Vu la procédure suivante :
La société de terrassement et de recyclage de l'océan indien (STROI) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 29 septembre 2023 par lequel le préfet de La Réunion l'a mise en demeure de respecter certaines prescriptions de l'arrêté ministériel du 26 novembre 2012 pour les installations de traitement et de transit des matériaux qu'elle exploite sur le territoire de la commune de Saint-Pierre (La Réunion). Par une ordonnance n° 2301293 du 14 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 novembre et 8 décembre 2023, la STROI demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de renvoyer l'affaire au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'ordonnance qu'elle attaque est entachée :
- d'irrégularité en ce que sa demande a été rejetée sur le fondement des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative alors qu'avait été engagée la procédure prévue à l'article L. 522-1 du même code ;
- d'insuffisance de motivation en ce qu'elle omet de répondre au moyen tiré de ce qu'il y avait urgence à suspendre l'exécution de l'arrêté en litige compte tenu du risque de sanctions pénales et administratives qu'elle encourt et de l'atteinte disproportionnée qu'il cause à sa liberté d'entreprendre.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2024, la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques déclare s'en remettre à la sagesse du Conseil d'Etat.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 26 novembre 2012 du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie relatif aux prescriptions générales applicables aux installations de broyage, concassage, criblage, etc., relevant du règlement de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 2515 de la nomenclature des installations classés pour la protection de l'environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Baptiste Butlen, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société de terrassement et de recyclage de l'océan indien (STROI) ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 521-1 du code de justice administrative dispose que : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de La Réunion que, par un arrêté du 29 septembre 2023, le préfet de La Réunion a mis en demeure la STROI de respecter certaines prescriptions de l'arrêté ministériel du 26 novembre 2012 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations de broyage, concassage, criblage, etc., relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 2515 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement, pour les installations de traitement et de transit des matériaux qu'elle exploite sur le territoire de la commune de Saint-Pierre. La STROI se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 14 novembre 2023 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de cet arrêté.
3. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence ". Aux termes de l'article L. 522-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. / Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique. / Sauf renvoi à une formation collégiale, l'audience se déroule sans conclusions du rapporteur public ". Aux termes de l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ".
4. Pour exercer les pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés dispose des deux procédures prévues respectivement aux articles L. 522-1 et L. 522-3 du même code. La procédure prévue à l'article L. 522-1 est caractérisée à la fois par une instruction contradictoire entre les parties, engagée par la communication de la demande au défendeur, et par une audience publique. La procédure prévue à l'article L. 522-3, qui ne peut être utilisée que s'il apparaît, au vu de la demande, que celle-ci encourt un rejet pour l'une des raisons énoncées par cet article, ne comporte ni cette communication ni cette audience. Ces deux procédures sont distinctes. Lorsque, au vu de la demande dont il était saisi, le juge des référés a estimé qu'il y avait lieu, non de la rejeter en l'état pour l'une des raisons mentionnées à l'article L. 522-3, mais d'engager la procédure de l'article L. 522-1, il lui incombe de poursuivre cette procédure et, notamment, de tenir une audience publique.
5. Saisi par la STROI d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion a, dans les conditions prévues à l'article L. 522-1 de ce code, communiqué cette demande à la commune de Saint-Pierre et au préfet de La Réunion et convoqué les parties à une audience fixée le 31 octobre 2023. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en se dispensant de tenir une audience publique pour rejeter la demande de la STROI sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés a pris l'ordonnance attaquée à la suite d'une procédure irrégulière.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, que l'ordonnance attaquée doit être annulée.
7. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.
8. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l'urgence s'appréciant objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l'argumentation des parties, l'ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d'urgence.
9. D'une part, si la STROI soutient que l'urgence à suspendre l'arrêté préfectoral litigieux résulterait des délais et du coût des obligations qu'il met à sa charge, elle ne justifie ni du coût de ces mesures, par des éléments précis et chiffrés, ni des circonstances qui la mettraient dans l'impossibilité de mettre en œuvre ces mesures dans les délais fixés. Elle ne justifie pas davantage que l'arrêté préfectoral ferait par lui-même obstacle à la poursuite de son exploitation et porterait ainsi atteinte à la liberté d'entreprendre. Enfin la seule circonstance que le non-respect de cet arrêté pourrait l'exposer à un risque de sanctions administratives et pénales ne saurait être regardée comme plaçant la société requérante dans une situation d'urgence.
10. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que serait caractérisée une situation d'urgence nécessitant que l'exécution de la décision attaquée soit suspendue, dans l'attente du jugement de la requête au fond.
11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué, que la STROI n'est pas fondée à demander la suspension de l'arrêté du préfet de La Réunion du 29 septembre 2023. Par suite, sa demande de première instance doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la STROI, pour les frais exposés devant le Conseil d'Etat et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de La Réunion du 14 novembre 2023 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la société de terrassement et de recyclage de l'océan indien devant le juge des référés du tribunal administratif de La Réunion ainsi que ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société de terrassement et de recyclage de l'océan indien et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 janvier 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et M. Jean-Baptiste Butlen, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 10 février 2025.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Baptiste Butlen
La secrétaire :
Signé : Mme Magalie Café