Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 avril 2022 par laquelle le centre hospitalier universitaire de Rennes a refusé de lui communiquer la déclaration d'événement indésirable grave associé à des soins relative au décès de son frère et de lui enjoindre de la lui communiquer, dans les conditions prescrites par la Commission d'accès aux documents administratifs dans son avis du 17 février 2022, le cas échéant sous astreinte.
Par un jugement n° 2203078 du 23 janvier 2024, le tribunal administratif a annulé cette décision et enjoint au centre hospitalier universitaire de Rennes de communiquer ce document, en occultant les éléments permettant d'identifier les noms des médecins et autres personnels de santé, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.
Par une ordonnance n° 24NT00864 du 18 avril 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cour administrative d'appel de Nantes a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 22 mars 2024 au greffe de cette cour, présenté par le centre hospitalier universitaire de Rennes.
Par ce pourvoi, ainsi qu'un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juin et 8 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier universitaire de Rennes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 23 janvier 2024 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- l'arrêté du 19 décembre 2017 du ministre de la solidarité et de la santé relatif au formulaire de déclaration d'un événement indésirable grave associé à des soins et aux modalités de transmission à la Haute autorité de santé ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier universitaire de Rennes, et à la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'après deux prises en charge, les 9 et 13 novembre 2020, par les services du centre hospitalier universitaire de Rennes, le frère de Mme B... est décédé au retour à son domicile le 13 novembre 2020. L'établissement hospitalier a procédé, le 19 novembre 2020, à la déclaration d'un événement indésirable grave associé à des soins en application des dispositions de l'article L. 1413-14 et des articles R. 1413-67 et suivants du code de la santé publique. Après avoir obtenu, en qualité d'ayant droit de son frère, en application des dispositions des articles L. 1110-4 et L. 1111-7 du même code, des informations issues du dossier médical de ce dernier relatives aux causes de son décès, Mme B... s'est vu, en revanche, refuser la communication de cette déclaration, en dernier lieu par une décision du 11 avril 2022 prise postérieurement à l'avis émis le 17 février 2022 par la Commission d'accès aux documents administratifs en faveur de cette communication sous certaines réserves. Par un jugement du 23 janvier 2024, contre lequel le centre hospitalier universitaire de Rennes se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Rennes a, sur la demande de Mme B..., annulé ce refus et enjoint au centre hospitalier de lui communiquer cette déclaration dans le délai d'un mois, en occultant les éléments, nominatifs comme non nominatifs, permettant d'identifier les noms des médecins et autres personnels de santé.
Sur le cadre juridique applicable au litige :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". En vertu de l'article L. 311-2 du même code, le droit à communication ne s'applique notamment qu'à des documents achevés et ne s'exerce plus lorsque les documents font l'objet d'une diffusion publique. L'article L. 311-5 du même code fixe la liste des documents non communicables et prévoit également que ne sont pas communicables ceux dont la consultation ou la communication porterait atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés qu'il énonce. Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical (...) ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. / Les informations à caractère médical sont communiquées à l'intéressé, selon son choix, directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'il désigne à cet effet, dans le respect des dispositions de l'article L. 1111-7 du code de la santé publique ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ".
3. D'autre part, l'article L. 1111-7 du code de la santé publique institue un droit, pour toute personne, d'accéder aux informations concernant sa santé détenues par des professionnels ou établissements de santé, dans les délais et conditions qu'il fixe et qui sont précisées par voie réglementaire. L'avant-dernier alinéa de cet article précise que : " En cas de décès du malade, l'accès au dossier médical de ce malade des ayants droit, du concubin, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du médecin prenant en charge une personne susceptible de faire l'objet d'un examen des caractéristiques génétiques dans les conditions prévues au I de l'article L. 1130-4 s'effectue dans les conditions prévues aux deux derniers alinéas du V de l'article L. 1110-4 ". L'article L. 1110-4 du même code dispose : " I. Toute personne prise en charge par (...) un établissement ou service (...) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. / (...) / V. / (...) / Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès (...) ".
4. Enfin, aux termes de l'article L. 1413-14 du code de la santé publique : " Tout professionnel de santé, établissement de santé ou établissement et service médico-social ayant constaté soit une infection associée aux soins, dont une infection nosocomiale, soit tout événement indésirable grave associé à des soins, dans le cadre de soins réalisés lors d'investigations, de traitements, d'actes médicaux y compris à visée esthétique ou d'actions de prévention en fait la déclaration au directeur général de l'agence régionale de santé. / Les professionnels de santé concernés analysent les causes de ces infections et événements indésirables ". Aux termes de l'article R. 1413-67 du même code : " Un événement indésirable grave associé à des soins réalisés lors d'investigations, de traitements, d'actes médicaux à visée esthétique ou d'actions de prévention est un événement inattendu au regard de l'état de santé et de la pathologie de la personne et dont les conséquences sont le décès, la mise en jeu du pronostic vital, la survenue probable d'un déficit fonctionnel permanent y compris une anomalie ou une malformation congénitale ". Aux termes de l'article R. 1413-68 du même code : " Tout professionnel de santé quels que soient son lieu et son mode d'exercice ou tout représentant légal d'établissement de santé (...) ou la personne qu'il a désignée à cet effet qui constate un événement indésirable grave associé à des soins le déclare au directeur général de l'agence régionale de santé au moyen du formulaire prévu à l'article R. 1413-70 ". Aux termes de l'article R. 1413-69 du même code : " I. - La déclaration mentionnée à l'article R. 1413-68 est composée de deux parties. / II. - La première partie est adressée sans délai par l'une des personnes mentionnées à ce même article. Elle comporte : / 1° La nature de l'événement et les circonstances de sa survenue ou, à défaut, de sa constatation ; / 2° L'énoncé des premières mesures prises localement au bénéfice du patient et en prévention de la répétition d'événements de même nature ; / 3° La mention de l'information du patient et, le cas échéant, de sa famille, de ses proches ou de la personne de confiance qu'il a désignée. / III. - La seconde partie est adressée au plus tard dans les trois mois par le représentant légal de l'établissement de santé ou de l'établissement ou du service médico-social où s'est produit l'événement, ou par le professionnel de santé déclarant. Elle comporte : / 1° Le descriptif de la gestion de l'événement ; / 2° Les éléments de retour d'expérience issus de l'analyse approfondie des causes de l'événement effectuée par les professionnels de santé concernés avec l'aide de la structure régionale d'appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients mentionnée à l'article R. 1413-74 ; / 3° Un plan d'actions correctrices comprenant les échéances de mise en œuvre et d'évaluation ". Aux termes de l'article R. 1413-70 du même code : " Cette déclaration est faite dans des conditions qui garantissent l'anonymat du ou des patients et des professionnels concernés à l'exception du déclarant. Le formulaire ne comporte notamment ni les noms et prénoms des patients, ni leur adresse, ni leur date de naissance, ni les noms et prénoms des professionnels ayant participé à leur prise en charge ". Aux termes de l'article R. 1413-72 du même code : " Les deux parties du formulaire de déclaration de l'événement indésirable grave associé à des soins sont transmises par le directeur général de l'agence régionale de santé à la Haute Autorité de santé, selon les modalités définies par arrêté du ministre chargé de la santé. Cette transmission ne comporte ni les nom et prénoms du déclarant ni l'adresse du lieu de survenue de l'événement ". L'article R. 1413-73 du même code dispose que : " La Haute Autorité de santé élabore un bilan annuel des déclarations qu'elle a reçues en application des dispositions de la présente section accompagné des préconisations pour l'amélioration de la sécurité des patients. Ce rapport est transmis au ministre chargé de la santé et est rendu public sur le site de la Haute Autorité de santé ". En vertu de l'article 1er de l'arrêté du 19 décembre 2017 du ministre de la solidarité et de la santé relatif au formulaire de déclaration d'un événement indésirable grave associé à des soins et aux modalités de transmission à la Haute autorité de santé, la déclaration se fait par voie électronique au moyen du portail de signalement des événements sanitaires indésirables mentionné à l'article D. 1413-58 du code de la santé publique ou, en cas d'impossibilité, par tout autre moyen auprès de l'agence régionale de santé territorialement compétente, en respectant la forme et le contenu figurant en annexe à cet arrêté.
5. Il résulte des dispositions citées aux points précédents que la déclaration d'un événement indésirable grave associé à des soins, qui comporte à la fois des éléments relatifs à la description et à la gestion de l'événement et des éléments relatifs aux mesures prises ou envisagées en vue d'éviter sa reproduction, ne constitue pas, par elle-même, un document destiné à être versé au dossier médical du patient. Par suite, en cas de décès de celui-ci, la communication à ses ayants droit de cette déclaration ne relève pas du régime spécial prévu par les dispositions combinées de l'article L. 1111-7 et du V de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique. Une telle déclaration, reçue par l'agence régionale de santé et transmise à la Haute autorité de santé, constitue un document administratif entrant ainsi dans le champ des articles L. 300-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration, communicable aux tiers en application de l'article L. 311-1 du même code, sous réserve du respect des exceptions mentionnées aux articles L. 311-2, L. 311-5 et L. 311-6 de ce code.
6. Il résulte des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration que la communication d'un tel document, dont il résulte des dispositions citées au point 4 qu'il ne doit mentionner ni les noms et prénoms du ou des patients, ni leur adresse, ni leur date de naissance, ni les noms et prénoms des professionnels ayant participé à leur prise en charge, ne peut intervenir, quelle que soit l'autorité auprès de laquelle elle est sollicitée, qu'après occultation, en outre, des nom et prénoms du déclarant et de l'adresse du lieu de survenue de l'événement. Doivent, également, être occultées en application des mêmes dispositions, toutes informations dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical du ou des patients dont la situation est à l'origine de la déclaration ainsi que, lorsque la demande de communication est adressée à une autorité qui détient ces déclarations à un niveau d'agrégation qui ne garantit pas l'impossibilité de toute réidentification des personnels de santé et agents hospitaliers concernés, les informations qui pourraient comporter une appréciation ou un jugement de valeur sur ces derniers ou qui feraient apparaître leur comportement, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait leur porter préjudice.
7. Dans le cas où la demande de communication émane du patient dont la situation est à l'origine de la déclaration d'événement indésirable grave associé aux soins, celui-ci, qui a la qualité de personne intéressée au sens des dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, ne peut toutefois se voir opposer, pour ce qui concerne les informations d'ordre médical contenues dans la déclaration qui se rattachent directement et exclusivement à son état de santé et à sa prise en charge par l'établissement de santé, le secret médical ou la protection de la vie privée. Il en va de même, en vertu des dispositions du V de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique pour les ayants droit, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité d'un patient décédé lorsque de telles informations leur sont nécessaires pour leur permettre d'éclairer, par l'analyse des causes de l'événement indésirable figurant dans la déclaration, celles de la mort du patient, de défendre sa mémoire ou de faire valoir leurs droits. En revanche, dès lors que le patient ou ses ayants droit ont la qualité de tiers vis-à-vis des autres informations contenues dans la déclaration, sa communication ne peut, dans cette mesure, intervenir que dans le respect des exigences rappelées au point 6.
Sur les moyens du pourvoi :
8. En premier lieu, il résulte de ce qui est dit ci-dessus qu'en jugeant que la déclaration d'événement indésirable grave associé à des soins avait la nature d'un document administratif communicable à Mme B... sous réserve d'occultation de tous les éléments, nominatifs ou non, permettant l'identification des médecins et autres personnels de santé, le tribunal administratif de Rennes, qui a suffisamment motivé son jugement sur ce point, n'a pas commis d'erreur de droit.
9. En deuxième lieu, après avoir jugé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les informations d'ordre médical contenues dans cette déclaration étaient nécessaires à Mme B..., dont il était constant qu'elle était l'ayant droit du patient concerné, pour connaître ou éclairer les causes du décès de celui-ci, le tribunal administratif, dont le jugement est suffisamment motivé sur ce point, a pu, sans méconnaître les dispositions citées aux points 2 et 3 ci-dessus, en déduire qu'elle était fondée à obtenir leur communication.
10. En troisième lieu, les motifs tirés de la préservation du bon fonctionnement du service public hospitalier ou de l'amélioration de la qualité des soins ne sont pas, par eux-mêmes, susceptibles de faire obstacle à la communication d'une déclaration d'événement indésirable grave associé à des soins dans les conditions rappelées aux points 5 à 7. Le centre hospitalier ne pouvait ainsi, en l'absence de toute circonstance tenant notamment au caractère abusif de la demande, utilement se prévaloir, au soutien de la légalité de sa décision de refus, de ce que la communication sollicitée risquait de leur porter atteinte. Par suite, en s'abstenant de rechercher si tel était le cas, le tribunal administratif n'a ni insuffisamment motivé son jugement, ni commis d'erreur de droit.
11. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la déclaration en litige comportait les deux parties prévues à l'article R. 1413-69 du code de la santé publique. Par suite, en s'abstenant d'opposer à la communication sollicitée le caractère inachevé du document, le tribunal administratif n'a, en tout état de cause, pas commis d'erreur de droit.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi du centre hospitalier universitaire de Rennes doit être rejeté.
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Rennes une somme de 3 000 euros à verser à Mme B... au même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du centre hospitalier universitaire de Rennes est rejeté.
Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Rennes versera une somme de 3 000 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au centre hospitalier universitaire de Rennes et à Mme A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 27 janvier 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Jean de l'Hermite, M. Olivier Yeznikian, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 20 février 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Philippe Bachschmidt
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq