Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 mai et 29 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Coordination rurale Union nationale demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 27 mars 2023 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique portant extension d'un accord interprofessionnel conclu dans le cadre de l'Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre (AIBS) et applicable à la campagne 2022-2023 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Poupet et Kacenelenbogen, avocat de la Coordination rurale Union nationale ;
Considérant ce qui suit :
1. La Coordination rurale Union nationale demande l'annulation de l'arrêté interministériel du 27 mars 2023 portant extension d'un accord interprofessionnel conclu le 1er décembre 2022 dans le cadre de l'Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre (AIBS) et applicable à la campagne 2022-2023.
2. Aux termes de l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles : " 1. Dans le cas où une organisation de producteurs reconnue, une association d'organisations de producteurs reconnue ou une organisation interprofessionnelle reconnue opérant dans une ou plusieurs circonscriptions économiques déterminées d'un État membre est considérée comme représentative de la production ou du commerce ou de la transformation d'un produit donné, l'État membre concerné peut, à la demande de cette organisation, rendre obligatoires, pour une durée limitée, certains accords, certaines décisions ou certaines pratiques concertées arrêtés dans le cadre de cette organisation pour d'autres opérateurs, individuels ou non, opérant dans la ou les circonscriptions économiques en question et non membres de cette organisation ou association. / (...) / 3. Une organisation ou association est considérée comme représentative lorsque, dans la ou les circonscriptions économiques concernées d'un État membre, elle représente : a) en proportion du volume de la production ou du commerce ou de la transformation du produit ou des produits concernés : i) pour les organisations de producteurs dans le secteur des fruits et légumes, au moins 60 % ; ou ii) dans les autres cas, au moins deux tiers ; et b) dans le cas des organisations de producteurs, plus de 50 % des producteurs concernés. / Toutefois, lorsque, dans le cas des organisations interprofessionnelles, la détermination de la proportion du volume de la production ou du commerce ou de la transformation du produit ou des produits concernés pose des problèmes pratiques, un État membre peut fixer des règles nationales afin de déterminer le niveau précis de représentativité visé au premier alinéa, point a) ii) (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime : " Les accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue peuvent être étendus, pour une durée déterminée, en tout ou partie, par l'autorité administrative compétente dès lors qu'ils prévoient des actions communes ou visant un intérêt commun conformes à l'intérêt général et compatibles avec la législation de l'Union européenne ". Aux termes des deuxième à cinquième alinéas de l'article L. 632-4 du même code : " L'extension des accords est également subordonnée au respect des conditions prévues par le droit de l'Union européenne applicable à ces accords / Pour l'application de l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles (...), la représentativité des organisations interprofessionnelles est appréciée en tenant compte de la structuration économique de chaque filière. Les volumes pris en compte sont ceux produits, transformés ou commercialisés par les opérateurs professionnels auxquels sont susceptibles de s'appliquer les obligations prévues par les accords. En outre, lorsque la détermination de la proportion du volume de la production ou de la commercialisation ou de la transformation du produit ou des produits concernés pose des problèmes pratiques, l'organisation interprofessionnelle est regardée comme représentative si elle représente deux tiers de ces opérateurs ou de leur chiffre d'affaires. / Pour la production, ces conditions sont présumées respectées lorsque des organisations syndicales d'exploitants agricoles représentant au total au moins 70 % des voix aux élections des chambres d'agriculture participent à l'organisation interprofessionnelle, directement ou par l'intermédiaire d'associations spécialisées adhérentes à ces organisations. / Pour tout secteur d'activité, ces conditions sont présumées respectées lorsque l'organisation interprofessionnelle démontre que l'accord dont l'extension est demandée n'a pas fait l'objet, dans le mois suivant sa publication par cette organisation, de l'opposition d'organisations professionnelles réunissant des opérateurs économiques de ce secteur d'activité représentant au total plus du tiers des volumes du secteur d'activité concerné ".
4. En premier lieu, l'arrêté interministériel contesté est intervenu en application de l'habilitation donnée à l'autorité administrative par les dispositions de l'article L. 632-3 du code rural et de la pêche maritime, qu'il vise au demeurant. La circonstance qu'il ne vise pas expressément l'article L. 632-4 du même code ne saurait en tout état de cause impliquer, contrairement à ce qui est soutenu, que cet arrêté ne se fonderait pas sur les dispositions législatives pertinentes.
5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que l'AIBS rencontre des difficultés pratiques pour déterminer la proportion du volume de la production de betteraves réalisée par les adhérents de la Confédération générale des planteurs de betteraves, organisation représentant les producteurs en son sein, avec une précision suffisante pour établir avec certitude qu'elle satisfait au critère de proportion du volume de la production prévu par l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 et qu'il existe ainsi des difficultés pratiques justifiant, comme le prévoit ce même article, qu'il soit recouru aux règles nationales qu'il incombe aux Etats membres de fixer en ce cas. L'AIBS se trouvant également dans l'impossibilité de démontrer qu'elle remplit le critère subsidiaire de représentativité prévu au troisième alinéa de l'article L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime, les ministres ont estimé qu'elle pouvait être regardée comme représentative en application du cinquième alinéa du même article, en l'absence d'opposition, dans le mois suivant la publication de l'accord, d'une ou plusieurs organisations professionnelles de producteurs représentant au total plus du tiers des volumes de betteraves produits.
6. S'il ressort des pièces du dossier que l'union syndicale " Coordination rurale Union nationale " et le syndicat professionnel " France grandes cultures " ont, par un courrier commun du 11 janvier 2023, indiqué former opposition à l'extension de l'accord interprofessionnel conclu dans le cadre de l'Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre applicable à la campagne 2022-2023, soit dans le délai d'un mois suivant sa publication, le 19 décembre 2022, sur le site internet de l'AIBS, elles n'ont pas apporté la preuve, qui leur incombe, qu'elles réunissent des producteurs réalisant, en volume, plus du tiers de la production de betteraves. Dès lors, la circonstance qu'elles ont exprimé leur opposition à l'extension de l'accord interprofessionnel ne peut faire obstacle à cette extension.
7. Il résulte de ce qui précède que la requête de la Coordination rurale Union nationale ne peut qu'être rejetée, y compris ses conclusions tendant à ce qu'il soit fait application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante la somme que demande l'Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Coordination rurale Union nationale est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Coordination rurale Union nationale et à l'Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre et à la ministre de l'agriculture, et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 13 février 2025 où siégeaient : M. Philippe Ranquet, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et Mme Cécile Isidoro, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 12 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Philippe Ranquet
La rapporteure :
Signé : Mme Cécile Isidoro
La secrétaire :
Signé : Mme Elisabeth Ravanne