Vu la procédure suivante :
La société civile Saint-Louis a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1801504 du 23 décembre 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21NC00529 du 6 avril 2023, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par la société civile Saint-Louis contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les
6 juin et 5 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société civile Saint-Louis demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société civile Saint-Louis ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société civile Saint-Louis, qui a opté pour l'imposition de ses bénéfices à l'impôt sur les sociétés, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2013 et 2014, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a remis en cause, au titre de ces deux exercices, la déduction de diverses provisions. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 6 avril 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Nancy du 23 décembre 2020 rejetant sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie à la suite de ces rectifications.
Sur les provisions pour créances douteuses détenues sur la SCI Les Amis Sportifs et la SCI du Fort Pélissier :
2. D'une part, aux termes de l'article 8 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de l'article 6, les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. (...) / Il en est de même, sous les mêmes conditions : / 1° Des membres des sociétés civiles qui ne revêtent pas, en droit ou en fait, l'une des formes de sociétés visées au 1 de l'article 206 et qui, sous réserve des exceptions prévues à l'article 239 ter, ne se livrent pas à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 ; / (...) ". Aux termes de l'article 218 bis du même code : " Les sociétés ou personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 206, à l'exception de celles désignées au 5 de l'article précité, sont personnellement soumises audit impôt à raison de la part des bénéfices correspondant aux droits qu'elles détiennent, dans les conditions prévues aux articles 8, 8 quater, 8 quinquies et 1655 ter, en qualité d'associées en nom ou commanditées ou de membres de sociétés visées auxdits articles ".
3. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ".
4. En premier lieu, en vertu des dispositions des articles 8 et 218 bis du code général des impôts citées au point 2, les associés des sociétés civiles qu'elles visent sont personnellement soumis à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés pour la part des bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans ces sociétés. Il en résulte que, lorsque leur bénéfice imposable est déterminé conformément aux prescriptions des articles 38 et suivants du code général des impôts, ces associés doivent prendre en compte, à la clôture de leurs propres exercices, comme un profit imposable ou comme une charge déductible, la part qui leur revient dans les résultats bénéficiaires ou déficitaires de la société civile. Cette règle ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que l'associé d'une société civile immobilière constitue, dans les conditions prévues au 5° du 1 de l'article 39 de ce code, une provision pour tenir compte du risque de perte d'une créance qu'il a consentie à cette société.
5. En jugeant fondée la réintégration des provisions pour créances douteuses constatées par la société requérante à raison d'avances qu'elle avait accordées à la SCI Les Amis Sportifs et à la SCI du Fort Pélissier, lesquelles ont pour activité la location de biens immobiliers leur appartenant, au motif que le risque, pour cette société, de perdre ses créances était indissociable des pertes qui avaient vocation à être constatées dans les écritures de ces SCI, et dont, en tant qu'associée, il lui revenait d'imputer la part correspondant à ses participations sur ses propres résultats, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'il lui appartenait de rechercher si ces provisions satisfaisaient aux conditions prévues au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, la cour a commis une erreur de droit.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1857 du code civil : " A l'égard des tiers, les associés [d'une société civile] répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements ".
7. En jugeant que le caractère douteux des créances détenues par la société requérante sur la SCI Les Amis Sportifs n'était, de surcroît, pas justifié, faute qu'il soit établi que l'autre associé n'était pas en capacité de faire face au paiement de ces dettes sociales, alors que l'obligation aux dettes des associés d'une société civile prévue par l'article 1857 du code civil cité au point 6 ne vaut, en tout état de cause, que pour les dettes à l'égard des tiers et non des associés, la cour a commis une erreur de droit.
8. En troisième lieu, aux termes du 13 de l'article 39 du code général des impôts, applicable aux exercices clos à compter du 4 juillet 2012 : " Sont exclues des charges déductibles pour l'établissement de l'impôt les aides de toute nature consenties à une autre entreprise, à l'exception des aides à caractère commercial. / (...) ".
9. En jugeant fondée la réintégration des provisions constatées à raison d'avances accordées par la société Saint-Louis, leur associée, à la SCI Les Amis Sportifs et à la SCI du Fort Pélissier au motif que ces avances constituaient des aides à caractère financier entrant dans le champ des dispositions du 13 de l'article 39 du code général des impôts cité au point 8, alors qu'eu égard à la nature et au fonctionnement du compte courant d'associé, les sommes inscrites au crédit d'un tel compte présentent la caractéristique essentielle, en l'absence de convention particulière ou statutaire régissant ce compte, d'être remboursables à tout moment, la cour a commis une erreur de droit.
Sur les provisions pour dépréciation de la participation détenue dans la SCEA 2J et pour créances douteuses détenues sur cette société :
10. Aux termes du 4 de l'article 39 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Qu'elles soient supportées directement par l'entreprise ou sous forme d'allocations forfaitaires ou de remboursements de frais, sont exclues des charges déductibles pour l'établissement de l'impôt (...) les charges, à l'exception de celles ayant un caractère social, résultant de l'achat, de la location ou de toute autre opération faite en vue d'obtenir la disposition de résidences de plaisance ou d'agrément, ainsi que de l'entretien de ces résidences (...) ". Ces dispositions visent les charges qu'expose une entreprise, fût-ce dans le cadre d'une gestion commerciale normale, du fait qu'elle dispose d'une résidence ayant vocation de plaisance ou d'agrément, à laquelle elle conserve ce caractère et dont elle ne fait pas une exploitation lucrative spécifique.
11. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société 2J, qui a opté en 2010 pour le statut de société civile d'exploitation agricole (SCEA), exploite un domaine de 55 hectares attenant à la résidence principale de M. B... et de Mme A..., qui étaient ses associés à parts égales avant que la société civile Saint-Louis se substitue, en 2009, à M. B....
12. En jugeant fondée la réintégration des provisions comptabilisées par la société civile Saint-Louis à raison, d'une part, de la dépréciation de sa participation dans la SCEA 2J et, d'autre part, du caractère douteux des créances qu'elle détenait sur cette société, au seul motif que la constitution de celle-ci aurait permis de constituer, pour l'usage personnel de M. B... et Mme A..., un parc d'agrément devant être regardé comme une résidence de plaisance ou d'agrément au sens des dispositions du 4 de l'article 39 du code général des impôts cité au point 9, alors que ces dispositions, si elles font obstacle à la déduction par une société qui dispose d'une telle résidence des charges qui lui sont afférentes, ne permettent pas par elles-mêmes de remettre en cause les provisions constituées par l'associé de cette société, la cour a commis une erreur de droit.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la société civile Saint-Louis est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société civile Saint-Louis au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 6 avril 2023 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.
Article 3 : L'Etat versera à la société civile Saint-Louis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société civile Saint-Louis et à la ministre chargée des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 février 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,
Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, M. Vincent Daumas,
Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.
Rendu le 12 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Chatard
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :