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10/02/2025 | FRANCE | N°499028

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 10 février 2025, 499028


Vu les procédures suivantes :



M. C... A..., Mme B... A... et la société Cabinet A..., à l'appui de leur demande présentée devant le tribunal administratif de Paris tendant à ce que l'Etat verse la somme de 1 000 000 euros à M. A..., la somme de 300 000 euros à Mme A... et la somme de 500 000 euros à la société Cabinet A..., en réparation de leurs préjudices consécutifs à la perquisition diligentée le 11 juin 2014 au domicile et au cabinet de Me A..., ont produit un mémoire, enregistré le 12 avril 2024 au greffe de ce tribunal, en application de l

'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel ils so...

Vu les procédures suivantes :

M. C... A..., Mme B... A... et la société Cabinet A..., à l'appui de leur demande présentée devant le tribunal administratif de Paris tendant à ce que l'Etat verse la somme de 1 000 000 euros à M. A..., la somme de 300 000 euros à Mme A... et la somme de 500 000 euros à la société Cabinet A..., en réparation de leurs préjudices consécutifs à la perquisition diligentée le 11 juin 2014 au domicile et au cabinet de Me A..., ont produit un mémoire, enregistré le 12 avril 2024 au greffe de ce tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2404696/6-2 du 20 novembre 2024, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la vice-présidente de la 6ème section du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de M. A... et autres, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa version applicable au litige.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 11 et 18 décembre 2024, M. A... et autres soutiennent que les dispositions de l'article 56-1 du code de procédure pénale, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent les dispositions des articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dont découlent le droit au respect de la vie privée, le droit à l'inviolabilité du domicile, le droit au secret des correspondances et les droits de la défense, ainsi que l'article 34 de la Constitution.

Par un mémoire, enregistré le 10 décembre 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier, que la question ne présente pas un caractère sérieux.

La question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Premier ministre, qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de procédure pénale, et notamment son article 56-1 ;

- la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 ;

- la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Baptiste Butlen, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Munier-Apaire, avocat de M. A... et autres ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 24 janvier 2025, présentée par M. A... et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes : " Les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué par le magistrat. Celui-ci et le bâtonnier ou son délégué ont seuls le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents ou des objets se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie. Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d'autres infractions que celles mentionnées dans la décision précitée. Les dispositions du présent alinéa sont édictées à peine de nullité. / Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d'avocat. / Le bâtonnier ou son délégué peut s'opposer à la saisie d'un document ou d'un objet s'il estime que cette saisie serait irrégulière. Le document ou l'objet doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l'objet d'un procès-verbal mentionnant les objections du bâtonnier ou de son délégué, qui n'est pas joint au dossier de la procédure. Si d'autres documents ou d'autres objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l'article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document ou l'objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l'original ou une copie du dossier de la procédure. / Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée non susceptible de recours. / A cette fin, il entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que l'avocat au cabinet ou au domicile duquel elle a été effectuée et le bâtonnier ou son délégué. Il peut ouvrir le scellé en présence de ces personnes. / S'il estime qu'il n'y a pas lieu à saisir le document ou l'objet, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document, à son contenu ou à cet objet qui figurerait dans le dossier de la procédure / Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n'exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l'instruction. / Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions effectuées dans les locaux de l'ordre des avocats ou des caisses de règlement pécuniaire des avocats. Dans ce cas, les attributions confiées au juge des libertés et de la détention sont exercées par le président du tribunal de grande instance qui doit être préalablement avisé de la perquisition. Il en est de même en cas de perquisition au cabinet ou au domicile du bâtonnier ".

3. Il résulte de ces dispositions, dans leur version applicable au litige, que, d'une part, la perquisition dans le cabinet ou au domicile d'un avocat ne peut, à peine de nullité, être exécutée que par un magistrat, à la suite d'une décision motivée indiquant la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations ainsi que les raisons et l'objet de la mesure, le contenu de cette décision étant, dès le début de son exécution, communiqué au bâtonnier ou à son délégué dont l'assistance obligatoire à la perquisition se déroule ainsi en connaissance de cause. Le bâtonnier agit alors dans le cadre d'une mission d'auxiliaire de justice chargé de la protection des droits de la défense. Par ailleurs, la confidentialité des documents susceptibles d'être saisis est assurée par la circonstance que leur consultation est réservée au magistrat et au bâtonnier ou à son délégué. Ce dernier peut s'opposer à la mesure envisagée, toute contestation à cet égard étant alors soumise au juge des libertés et de la détention. En outre, ne peuvent être saisis que des documents ou objets relatifs aux infractions mentionnées dans la décision de l'autorité judiciaire, sous réserve, hors le cas où l'avocat est soupçonné d'avoir pris part à l'infraction, de ne pas porter atteinte à la libre défense. Enfin, la décision de verser des pièces saisies au dossier de la procédure n'exclut pas la possibilité pour les parties de demander ultérieurement la nullité de la saisie ou de solliciter la restitution des pièces placées sous main de justice.

4. A l'appui de leur demande, les requérants soutiennent que le législateur a méconnu l'étendue de sa propre compétence en n'assortissant pas les perquisitions dans un cabinet d'avocat ou au domicile de celui-ci de garanties suffisantes pour assurer le respect des droits de la défense, de la vie privée, de l'inviolabilité du domicile, et du secret des correspondances, dès lors que, premièrement, ces perquisitions ne seraient pas conditionnées à une autorisation préalable d'un juge du siège distinct du magistrat en charge de la perquisition, tel que le juge des libertés et de la détention, deuxièmement, faute pour ce juge d'être tenu de vérifier le respect de conditions relatives à la proportionnalité de la perquisition envisagée au regard de la nature et de la gravité des faits considérés et à l'existence de raisons plausibles de soupçonner l'avocat d'avoir commis la ou les infractions recherchées.

5. Aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ". La liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée, le droit au respect de l'inviolabilité du domicile, et le secret des correspondances.

6. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition. Si les obligations attachées au secret professionnel des avocats constituent une garantie au regard de l'exercice des droits de la défense, aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats.

7. Aux termes de l'article 34 de la Constitution : " (...) La loi fixe les règles concernant (...) la procédure pénale (...) ". Toutefois, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

8. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la recherche des auteurs d'infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figurent les droits de la défense, l'inviolabilité du domicile, le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances.

9. En premier lieu, il ressort des dispositions mentionnées aux points 2 et 3 qu'une perquisition dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile fait l'objet d'une autorisation écrite et motivée du magistrat qui effectue l'opération. Il ne résulte d'aucune exigence constitutionnelle que le législateur aurait dû prévoir que la décision d'effectuer une perquisition dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ferait l'objet d'une autorisation par un magistrat du siège distinct de celui chargé de conduire les investigations, tel que le juge des libertés et de la détention.

10. En deuxième lieu, il ressort des dispositions mentionnées aux points 2 et 3 que la décision écrite et motivée du magistrat procédant à la perquisition au cabinet ou au domicile de l'avocat doit indiquer la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci. Cette obligation de motivation s'impose notamment lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l'avocat. A cet égard, si le secret professionnel de l'avocat ne peut faire obstacle à la saisie de pièces susceptibles d'établir la participation éventuelle de celui-ci à une infraction pénale, en application du deuxième alinéa de l'article 56-1 du code de procédure pénale, " le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d'avocat ". Enfin, le III de l'article préliminaire du code de procédure pénale dispose que " les mesures de contraintes (...) doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne. / (...) Au cours de la procédure pénale, les mesures portant atteinte à la vie privée d'une personne ne peuvent être prises, sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire, que si elles sont, au regard des circonstances de l'espèce, nécessaires à la manifestation de la vérité et proportionnées à la gravité de l'infraction ". Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'il appartient au magistrat chargé de mettre en œuvre une perquisition au sein d'un cabinet d'avocat ou à son domicile de veiller à ce que cette mesure soit nécessaire à la manifestation de la vérité et proportionnée à la gravité de l'infraction dont l'avocat est soupçonné.

11. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa propre compétence en n'assortissant pas les perquisitions dans un cabinet d'avocat ou au domicile de celui-ci de garanties suffisantes pour assurer le respect des droits de la défense, du droit au respect de la vie privée, de l'inviolabilité du domicile et du secret des correspondances.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... et autres, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par M. A... et autres.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C... A..., à Mme B... A..., à la société Cabinet A... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 janvier 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Jean-Baptiste Butlen, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 10 février 2025.

La présidente :

Signé : Mme Isabelle de Silva

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Baptiste Butlen

La secrétaire :

Signé : Mme Magalie Café


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 499028
Date de la décision : 10/02/2025
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 10 fév. 2025, n° 499028
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Baptiste Butlen
Rapporteur public ?: M. Nicolas Agnoux
Avocat(s) : CABINET MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:499028.20250210
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