fondée sur les avantages de toute nature procurés par la prise ou le rejet de l'eau et assise sur le volume maximal prélevable ou rejetable annuellement par l'ouvrage. / Le montant de la redevance est déterminé par l'autorité compétente de Voies navigables de France en fonction de taux déterminés par catégories d'usages ".
5. L'article 3 de la délibération litigieuse prévoit que : " Article 3.1 / Les redevances relatives à l'usage hydroélectrique sont déterminées dans le cadre défini par les articles L. 2122-1-1 à L. 2122-1-4 du code général de la propriété des personnes publiques en ce qui concerne les occupations accordées à partir du 31 décembre 2019. Elles comportent une part emprise et une part représentative des avantages procurés par la prise ou le rejet de l'eau. / Article 3.2 / Dans le cas d'une convention d'occupation temporaire pour l'usage hydroélectrique, arrivant à terme et relevant d'un des cas d'exception à la mise en concurrence au titre des articles L. 2122-1-2 à L. 2122-1-3-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), si VNF ne parvient pas à obtenir, de la part de l'occupant, un plan d'affaires dûment justifié, conformément aux dispositions qui précèdent, alors VNF peut proposer une convention d'occupation temporaire pour une durée de 30 ans et la redevance relative à l'usage hydroélectrique est déterminée par application de la grille tarifaire suivante (...) ". Les articles 4 et 5 de cette délibération fixent, pour les usages autres que l'hydroélectricité, les taux applicables à la part fondée sur l'emprise au sol de l'ouvrage et à la part représentative des avantages de toute nature procurés par la prise ou le rejet d'eau.
6. En premier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
7. D'une part, compte tenu de la nature de l'activité de production hydroélectrique, de son potentiel économique et de la rareté des emplacements du domaine public fluvial caractérisés par la présence d'une chute d'eau et d'un débit important propres à permettre l'exercice d'une telle activité, les occupants du domaine public fluvial utilisant la force motrice de l'eau à des fins de production hydroélectrique se trouvent, s'agissant de l'appréciation des avantages de toute nature procurés par cette occupation et cette utilisation du domaine public, dans une situation différente de celle des personnes qui procèdent à des prises ou rejets d'eau pour d'autres usages, notamment agricole, industriel et commercial, ou pour les besoins du service public de l'eau et de l'assainissement. En retenant, dans la délibération attaquée, des modalités différentes d'établissement du montant de la redevance de prise et rejet d'eau pour les usages hydroélectriques et pour les autres usages, qui ne sont pas manifestement disproportionnées et découlent au demeurant de l'application des dispositions des articles R. 4316-2 et R. 4316-3 du code des transports dont la légalité n'est pas contestée, VNF n'a pas méconnu le principe d'égalité de traitement entre les usagers du domaine public qui lui est confié.
8. D'autre part, le législateur a prévu, respectivement aux articles L. 2125-7 du code général de la propriété des personnes publiques et L. 4316-1 du code des transports, la soumission des titulaires d'autorisations de prise d'eau sur le domaine public fluvial et d'utilisation de la force motrice de l'eau à des régimes de redevance distincts selon que sont en cause le domaine public fluvial appartenant ou confié en gestion à une collectivité territoriale ou un groupement, ou les cours d'eau domaniaux et canaux confiés à Voies navigables de France. Par suite, le syndicat requérant ne saurait utilement soutenir qu'à défaut de limiter le montant maximal des redevances pour usage hydroélectrique susceptibles d'être mises à la charge des occupants du domaine public confié à VNF à 3% du montant du chiffre d'affaires, alors que les personnes occupant à des fins de production hydroélectrique le domaine public fluvial géré par les collectivités territoriales bénéficient, en application de l'article R. 2125-13 du code général de la propriété des personnes publiques, d'un plafonnement du montant total de la redevance pour prise d'eau et pour occupation du domaine pouvant être exigée d'eux en application de ce code, la délibération attaquée aurait méconnu le principe d'égalité.
9. En deuxième lieu, d'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ". Aux termes du paragraphe 3 de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides (...) ".
10. D'autre part, aux termes de l'article L. 4311-2 du code des transports : " Dans le cadre de ses missions, Voies navigables de France peut également : / (...) 6° Exploiter, à titre accessoire et sans nuire à la navigation, l'énergie hydraulique au moyen d'installations ou d'ouvrages situés sur le domaine public mentionné à l'article L. 4311-1 du présent code en application des articles L. 511-2 ou L. 511-3 du code de l'énergie et le potentiel de production d'énergies renouvelables sur le domaine public précité et le domaine privé en application de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables ; (...) ".
11. La délibération modifiée prévoit, en réitérant les dispositions de l'article R. 4316-2 du code des transports, que la redevance de prise et rejet d'eau applicable à l'usage hydroélectrique est, en ce qui concerne les occupations accordées à partir du 31 décembre 2019, déterminée dans le cadre défini par les articles L. 2122-1-1 à L. 2122-1-4 du code général de la propriété des personnes publiques et qu'elle comporte une part fondée sur l'emprise au sol des ouvrages implantés sur le domaine public fluvial et une part représentative des avantages de toute nature procurés par l'occupation de ce domaine. Il résulte des articles 3, 8 et 9 de cette délibération que ces avantages sont évalués à partir de la puissance maximale brute autorisée et du plan d'affaires de l'occupant, lequel indique notamment le montant de la part représentative des avantages de toute nature de la redevance hydraulique qu'il propose en fonction du chiffre d'affaires prévisionnel de l'installation objet de la demande d'autorisation, à charge pour VNF de procéder à d'éventuelles régularisations à la hausse ou à la baisse sur la base du chiffre d'affaires effectivement généré par l'installation. Il résulte par ailleurs de l'article 3.2 de cette même délibération, telle que modifiée par la délibération du 28 juin 2023, que, dans le cas d'une convention d'occupation temporaire pour l'usage hydroélectrique arrivant à terme et relevant d'un cas d'exception à la mise en concurrence prévue par les articles L. 2122-1-2 à L. 2122-1-3-1 du code général de la propriété des personnes publiques, VNF peut proposer, lorsqu'il ne parvient pas à obtenir de l'occupant un plan d'affaires dûment justifié, une convention d'occupation temporaire d'une durée de trente ans dont la redevance est alors déterminée par application d'une grille tarifaire détaillée à cet article, élaborée par VNF à partir d'un retour d'expérience sur l'avantage procuré par l'usage de la force motrice de l'eau dans les premières conventions d'occupation temporaire conclues par l'établissement. Le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en prévoyant ainsi, pour déterminer, de manière adaptée à chaque cas et sous le contrôle du juge administratif, la part représentative des avantages de toute nature procurés par l'occupation du domaine public fluvial, la prise en compte du plan d'affaires de l'exploitant hydroélectrique et en renvoyant, lorsque l'occupant ne produit pas un tel plan, à l'application d'un barème, sans édicter de règle générale de plafonnement des redevances à 3% du chiffre d'affaires, VNF aurait entaché sa délibération d'erreur de droit en ce qu'il aurait prévu une méthode de détermination de la redevance hydraulique décorrélée des avantages procurés à l'occupant. Le requérant n'apporte, par ailleurs, aucun élément de nature à établir que le barème prévu à l'article 3.2 de la délibération contestée serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
12. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le moyen tiré de ce que, en l'absence d'une règle générale de plafonnement des redevances en fonction du chiffre d'affaires, la délibération attaquée permettrait la perception par VNF de redevances fixées discrétionnairement à un niveau excessif et qui seraient, du fait de ce caractère excessif, constitutives d'une aide d'Etat à son profit, ne peut en tout état de cause qu'être écarté. Si le syndicat requérant soutient également que VNF, en qualité d'opérateur pouvant exercer lui-même une activité accessoire de production d'hydroélectricité en vertu du 6° de l'article L. 4311-2 du code des transports, bénéficierait, à raison non d'un prétendu niveau excessif de celles-ci, mais de l'attribution par l'Etat à cet établissement du produit des redevances pour prise et rejet d'eau pour usage de production hydroélectrique due par les occupants du domaine qu'il lui a confié, d'un avantage sélectif faussant ou menaçant de fausser la concurrence et qui serait constitutif pour ce motif d'une aide d'Etat, il ressort des pièces du dossier que le produit de la redevance hydraulique pour usage de production d'hydroélectricité, de l'ordre de 700 000 euros, qui abonde le budget de VNF et dont il ne représente qu'une part infime des ressources, soit 0,1% en 2023, n'est pas affecté à l'activité accessoire de production d'hydroélectricité de cet établissement et est très insuffisant pour couvrir les coûts afférents aux activités non concurrentielles de VNF et aux charges de service public lui incombant. Par suite, son attribution à VNF ne saurait constituer une aide d'Etat.
13. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que la délibération attaquée serait de nature à fausser la concurrence en exigeant, pour la délivrance de l'autorisation d'occupation du domaine public, la transmission d'éléments relevant du secret des affaires, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par VNF, que le syndicat requérant n'est pas fondé à demander l'annulation du refus d'abroger la délibération du 17 décembre 2019 modifiée par la délibération du 28 juin 2023. Il y a lieu, par suite, de rejeter ses conclusions à cette fin, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fins d'injonction.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de VNF qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Syndicat France Hydro Electricité la somme de 3 000 euros à verser à VNF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du syndicat France Hydro Electricité est rejetée.
Article 2 : Le syndicat France Hydro Electricité versera à Voies navigables de France une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au syndicat France Hydro Electricité et à Voies navigables de France.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 février 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Alianore Descours, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.
Rendu le 12 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Alianore Descours
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle