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04/02/2025 | FRANCE | N°492231

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 04 février 2025, 492231


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 février 2024 et 15 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées (SYNERPA) demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1428 du 29 décembre 2023 relatif à la prise en compte des reports à nouveau et des réserves prévue aux articles L. 313-12 et L. 313-12-2 du code de

l'action sociale et des familles ;



2°) de mettre à la charge de l'Etat la so...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 février 2024 et 15 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées (SYNERPA) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-1428 du 29 décembre 2023 relatif à la prise en compte des reports à nouveau et des réserves prévue aux articles L. 313-12 et L. 313-12-2 du code de l'action sociale et des familles ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 janvier 2025, présentée par le syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées ;

Considérant ce qui suit :

1. Le I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent code, (...) 6° Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées (...) ". Aux termes de l'article L. 313-12 du même code : " I.- Les établissements mentionnés au 6° du I de l'article L. 312-1, à l'exclusion de ceux mentionnés au premier alinéa du III du présent article [c'est-à-dire des " résidences autonomie "], qui accueillent un nombre de personnes âgées dépendantes dans des proportions supérieures à des seuils appréciés dans des conditions fixées par décret sont des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. / (...) IV ter - A.- La personne physique ou morale qui gère un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes mentionné aux I ou II conclut un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens avec le ou les présidents du conseil départemental et le directeur général de l'agence régionale de santé concernés. (...) / B.- Le contrat est conclu pour une durée de cinq ans. (...) / Par dérogation aux II et III de l'article L. 314-7, ce contrat fixe les éléments pluriannuels du budget des établissements et des services et prévoit l'affectation des résultats d'exploitation par le gestionnaire dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat. A l'occasion du renouvellement du contrat, il peut être tenu compte, pour fixer la tarification de l'établissement ou du service, de la part des reports à nouveau ou des réserves figurant dans son budget et qui ne sont pas justifiés par ses conditions d'exploitation. Au vu des résultats, le montant de ces reports ou de ces réserves peut être plafonné, selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 313-12-2 du même code : " Les établissements et services mentionnés aux 2°, 3°, 5° et 7° du I de l'article L. 312-1 ainsi que les établissements et services mentionnés au 6° du même I, à l'exception des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes mentionnés aux I et II de l'article L. 313-12, relevant de la compétence tarifaire du directeur général de l'agence régionale de santé et de la compétence tarifaire conjointe de ce dernier et du président du conseil départemental, font l'objet d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens dans les conditions prévues à l'article L. 313-11. (...) Ce contrat prévoit l'affectation des résultats d'exploitation des établissements et services par le gestionnaire dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat. A l'occasion du renouvellement du contrat, il peut être tenu compte, pour fixer la tarification de l'établissement ou du service, de la part des reports à nouveau ou des réserves figurant dans son budget et qui ne sont pas justifiés par ses conditions d'exploitation. Au vu des résultats, le montant de ces reports ou de ces réserves peut être plafonné, selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat ".

2. Pour l'application de ces dispositions issues, notamment, de l'article 62 de la loi du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023, le décret du 29 décembre 2023 relatif à la prise en compte des reports à nouveau et des réserves prévue aux articles L. 313-12 et L. 313-12-2 du code de l'action sociale et des familles insère dans ce code les articles R. 314-43-3 à R. 314-43-5. Le syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

Sur la légalité externe :

3. D'une part, lorsque, comme en l'espèce, un décret doit être pris en Conseil d'Etat, le texte retenu par le Gouvernement ne peut être différent à la fois du projet qu'il avait soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par ce dernier. Il ressort des pièces versées au dossier par la ministre du travail, de la santé et des solidarités que le décret attaqué ne comporte aucune disposition différant à la fois de celles qui figuraient dans le projet du Gouvernement et de celles qui ont été adoptées par la section sociale du Conseil d'Etat. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des règles qui gouvernent l'examen par le Conseil d'Etat des projets de décret doit être écarté.

4. D'autre part, l'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'une décision doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par cette décision. Par suite, dans le cas où, après avoir recueilli son avis, l'autorité compétente pour prendre cette décision envisage d'apporter à son projet des modifications, elle doit procéder à une nouvelle consultation de cet organisme lorsque ces modifications posent des questions nouvelles.

5. En l'espèce, la rédaction du décret attaquée diffère, il est vrai, de celle du projet soumis à la consultation du conseil national d'évaluation des normes, du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et de la section sociale du Comité national de l'organisation sanitaire et sociale en ce qu'elle ne prévoit plus, à l'article R. 314-43-5 inséré dans le code de l'action sociale et des familles, la possibilité d'une reprise des reports à nouveau excédentaires ou des réserves issus des crédits alloués par l'autorité de tarification et non justifiés par les conditions d'exploitation, mais une modulation tarifaire à l'occasion du renouvellement pluriannuel du contrat d'objectifs et de moyens tenant compte de ces reports à nouveau excédentaires ou réserves. Toutefois, eu égard à l'objet de ce décret d'application des dispositions législatives citées au point 1, lesquelles autorisent à tenir compte, pour fixer la tarification des établissements concernés, de la part des reports à nouveau ou des réserves figurant dans son budget qui ne sont pas justifiés par ses conditions d'exploitation, les modifications ainsi apportées au projet de décret, évoquées lors de ces consultations, y compris le transfert d'une fraction du montant des reports à nouveau excédentaires ou des réserves à un compte de réserve de compensation des déficits, lequel constitue une simple modalité technique liée au remplacement de la reprise de crédits par une modulation tarifaire future dont l'ampleur envisagée est demeurée inchangée, ne posent aucune question nouvelle qui imposait de consulter à nouveau ces organismes.

6. Par suite, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué aurait été pris au terme d'une procédure irrégulière.

Sur la légalité interne :

7. En premier lieu, il résulte des termes mêmes de l'article R. 314-43-3 du code de l'action sociale et des familles que les " conditions d'exploitation " d'un établissement ou d'un service médico-social ne justifiant pas le niveau de ses reports à nouveau excédentaires ou de ses réserves doivent être examinées à l'occasion du renouvellement du contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens au regard des prévisions que celui-ci contenait. Eu égard aux dispositions du B du IV ter de l'article L. 312-1 et de l'article L. 313-12-2 du même code, pour l'application desquelles est pris cet article R. 314-43-3, et à la période au titre de laquelle le décret prévoit que sont examinées ces conditions d'exploitation, la période de constitution des réserves et reports à nouveau susceptibles de justifier une modulation tarifaire correspond nécessairement à la durée du même contrat. Enfin, l'article R. 314-43-4 de ce code précise les documents sur lesquels se fonde l'analyse de la situation financière de l'établissement à partir de laquelle est établie la modulation tarifaire, qui se déroule dans le cadre de la négociation du nouveau contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens. Ainsi, le syndicat requérant n'est, en tout état de cause, pas fondé à soutenir que le décret attaqué serait entaché d'" incompétence négative " pour n'avoir pas apporté ces précisions.

8. En deuxième lieu, l'article R. 314-43-3 du code de l'action sociale et des familles, issu du décret attaqué, qui prévoit de tenir compte, pour fixer la tarification de l'établissement concerné sur la durée d'un nouveau contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, de la part des reports à nouveau excédentaires ou des réserves figurant " dans ses comptes ", ne méconnaît pas le B du IV ter de l'article L. 313-12 du même code, cité au point 1 et qui fait référence aux reports à nouveau ou aux réserves figurant " dans son budget ", dès lors qu'en application de l'article R. 314-7 de ce code, le budget d'un tel établissement prend la forme d'un état des prévisions de recettes et de dépenses se composant, notamment, de comptes de résultats et de tableaux de financement.

9. En dernier lieu, en fixant à la moitié le montant maximal des reports et réserves non justifiés par les conditions d'exploitation prévues au contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens pouvant être pris en compte dans le cadre du mécanisme de modulation tarifaire qu'il prévoit, le décret attaqué ne méconnaît pas le B du IV ter de l'article L. 313-12 du code de l'action sociale et des familles, en vertu duquel " le montant de ces reports ou de ces réserves peut être plafonné, selon des modalités définies par décret en Conseil d'Etat ". Il n'est pas davantage entaché d'erreur manifeste d'appréciation, le syndicat requérant n'apportant aucun élément de nature à remettre en cause le plafond retenu et le montant pris en compte demeurant, dans la limite de ce plafond, propre à la situation de chaque établissement concerné et placé sous le contrôle du juge du tarif, sans qu'aient d'incidence à cet égard les procédures, ayant un autre objet, d'action en récupération de sommes indûment perçues, prévue à l'article L. 313-14-2 du même code, ou de rejet par l'autorité de tarification des dépenses manifestement étrangères, par leur nature ou par leur importance, à celles envisagées lors de la procédure de fixation du tarif et non justifiées par les nécessités de la gestion normale de l'établissement, prévue à l'article R. 314-236 de ce code.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la requête du syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête du syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat national des établissements, résidences et services d'aide à domicile privés pour personnes âgées et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 janvier 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Vincent Mazauric conseillers d'Etat ; M. Cyril Noël, maître des requêtes et M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 4 février 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Jean-Luc Matt

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 492231
Date de la décision : 04/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 fév. 2025, n° 492231
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Matt
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:492231.20250204
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