La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/02/2025 | FRANCE | N°490851

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 14 février 2025, 490851


Vu la procédure suivante :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler la décision du 16 décembre 2021 par laquelle le président du conseil départemental de la Haute-Savoie a suspendu ses droits au revenu de solidarité active du 1er janvier au 30 avril 2022 et, sauf signature et validation d'un contrat d'engagements réciproques avec le département, l'a radiée du dispositif au 1er mai 2022, et, d'autre part, d'annuler la décision du 13 septembre 2022 et la décision du 19 décembre 2022 par lesquelles le président

du conseil départemental de la Haute-Savoie a rejeté sa demande de réouv...

Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler la décision du 16 décembre 2021 par laquelle le président du conseil départemental de la Haute-Savoie a suspendu ses droits au revenu de solidarité active du 1er janvier au 30 avril 2022 et, sauf signature et validation d'un contrat d'engagements réciproques avec le département, l'a radiée du dispositif au 1er mai 2022, et, d'autre part, d'annuler la décision du 13 septembre 2022 et la décision du 19 décembre 2022 par lesquelles le président du conseil départemental de la Haute-Savoie a rejeté sa demande de réouverture de ses droits à cette allocation. Par un jugement nos 2108841, 2302091 du 13 novembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à ces demandes.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 janvier, 11 avril et 22 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département de la Haute-Savoie demande au Conseil d'Etat d'annuler ce jugement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du département de la Haute-Savoie et à la SAS Hannotin Avocats, avocat de Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A..., allocataire du revenu de solidarité active depuis 2017, a fait l'objet d'une décision du 16 décembre 2021, implicitement confirmée sur son recours administratif préalable, par laquelle le président du conseil départemental de la Haute-Savoie a prononcé la suspension de ses droits à cette allocation du 1er janvier au 30 avril 2022 et, sauf régularisation de ses obligations d'insertion par la signature et la validation d'un contrat d'engagements réciproques avec le département, sa radiation du dispositif au 1er mai 2022. Le 18 juillet 2022, Mme A... a demandé la réouverture de ses droits. Par un courrier daté du 8 septembre 2022, elle a indiqué contester le refus de faire droit à cette demande. Par un courrier du 13 septembre 2022, le président du conseil départemental a indiqué à Mme A... que sa demande du 18 juillet 2022 avait été ajournée dans l'attente de la conclusion d'un contrat d'engagements réciproques, que le versement du revenu de solidarité active restait suspendu jusqu'à ce que ses obligations d'insertion soient satisfaites et qu'à défaut de régularisation dans les quatre mois, sa demande pourrait être regardée comme caduque. Enfin, par une décision du 19 décembre 2022, le président du conseil départemental a rejeté la demande de Mme A... du 8 septembre 2022. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble, d'une part, d'annuler la décision du 16 décembre 2021 et, d'autre part, d'annuler les décisions des 13 septembre et 19 décembre 2022. Le département de la Haute-Savoie demande l'annulation du jugement du 13 novembre 2023 par laquelle le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à ces demandes.

Sur le jugement, en tant qu'il statue sur la contestation de la décision du 16 décembre 2021 du président du conseil départemental :

2. D'une part, l'article L. 262-28 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le bénéficiaire du revenu de solidarité active est tenu, lorsqu'il est sans emploi ou ne tire de l'exercice d'une activité professionnelle que des revenus inférieurs à une limite fixée par décret, de rechercher un emploi, d'entreprendre les démarches nécessaires à la création de sa propre activité ou d'entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle (...) ". Aux termes de de l'article L. 262-29 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le président du conseil départemental oriente le bénéficiaire du revenu de solidarité active tenu aux obligations définies à l'article L. 262-28 : / 1° De façon prioritaire, lorsqu'il est disponible pour occuper un emploi (...) soit vers l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 du même code [c'est-à-dire Pôle emploi], soit, si le département décide d'y recourir, vers l'un des organismes mentionnés à l'article L. 5311-4 du code du travail [c'est-à-dire les autres organismes pouvant participer au service public de l'emploi] ou encore vers un des réseaux d'appui à la création et au développement des entreprises (...) en vue d'un accompagnement professionnel et, le cas échéant, social ; / 2° Lorsqu'il apparaît que des difficultés tenant notamment aux conditions de logement, à l'absence de logement ou à son état de santé font temporairement obstacle à son engagement dans une démarche de recherche d'emploi, vers les autorités ou organismes compétents en matière d'insertion sociale ; (...) ". L'article L. 262-34 du même code prévoit que : " Le bénéficiaire du revenu de solidarité active orienté vers l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 du code du travail élabore conjointement avec le référent désigné au sein de cette institution ou d'un autre organisme participant au service public de l'emploi le projet personnalisé d'accès à l'emploi mentionné à l'article L. 5411-6-1 du même code " et l'article L. 262-36 que : " Le bénéficiaire du revenu de solidarité active ayant fait l'objet de l'orientation mentionnée au 2° de l'article L. 262-29 conclut avec le département, représenté par le président du conseil départemental, sous un délai de deux mois après cette orientation, un contrat librement débattu énumérant leurs engagements réciproques en matière d'insertion sociale ou professionnelle. (...) "

3. D'autre part, l'article L. 262-37 du code de l'action sociale et des familles prévoit, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Sauf décision prise au regard de la situation particulière du bénéficiaire, le versement du revenu de solidarité active est suspendu, en tout ou partie, par le président du conseil départemental : / 1° Lorsque, du fait du bénéficiaire et sans motif légitime, le projet personnalisé d'accès à l'emploi ou l'un des contrats mentionnés aux articles L. 262-35 et L. 262-36 ne sont pas établis dans les délais prévus ou ne sont pas renouvelés ; / 2° Lorsque, sans motif légitime, les dispositions du projet personnalisé d'accès à l'emploi ou les stipulations de l'un des contrats mentionnés aux articles L. 262-35 et L. 262-36 ne sont pas respectées par le bénéficiaire (...) ". Aux termes de l'article L. 262-38 de ce code : " Le président du conseil départemental procède à la radiation de la liste des bénéficiaires du revenu de solidarité active au terme d'une période, définie par décret, sans versement du revenu de solidarité active et de la prime d'activité mentionnée à l'article L. 841-1 du code de la sécurité sociale. / Après une radiation de la liste des bénéficiaires du revenu de solidarité active à la suite d'une décision de suspension prise au titre de l'article L. 262-37, le bénéfice du revenu de solidarité active dans l'année qui suit la décision de suspension est subordonné à la signature préalable du projet personnalisé d'accès à l'emploi mentionné à l'article L. 5411-6-1 du code du travail ou de l'un des contrats prévus par les articles L. 262-35 et L. 262-36 du présent code ".

4. Il résulte des dispositions citées aux points 2 et 3 que le président du conseil départemental est en droit de suspendre le versement du revenu de solidarité active et de procéder à la radiation de l'intéressé de la liste des bénéficiaires du revenu de solidarité active au terme de la durée de suspension qu'il a fixée dans l'hypothèse où un bénéficiaire orienté vers les autorités ou organismes compétents en matière d'insertion sociale, sans motif légitime, soit fait obstacle à l'établissement ou au renouvellement du contrat d'engagements réciproques en matière d'insertion sociale ou professionnelle mentionné à l'article L. 262-36 du code de l'action sociale et des familles par son refus de s'engager à entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale, soit ne respecte pas le contrat conclu. A ce titre, la circonstance que l'intéressé ait, par ailleurs, conclu un projet personnalisé d'accès à l'emploi avec l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 du code du travail ne peut, par elle-même, être regardée comme constituant un motif légitime justifiant qu'il refuse la conclusion ou le renouvellement d'un contrat d'engagements réciproques en matière d'insertion sociale ou professionnelle ou qu'il ne respecte pas le contrat conclu. Il revient en revanche à l'allocataire, s'il s'y croit fondé, de faire valoir cette circonstance pour justifier que l'orientation vers les autorités ou organismes compétents en matière d'insertion sociale retenue par le président du conseil départemental en application du 2° de l'article L. 262-29 n'est pas adaptée à sa situation.

5. Par suite, en jugeant que Mme A... justifiait, du seul fait qu'elle avait conclu avec Pôle emploi un projet personnalisé d'accès à l'emploi et sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'elle n'avait pas été orientée par le président du conseil départemental vers cet organisme, d'un motif légitime pour refuser la conclusion avec le département d'un contrat d'engagements réciproques, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

Sur le jugement, en tant qu'il statue sur la contestation des décisions du 13 septembre et du 19 décembre 2022 du président du conseil départemental :

6. Le premier alinéa de l'article L. 262-47 du code de l'action sociale et des familles prévoit que : " Toute réclamation dirigée contre une décision relative au revenu de solidarité active fait l'objet, préalablement à l'exercice d'un recours contentieux, d'un recours administratif auprès du président du conseil départemental (...) ". Selon le premier alinéa de l'article R. 262-88 du même code : " Le recours administratif préalable mentionné à l'article L. 262-47 est adressé par le bénéficiaire au président du conseil départemental dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision contestée (...) ".

7. L'institution d'un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, vise à laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. Un " recours administratif " adressé à l'autorité administrative avant même que celle-ci n'ait pris sa décision initiale ne saurait être regardé comme un recours administratif préalable contre cette décision.

8. En l'espèce, le tribunal a relevé que Mme A... avait présenté sa demande de réouverture de ses droits au revenu de solidarité active le 18 juillet 2022 et que le courrier par lequel elle avait indiqué contester le refus qui aurait été opposé à cette demande avait été adressé à l'administration le 8 septembre 2022. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en écartant la fin de non-recevoir opposée par le département, tirée de ce que le courrier qui lui avait été adressé le 8 septembre 2022 par Mme A... ne pouvait être regardé comme le recours administratif préalable exigé par les dispositions de l'article L. 262-47 du code de l'action sociale et des familles dès lors qu'à cette date, aucune décision, ni implicite ni explicite, n'avait encore été prise sur la demande de l'intéressée, le tribunal administratif de Grenoble a commis une erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le département de la Haute-Savoie est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.

Sur les frais de l'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par Mme A... sur le fondement de ces dispositions et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le jugement du 13 novembre 2023 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Grenoble.

Article 3 : Les conclusions présentées par Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au département de la Haute-Savoie et à Mme B... A....

Délibéré à l'issue de la séance du 29 janvier 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Jean-Dominique Langlais, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat ; M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 14 février 2025.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Noël

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 490851
Date de la décision : 14/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 14 fév. 2025, n° 490851
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyril Noël
Rapporteur public ?: M. Mathieu Le Coq
Avocat(s) : SAS HANNOTIN AVOCATS ; SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:490851.20250214
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award