Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 23 août 2022 par laquelle le directeur de l'agence Pôle emploi de Cognac a procédé à sa radiation de la liste des demandeurs d'emploi pour une durée de six mois et lui a définitivement supprimé le bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi. Par un jugement n° 2202730 du 20 février 2024, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.
Par une ordonnance n° 24BX00427 du 6 mars 2024, enregistrée le 8 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi et les mémoires, enregistrés les 21, 22 et 28 février 2024 au greffe de cette cour, présentés par M. B....
Par ce pourvoi, ces mémoires et par un nouveau mémoire, enregistré le 17 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'opérateur France Travail la somme de 2 500 euros, à verser à la SCP Jean-Philippe Caston, son avocat, au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. B... et à la SCP Boullez, avocat de l'opérateur France Travail ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par deux décisions du 26 juillet 2022, le directeur de l'agence Pôle emploi de Cognac a mis à la charge de M. B... le remboursement d'un indu d'allocation d'aide au retour à l'emploi de 40 733,80 euros, au titre de la période de septembre 2018 à décembre 2020 au cours de laquelle il avait exercé une activité salariée, et lui a infligé un avertissement. Par une décision du 23 août 2022, il a ensuite radié M. B... de la liste des demandeurs d'emploi pour une durée de six mois et lui a définitivement supprimé le bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, au motif qu'il avait fait de fausses déclarations pour obtenir le bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi. Par un jugement du 20 février 2024 dont M. B... demande l'annulation, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de cette décision du 23 août 2022.
2. En premier lieu, en vertu de l'article L. 5411-2 du code du travail, les demandeurs d'emploi doivent porter à la connaissance de Pôle emploi, devenu l'opérateur France Travail, les changements affectant leur situation susceptibles d'avoir une incidence sur leur inscription comme demandeurs d'emploi. Le 1° de l'article R. 5411-6 du même code précise qu'au nombre de ces changements figure notamment l'exercice de toute activité professionnelle, même occasionnelle ou réduite et quelle que soit sa durée. Il incombe à Pôle emploi, devenu l'opérateur France Travail, de veiller à ce que les voies offertes aux demandeurs d'emploi pour satisfaire à leurs obligations déclaratives leur permettent un accès normal au service public de l'emploi et leur garantissent l'exercice effectif de leurs droits.
3. En second lieu, les articles L. 5412-2, L. 5426-2, R. 5412-4 et R. 5426-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, prévoient une sanction de radiation de la liste des demandeurs d'emploi et de suppression définitive du revenu de remplacement en cas de fausse déclaration du demandeur d'emploi, laquelle doit s'entendre d'inexactitudes ou omissions qui procèdent d'une volonté délibérée de dissimulation caractérisant de sa part un manquement à ses obligations déclaratives.
4. Il y a lieu, pour déterminer si un demandeur d'emploi a fait de fausses déclarations afin de percevoir l'allocation d'aide au retour à l'emploi, hors les hypothèses où ses déclarations révèlent une volonté manifeste de dissimulation ou, à l'inverse, portent sur des ressources ou des activités dépourvues d'incidence sur le droit de l'intéressé au revenu de remplacement ou sur son montant, de caractériser le manquement reproché au demandeur d'emploi, en tenant compte des circonstances propres à chaque situation, au vu notamment de l'ensemble des éléments produits par le demandeur d'emploi établissant les diligences qu'il a accomplies en vue de satisfaire à ses obligations déclaratives ainsi que des observations présentées par celui-ci au cours de la procédure contradictoire préalable à la décision.
5. Dès lors, en déduisant de la seule absence de déclaration par M. B... de la reprise de son activité professionnelle sur le site internet de Pôle emploi, dans le cadre de sa déclaration mensuelle, qu'il avait fait de fausses déclarations, et en estimant que les éléments par lesquels il exposait les diligences qu'il avait accomplies en vue de satisfaire à ses obligations déclaratives n'étaient pas de nature à remettre en cause l'existence d'un tel manquement, le tribunal a commis une erreur de droit.
6. Par suite, sans qu'il besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, M. B... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
8. Il résulte de l'instruction que M. B..., qui a débuté une activité salariée le 17 décembre 2018, poursuivie jusqu'au 7 avril 2022, n'a pas déclaré, pendant toute cette période, ce changement de situation sur le site internet de Pôle emploi, dans le cadre de sa déclaration mensuelle. Il a toutefois fait état à au moins quatre reprises, dont la première fois le 20 décembre 2018, dans les soixante-douze heures suivant le début de son nouveau contrat comme le lui imposait l'article R. 5411-7 du code du travail, par courriels auprès des interlocuteurs désignés par Pôle emploi dans les courriers qui lui avaient été adressés, de son recrutement en contrat à durée déterminée, en communiquant son contrat de travail et ses bulletins de salaire et en faisant état de ses difficultés à actualiser sa situation dans le cadre de ses déclarations mensuelles, au motif que son activité étant exercée au forfait, le nombre d'heures réalisées ne pouvait être renseigné de façon dématérialisée, alors en outre que l'actualisation par le demandeur d'emploi de sa situation sur la liste des demandeurs d'emploi n'est pas au nombre des démarches et formalités que l'article R. 5312-39 du code du travail lui impose d'accomplir par l'usage d'un téléservice. Il résulte de l'ensemble de ces éléments, lesquels ne sont aucunement discutés en défense, que M. B..., qui, eu égard aux diligences qu'ils établissent de sa part en vue de satisfaire à ses obligations déclaratives, ne peut être regardé comme ayant délibérément dissimulé sa reprise d'activité, ne peut être regardé comme ayant fait une fausse déclaration.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de sa demande, que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision du 23 août 2022 par laquelle le directeur de l'agence Pôle emploi de Cognac l'a radié de la liste des demandeurs d'emploi pour une durée de six mois et lui a définitivement supprimé le bénéfice de l'allocation d'aide au retour à l'emploi.
10. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de Pôle emploi, devenu l'opérateur France Travail, une somme de 2 500 euros à verser à cette société.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 20 février 2024 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 2 : La décision du 23 août 2022 du directeur de l'agence Pôle emploi de Cognac est annulée.
Article 3 : L'opérateur France Travail versera à la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. B..., une somme de 2 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à l'opérateur France Travail.
Délibéré à l'issue de la séance du 12 février 2025 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat et Mme Anne Redondo, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 7 mars 2025.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Redondo
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber