Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 juillet 2023 et 20 juin 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société par actions simplifiée (SAS) Château de Campuget demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'article 1er de l'arrêté du 13 mai 2023 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire fixant la part minimale du capital social à détenir pour l'application de la définition de l'agriculteur actif à certaines formes sociétaires dans le cadre de la politique agricole commune ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 ;
- la décision d'exécution de la Commission C (2022) 6012 du 31 août 2022 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2022-1755 du 30 décembre 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 février 2025, présentée par la SAS Château de Campuget ;
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Château de Campuget demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 1er de l'arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire du 13 mai 2023 fixant la part minimale du capital social à détenir pour l'application de la définition de l'agriculteur actif à certaines formes sociétaires dans le cadre de la politique agricole commune, dont les dispositions fixent cette part minimale à 5 %.
Sur le cadre juridique applicable :
2. Aux termes de l'article 1er du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil, du 2 décembre 2021, établissant des règles régissant l'aide aux plans stratégiques devant être établis par les Etats membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) : " 1. Le présent règlement établit des règles concernant : / a) les objectifs généraux et spécifiques à réaliser au moyen des aides de l'Union financées par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) au titre de la politique agricole commune (PAC), ainsi que les indicateurs y afférents ; / (...) / c) les plans stratégiques relevant de la PAC à élaborer par les États membres, et qui fixent les valeurs cibles, précisent les conditions des interventions et affectent les ressources financières, conformément aux objectifs spécifiques et aux besoins recensés ; / (...) / 2. Le présent règlement s'applique aux aides de l'Union financées par le FEAGA et le Feader pour les interventions mentionnées dans un plan stratégique relevant de la PAC élaboré par un État membre et approuvé par la Commission, portant sur la période allant du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2027 (ci-après dénommée 'période couverte par le plan stratégique relevant de la PAC') ".
3. D'une part, aux termes de l'article 4 du même règlement, intitulé " Définitions et conditions à fournir dans les plans stratégiques relevant de la PAC " : " 1. Les États membres indiquent dans leurs plans stratégiques relevant de la PAC les définitions de l'activité agricole, de la 'surface agricole', de l'hectare admissible', de l'agriculteur actif, du jeune agriculteur et du nouvel agriculteur, ainsi que les conditions pertinentes conformément au présent article. / (...) / 5. L'agriculteur actif est déterminé de façon à garantir que l'aide ne soit accordée qu'aux personnes physiques ou morales ou aux groupements de personnes physiques ou morales exerçant au moins un niveau minimal d'activité agricole, sans nécessairement exclure la possibilité d'accorder l'aide aux agriculteurs pluriactifs ou aux agriculteurs à temps partiel. / Pour déterminer qui est un 'agriculteur actif', les États membres appliquent des critères objectifs et non discriminatoires tels que le revenu, la main-d'œuvre occupée sur l'exploitation agricole, l'objet social et l'inscription de ses activités agricoles dans les registres nationaux ou régionaux. Ces critères peuvent être introduits sous une ou plusieurs formes choisies par les États membres, y compris au moyen d'une liste négative empêchant un agriculteur d'être considéré comme un agriculteur actif. Si un État membre considère comme 'agriculteurs actifs' les agriculteurs n'ayant pas reçu pour l'année précédente des paiements directs dépassant un certain montant, ce montant n'est pas supérieur à 5 000 EUR / (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 118 du même règlement : / " 1. Chaque État membre soumet à la Commission une proposition de plan stratégique relevant de la PAC, dont le contenu est celui visé à l'article 107, au plus tard le 1er janvier 2022. / (...) / 2. La Commission évalue le plan stratégique relevant de la PAC proposé au regard de son exhaustivité, de sa cohérence et de sa compatibilité avec les principes généraux du droit de l'Union, avec le présent règlement et les actes délégués et d'exécution adoptés en application de celui-ci (...) / (...) / 4. La Commission approuve le plan stratégique relevant de la PAC proposé à condition que les informations nécessaires aient été communiquées et que le plan soit compatible avec l'article 9 et les autres exigences énoncées dans le présent règlement et dans le règlement (UE) 2021/2116, ainsi qu'avec les actes délégués et d'exécution adoptés en application de ces actes. L'approbation se fonde exclusivement sur des actes qui sont juridiquement contraignants pour les États membres. / (...) / 6. La Commission approuve chaque plan stratégique relevant de la PAC au moyen d'une décision d'exécution sans appliquer la procédure de comité visée à l'article 153. / 7. Les plans stratégiques relevant de la PAC ne produisent des effets juridiques qu'après leur approbation par la Commission ".
5. En application de l'article 118, paragraphe 6, du règlement (UE) 2021/2115 cité au point précédent, la Commission européenne, par une décision d'exécution C (2022) 6012 du 31 août 2022, a approuvé la version finale du plan stratégique relevant de la PAC pour la période 2023-2027 de la France, qui lui avait été soumise le 4 août 2022. Le point 4.1.4. de ce plan stratégique prévoit, notamment, que, pour qu'une société ait la qualité d'agriculteur actif, l'un de ses associés au moins doit remplir les conditions fixées pour qu'une personne physique ait cette qualité, dont celle d'être affilié à l'assurance accident du travail et maladie professionnelle des exploitants agricoles (ATEXA) ou bien, si aucun de ses associés n'est affilié à l'ATEXA, son ou ses dirigeants doivent être affiliés au régime de protection sociale des salariés des professions agricoles et détenir un pourcentage de parts sociales qui sera défini dans la réglementation nationale.
6. Pour tirer les conséquences de la décision d'approbation, le décret du 30 décembre 2022 relatif aux aides du plan stratégique national de la politique agricole commune a inséré, dans le code rural et de la pêche maritime, un article D. 614-1 qui dispose, dans sa version en vigueur à la date d'adoption de l'arrêté attaqué : " Pour l'application des régimes d'aide relevant de la politique agricole commune, est considéré comme agriculteur actif, le demandeur qui remplit l'une des conditions suivantes : / 1° Etre une personne physique répondant aux critères cumulatifs suivants : / a) Etre redevable, pour son propre compte, de la cotisation due au titre de l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles mentionnée à l'article L. 752-1 pour les activités mentionnées aux 1° ou 2° de l'article L. 722-1 ; / (...) / b) En cas d'atteinte de l'âge prévu au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale, ne pas avoir fait valoir ses droits à la retraite auprès des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires ; / 2° Etre une société dans laquelle au moins un associé répond, au titre de son activité dans la société, aux conditions fixées au 1° ; / 3° Etre une société ou une société civile d'exploitation agricole, sans associé redevable de la cotisation due au titre de l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, mentionnée à l'article L. 752-1, sous réserve d'exercer une des activités mentionnées aux 1° ou 2° de l'article L. 722-1 et que le ou les dirigeants de cette société : / a) Relèvent du régime de protection sociale des salariés des professions agricoles au titre des 8° ou 9° de l'article L. 722-20, ou au titre du 1° de l'article L. 722-20 pour le gérant d'une société civile d'exploitation agricole ou pour le mandataire social de la société ; / b) N'ont pas fait valoir leurs droits à la retraite auprès des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires alors qu'ils ont atteint l'âge prévu au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale ; / c) Détiennent une part minimale du capital social de la société fixée par arrêté du ministre chargé de l'agriculture ; / (...) ". L'arrêté attaqué a été pris pour l'application des dispositions du c du 3° de cet article.
Sur la requête :
7. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article 118 du règlement (UE) 2021/2115 citées au point 4 qu'en approuvant le plan stratégique relevant de la PAC 2023-2027 élaboré par chaque Etat membre, la Commission européenne se prononce nécessairement sur la conformité de ce plan stratégique aux principes généraux du droit de l'Union européenne et aux dispositions du même règlement. Il en va ainsi, par l'effet de la décision d'exécution approuvant le plan stratégique de la France, de la définition de l'" agriculteur actif " telle qu'elle résulte du point 4.1.4 de ce plan stratégique, qui pose le principe d'une différence de traitement entre les sociétés dont aucun associé n'est affilié à l'ATEXA, pour lesquelles le bénéfice de cette qualité est subordonné à la détention d'une part minimale du capital social par des dirigeants affiliés au régime de protection sociale des salariés des professions agricoles, et les sociétés dont au moins un associé est affilié à l'ATEXA, pour lesquelles aucune condition de détention d'une part minimale du capital social par cet associé n'est requise. Dès lors que la SAS Château de Campuget ne conteste pas la validité de cette décision d'exécution, elle ne peut utilement soutenir, par voie d'exception, que les dispositions du c du 3° de l'article D. 614-1 du code rural et de la pêche maritime, qui se bornent à reprendre en substance le contenu du point 4.1.4. du plan stratégique, méconnaîtraient l'article 4, paragraphe 5, du règlement (UE) 2021/2115 et le principe d'égalité garanti par le droit de l'Union européenne, ni, par voie de conséquence, le principe constitutionnel d'égalité dont l'application du principe d'égalité du droit de l'Union européenne garantit, au regard du moyen invoqué, l'effectivité du respect.
8. En deuxième lieu, les dispositions contestées de l'arrêté attaqué, combinées à celles de l'article D. 614-1 du code rural et de la pêche maritime dont elles font application, ont pour effet, conformément aux orientations du plan stratégique approuvé par la Commission européenne, de subordonner le bénéfice de la qualité d'agriculteur actif, dans le cas d'une société dont aucun associé n'est affilié à l'ATEXA, à la détention d'une part minimale de 5 % de son capital social par des dirigeants affiliés au régime de protection sociale des salariés des professions agricoles, aucune condition de détention d'une part minimale du capital social par un associé n'étant en revanche posée, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, dans le cas d'une société dont au moins un associé est affilié à l'ATEXA. Il ressort des pièces du dossier qu'en définissant ces conditions, le pouvoir réglementaire a entendu réserver le bénéfice de la qualité d'agriculteur actif aux sociétés dont au moins un associé qui soit intéressé, dans une proportion minimale, aux résultats de l'exploitation, participe effectivement à l'activité agricole. Au regard de cet objectif, les sociétés dont un associé est affilié à l'ATEXA, ce qui implique, en vertu du 5° de l'article L. 722-10 du code rural et de la pêche maritime, qu'il consacre effectivement son activité à l'exploitation dont il est associé, ne sont pas dans la même situation que les sociétés dont les associés ne sont pas affiliés à l'ATEXA et le seuil de 5 % du capital social fixé en cas d'absence d'associé affilié à l'ATEXA n'apparaît pas manifestement disproportionné au regard de l'objectif ainsi poursuivi. La SAS Château de Campuget n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'en retenant un taux de 5 % l'arrêté attaqué méconnaîtrait le principe constitutionnel d'égalité.
9. En troisième lieu, la société requérante soutient que les dispositions contestées méconnaissent le principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre, dès lors qu'elles introduisent une différence de traitement injustifiée dans l'accès à un régime d'aide. Compte tenu de ce qui a été dit aux points précédents, ce moyen ne peut en tout état de cause qu'être écarté.
10. En dernier lieu, la SAS Château de Campuget soutient que l'arrêté attaqué, en faisant perdre sans justification à certaines des sociétés qui en bénéficiaient la qualité d'agriculteur actif, et donc l'accès aux aides de la PAC, méconnaît les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention. La modification des conditions exigées par la réglementation pour reconnaître la qualité d'" agriculteur actif " ouvrant droit aux aides de la PAC ne saurait cependant, en tout état de cause, être regardée comme portant atteinte à une espérance légitime ayant le caractère d'un bien au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la SAS Château de Campuget doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la SAS Château de Campuget est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Château de Campuget et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 février 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Pierre Boussaroque, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, conseillers d'Etat, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, conseillères d'Etat et M. Géraud Sajust de Bergues, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 21 février 2025.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Géraud Sajust de Bergues
La secrétaire :
Signé : Mme Elsa Sarrazin