Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du 6 mars 2024 par laquelle la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse l'a affectée dans l'académie de Versailles, de la décision du 26 avril 2024 rejetant son recours gracieux contre cette décision et de la décision l'ayant affectée au lycée professionnel Le Château d'Epluches à Saint-Ouen-l'Aumône (Val-d'Oise), d'autre part, d'enjoindre à la ministre de l'affecter, à titre provisoire, au sein de l'académie de Lille dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, et, à titre subsidiaire, de l'affecter dans l'académie d'Amiens. Par une ordonnance n° 2408648 du 12 juillet 2024, la juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de ces décisions et enjoint à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse de procéder au réexamen de la situation de Mme B... et de l'affecter à titre provisoire, pour la rentrée de septembre 2024, sur un poste de professeur de lycée professionnel dans la discipline d'arts appliqués, option design, au sein de l'académie de Lille.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 juillet, 9 août et 4 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de l'éducation nationale demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de Mme B....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 92-1189 du 6 novembre 1992 ;
- le décret n° 2018-303 du 25 avril 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 janvier 2025, présentée par Mme B... ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hugo Bevort, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de Mme A... B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise que Mme A... B..., admise à la session 2023 du concours du certificat d'aptitude au professorat de lycée professionnel, dans la discipline d'arts appliqués, option design, a effectué son année de stage dans l'académie de Lille, à l'issue de laquelle elle a été titularisée à compter du 1er septembre 2024. Par une décision du 6 mars 2024, Mme B... a été affectée, sous réserve de sa titularisation, dans le cadre général du mouvement interacadémique, dans l'académie de Versailles alors qu'elle avait formulé le vœu unique d'être affectée dans l'académie de Lille. Elle a introduit un recours gracieux tendant à la révision de cette affectation, qui a été rejeté le 26 avril 2024. Dans le cadre du mouvement intra-académique au sein de l'académie de Versailles, par une décision ultérieure, Mme B... a été affectée au lycée professionnel Le Château d'Epluches à Saint-Ouen l'Aumône (Val-d'Oise). La ministre de l'éducation nationale se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 12 juillet 2024 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une part, a suspendu l'exécution de ces décisions et, d'autre part, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de Mme B... et de l'affecter à titre provisoire, pour la rentrée 2024, au sein de l'académie de Lille.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 512-19 du code général de la fonction publique, qui, de même que les articles L. 512-18 et L. 512-20 à L. 512-22, figure dans la sous-section " mutations au sein de la fonction publique de l'Etat " au sein de la section 5 du chapitre II du titre Ier du livre V de la partie législative de ce code : " Dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service et sous réserve des priorités instituées au chapitre II du titre IV du livre IV, les affectations prononcées tiennent compte des demandes formulées par les intéressés et de leur situation de famille. / Les demandes de mutation sont examinées en donnant priorité aux fonctionnaires de l'Etat relevant de l'une des situations suivantes : / 1° Être séparé de son conjoint pour des raisons professionnelles ou séparé pour des raisons professionnelles du partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité s'il produit la preuve qu'ils se soumettent à l'obligation d'imposition commune prévue par le code général des impôts ; / 2° Etre en situation de handicap relevant de l'une des catégories mentionnées à l'article L. 131-8 ; / 3° Exercer ses fonctions dans un quartier urbain où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles ; / 4° Justifier du centre de ses intérêts matériels et moraux dans une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie ; / 5° Être affecté sur un emploi qui est supprimé, y compris si cet emploi relève d'une autre administration, sans pouvoir être réaffecté sur un emploi correspondant à son grade dans son service. " Aux termes de l'article L. 512-20 du même code : " Pour répondre aux besoins propres à l'organisation de la gestion des corps enseignants, (...), les statuts particuliers peuvent prévoir des priorités supplémentaires qui s'ajoutent aux priorités mentionnées à l'article L. 512-19 ". Aux termes de l'article L. 512-21 du même code : " Les décisions de mutation sont prises dans le respect des lignes directrices de gestion en matière de mobilité prévues à l'article L. 413-4. L'autorité compétente peut définir des durées minimales ou maximales d'occupation de certains emplois et peut, dans le cadre des lignes directrices de gestion en matière de mobilité et sans renoncer à son pouvoir d'appréciation, définir des critères supplémentaires établis à titre subsidiaire. "
4. Aux termes de l'article 27 du décret du 6 novembre 1992 relatif au statut particulier des professeurs de lycée professionnel : " La désignation des personnels qui doivent recevoir une première affectation à l'issue de leur titularisation et de ceux qui sont appelés à changer d'académie est prononcée par décision du ministre chargé de l'éducation. " Aux termes de l'article 27-1 du même décret, issu de l'article 2 du décret du 25 avril 2018 relatif aux priorités d'affectation des membres de certains corps mentionnés à l'article 10 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Pour prononcer les affectations, il est tenu compte, dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service, des priorités prévues par l'article L. 512-19 du code général de la fonction publique et, en outre, des critères de priorité suivants : / 1° La situation de l'agent qui sollicite un rapprochement avec le détenteur de l'autorité parentale conjointe dans l'intérêt de l'enfant ; / 2° La situation de l'agent affecté dans un territoire ou une zone rencontrant des difficultés particulières de recrutement ; / 3° La situation de l'agent affecté dans un emploi supprimé en raison d'une modification de la carte scolaire ; / 4° Le caractère répété d'une même demande de mutation ainsi que son ancienneté ; / 5° L'expérience et le parcours professionnel de l'agent. / Les demandes de mutation sont classées préalablement à l'aide d'un barème rendu public. "
5. Pour prononcer, par l'ordonnance attaquée du 12 juillet 2024, la suspension de l'exécution des décisions par lesquelles Mme B... a été affectée dans l'académie de Versailles, au lycée professionnel Le Château d'Epluches à Saint-Ouen l'Aumône à compter du 1er septembre 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé que les moyens tirés du défaut d'examen particulier de la situation de Mme B... et de l'erreur d'appréciation de sa situation au regard des dispositions des articles L. 512-19, L. 512-20 et L. 512-21 du code général de la fonction publique étaient de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à leur légalité.
6. Toutefois, d'une part, l'affectation de Mme B..., qui faisait suite à sa réussite au concours du certificat d'aptitude au professorat de lycée professionnel et avait pour objet de permettre à l'intéressée de prendre ses premières fonctions en qualité de fonctionnaire titulaire, ne constituait pas une mutation au sens des dispositions des articles L. 512-19, L. 512-20 et L. 512-21 du code général de la fonction publique. Mme B... ne pouvait dès lors utilement se prévaloir de la méconnaissance de ces dispositions, qui concernent les seuls changements d'affectation portant mutation et sont inapplicables aux premières nominations des agents titularisés. Par suite, en jugeant que le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions affectant Mme B... dans l'académie de Versailles, au lycée professionnel Le Château d'Epluches à Saint-Ouen l'Aumône, la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a commis une erreur de droit.
7. D'autre part, il ressort des pièces du dossier soumis à la juge des référés que les décisions d'affectation de Mme B... et la décision de rejet de son recours gracieux ont été prises après examen de sa situation individuelle, en particulier des contraintes familiales et financières qu'implique son affectation dans l'académie de Versailles. Par suite, en estimant que le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de Mme B... était également de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ces décisions, la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a dénaturé les pièces du dossier.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que la ministre de l'éducation nationale est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé et de statuer sur la demande de suspension en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
10. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi de conclusions tendant à la suspension d'un acte administratif, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.
11. La première affectation d'un agent public titularisé à l'issue de son année de stage n'a pas de conséquences telles sur la situation ou les intérêts de cet agent qu'elle constitue, sauf circonstances très particulières, une situation d'urgence.
12. Pour caractériser l'existence d'une situation d'urgence, Mme B... fait valoir qu'elle réside à une distance de deux heures quinze de route de Saint-Ouen-l'Aumône avec ses deux enfants en bas âge, dont l'un nécessite des soins d'oto-rhino-laryngologie, et son compagnon, dont les horaires de travail ne sont pas flexibles. Elle fait également valoir qu'ils ont un projet commun de construction dans le département du Nord. Toutefois, ces désagréments matériels et familiaux liés à l'éloignement de son affectation avec son domicile ne caractérisent pas à eux seuls une situation d'urgence telle qu'elle justifie la suspension des décisions attaquées, qui sont motivées par l'intérêt public s'attachant à une procédure d'affectation visant à assurer une répartition équitable et équilibrée des personnels enseignants titulaires sur l'ensemble du territoire national, selon les capacités d'accueil de chaque académie. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence de moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées, la demande de Mme B... doit être rejetée, y compris ses conclusions à fins d'injonction et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 12 juillet 2024 de la juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulée.
Article 2 : La demande de Mme B... ainsi que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et à Mme A... B....