Vu la procédure suivante :
M. B... C... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 17 mars 2021 par laquelle la maire de Paris a préempté les lots nos 13 et 15 ainsi que les 1 108/10 000 des parties communes d'un immeuble situé au 24, rue La Bruyère et au 36, rue de la Rochefoucauld, dans le 9ème arrondissement de Paris. Par un jugement n° 2109104 du 14 avril 2023, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 23PA02288 du 4 avril 2024, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par les consorts C... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 juin et 4 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les consorts C... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nejma Benmalek, auditrice,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat des consorts C... et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la maire de Paris a exercé, par deux décisions distinctes du 17 mars 2021, le droit de préemption en vue de l'acquisition, d'une part, des lots à usage d'habitation nos 2, 5, 17, 20 et 33 ainsi que des 1 463/10 000 des parties communes et, d'autre part, des lots à usage commercial nos 13 et 15 ainsi que les 1 108/10 000 des parties communes d'un immeuble situé au 24, rue La Bruyère et au 36, rue de la Rochefoucauld, dans le 9ème arrondissement de Paris, dont les consorts C... sont propriétaires. Les consorts C... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 4 avril 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'ils avaient formé contre le jugement du 14 avril 2023 du tribunal administratif de Paris rejetant leur demande tendant à l'annulation de la décision du 17 mars 2021 relative à la préemption des locaux à usage commercial.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
3. Seules sont applicables au litige les dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme relatives à la nature du projet pour la réalisation duquel le droit de préemption peut être exercé, aux termes desquelles : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...). / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. (...) / Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat (...) la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération (...) ".
4. En premier lieu, si les requérants soutiennent que ces dispositions méconnaissent l'exigence constitutionnelle de bon usage des deniers publics garantie par les articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en tant qu'elles ne soumettent pas l'exercice du droit de préemption à un examen préalable des caractéristiques financières du projet en vue duquel il est mis en œuvre, cet objectif à valeur constitutionnelle ne peut, en lui-même, être utilement invoqué à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.
5. En second lieu, les dispositions citées au point 2 n'ayant ni pour objet ni pour effet de déterminer les délais dans lesquels doit être réalisée l'acquisition du bien pour laquelle a été exercé le droit de préemption, les requérants ne peuvent utilement soutenir qu'elles méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en tant qu'elles ne font pas obstacle à ce que la signature de l'acte authentique et le paiement du prix d'acquisition n'interviennent qu'une fois la décision de préemption devenue définitive.
6. Il s'ensuit que la question de constitutionnalité invoquée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.
Sur les autres moyens du pourvoi :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le recyclage foncier ou le renouvellement urbain, de sauvegarder, de restaurer ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, de renaturer ou de désartificialiser des sols, notamment en recherchant l'optimisation de l'utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser. " Il résulte de ces dispositions et de celles de l'article L. 210-1 citées au point 3 que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'opération en vue de laquelle la maire de Paris a exercé son droit de préemption ne prévoit aucune transformation des deux lots litigieux à usage professionnel, qui font d'ores et déjà l'objet de baux commerciaux. Par suite, en estimant que la décision de préemption des lots nos 13 et 15 et de la fraction des parties communes associée était justifiée par un projet de création de deux locaux commerciaux alors même que la motivation de cette décision fait seulement référence à la mise en œuvre du programme local de l'habitat, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que les consorts C... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Ville de Paris, d'une part, une somme de 1 500 euros à verser à M B... C... et, d'autre part, une somme de 1 500 euros à verser à M. A... C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des consorts C... qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les consorts C....
Article 2 : L'arrêt du 4 avril 2024 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 3 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 4 : La Ville de Paris versera une somme de 1 500 euros à M. B... C... et une somme de 1 500 euros à M. A... C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par la Ville de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. B... C... et M. A... C... et à la Ville de Paris.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 février 2025 où siégeaient : M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat, présidant ; M. Édouard Geffray, conseiller d'Etat et Mme Nejma Benmalek, auditrice-rapporteure.
Rendu le 25 février 2025.
Le président :
Signé : M. Jean-Luc Nevache
La rapporteure :
Signé : Mme Nejma Benmalek
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly