Vu la procédure suivante :
Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique enregistrés les 25 janvier et 8 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 27 novembre 2023 portant refus d'acquisition de la nationalité française ;
2°) d'enjoindre à la sous-direction de l'accès à la nationalité française d'informer l'autorité qui a reçu la souscription de la déclaration à la nationalité française de l'annulation de la décision attaquée ;
3°) d'enjoindre au préfet de notifier la déclaration enregistrée par M. A... ;
4°) d'assortir l'injonction en application des dispositions de l'article L. 911-3 du code de justice administrative d'une astreinte définitive dont il plaira à la juridiction de fixer le montant ainsi que la date d'effet ;
5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 janvier 2025, présentée par M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 21-2 du code civil : " L'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité (...) ". L'article 21-4 du même code prévoit toutefois que : " Le Gouvernement peut s'opposer par décret en Conseil d'Etat, pour indignité ou défaut d'assimilation, autre que linguistique, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger dans un délai de deux ans à compter de la date du récépissé prévu au deuxième alinéa de l'article 26 ou, si l'enregistrement a été refusé, à compter du jour où la décision judiciaire admettant la régularité de la déclaration est passée en force de chose jugée (...) ".
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., ressortissant turc, a souscrit le 28 avril 2021 une déclaration d'acquisition de la nationalité française à raison de son mariage. Par le décret attaqué, la Première ministre s'est opposée à l'acquisition de la nationalité française au motif que M. A... ne pouvait être regardé comme digne de l'acquérir.
3. En premier lieu, aux termes de l'article 30 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, applicable à la date d'enregistrement de la déclaration de M. A... : " Lorsque la nationalité française est réclamée au titre de l'article 21-2, 21-13-1 ou 21-13-2 du code civil, dès remise du récépissé mentionné à l'article 29, l'autorité qui a reçu la déclaration transmet l'entier dossier, assorti de son avis motivé, au ministre chargé des naturalisations pour qu'il procède, le cas échéant, à son enregistrement. ". Ces dispositions n'impartissant, en tout état de cause, aucun délai de transmission du dossier au ministre, M. A... ne peut utilement soutenir que le préfet ayant reçu sa déclaration ne l'a transmis que tardivement au ministre de l'intérieur. Il ressort en outre des pièces du dossier que cette transmission était assortie de l'avis motivé du préfet.
4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, qu'en tout état de cause, contrairement à ce qui est soutenu, l'épouse de M. A... était présente lors de l'entretien destiné à vérifier la continuité de la communauté de vie entre les époux.
5. En troisième lieu, le décret énonce les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ainsi que, contrairement à ce qui est soutenu, le prévoit le décret du 30 décembre 1993 mentionné ci-dessus.
6. En quatrième lieu, la qualité du signataire de l'ampliation communiquée à l'intéressé est sans incidence sur la légalité du décret attaqué.
7. En cinquième lieu, la circonstance que les voies et délais de recours contre le décret attaqué n'auraient pas été mentionnés par cette ampliation est sans incidence sur la légalité de ce décret.
8. En sixième lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier des indications circonstanciées données par le ministre de l'intérieur, fondées sur une note blanche du 16 mai 2022 versée au débat contradictoire, que M. A... est un membre actif du Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP/C), organisation classée comme terroriste par l'Union européenne. Il a ainsi apporté son soutien logistique à des cadres de cette organisation en juin et août 2017 et le 11 mars 2022. Par ailleurs, il a entretenu, entre 2015 et 2020, des contacts réguliers avec des membres de cette organisation. En estimant, à la date du décret attaqué, que ces faits, eu égard à leur gravité ainsi que leur caractère répété et récent, rendaient M. A... indigne d'acquérir la nationalité française, la Première ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 21-4 du code civil.
9. En septième lieu, il ressort du dossier que la note blanche a été versée au débat contradictoire et que M. A... a pu présenter des observations. Dès lors, le requérant a pu contester la matérialité des faits et bénéficier d'un recours effectif. Le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au recours effectif et au droit au procès équitable garantis par les articles 13 et 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. En huitième lieu, le décret litigieux ne porte pas, par lui-même, atteinte à la liberté d'expression de M. A....
11. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 27 novembre 2023 par lequel la Première ministre lui a refusé l'acquisition de la nationalité française. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.