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04/02/2025 | FRANCE | N°488122

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 04 février 2025, 488122


Vu la procédure suivante :



Par une ordonnance n° 2203108 du 7 septembre 2023, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 4 février 2022 au greffe de ce tribunal, présentée par l'Union des entreprises de proximité (U2P).



Par cette requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 14 octobre et 2

0 décembre 2022 au greffe du tribunal administratif, et un nouveau mémoire, enregistré l...

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 2203108 du 7 septembre 2023, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 4 février 2022 au greffe de ce tribunal, présentée par l'Union des entreprises de proximité (U2P).

Par cette requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 14 octobre et 20 décembre 2022 au greffe du tribunal administratif, et un nouveau mémoire, enregistré le 14 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des entreprises de proximité demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 30 novembre 2021 du ministre des solidarités et de la santé relatif à la liste des organisations représentatives des travailleurs indépendants et à la répartition des sièges au sein du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants ;

2°) d'enjoindre à l'administration de lui communiquer la liste des organisations adhérentes et des structures territoriales statutaires dont la Chambre nationale des professions libérales (CNPL), la Fédération nationale des auto-entrepreneurs (FNAE) et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ont demandé la prise en compte pour l'établissement de cet arrêté, les attestations des commissaires aux comptes que la CNPL, la FNAE et la CPME ont fait établir relativement au nombre de leurs adhérents travailleurs indépendants et aux cotisations qu'ils payent, ainsi que les éléments et documents permettant de justifier que la CNPL, la FNAE et la CPME satisfont aux critères mentionnés aux 2°, 3° et 5° de l'article L. 2151-1 du code du travail et au respect des obligations prévues à l'article R. 612-17 du code de la sécurité sociale ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 ;

- la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 ;

- le décret n° 2020-1164 du 24 septembre 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boucard, Maman, avocat de l'Union des entreprises de proximité, à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat de la Confédération des petites et moyennes entreprises et de la Chambre nationale des professions libérales et à Me Ridoux, avocat de la Fédération nationale des auto-entrepreneurs ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. Dans le cadre de la suppression du régime social des indépendants et de l'intégration de la protection sociale des travailleurs indépendants au régime général de la Sécurité sociale à compter du 1er janvier 2020, l'article 15 de la loi du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, a créé un chapitre II " Conseil de la protection sociale des indépendants " au sein du titre Ier du livre VI du code de la sécurité sociale. En vertu de l'article L. 612-1 de ce code, ce Conseil a pour rôle de veiller à la bonne application aux travailleurs indépendants des règles relatives à leur protection sociale, de déterminer des orientations générales relatives à l'action sanitaire et sociale déployée spécifiquement en faveur des travailleurs indépendants, de piloter le régime complémentaire d'assurance vieillesse obligatoire et le régime invalidité-décès des travailleurs indépendants ainsi que d'animer, de coordonner et de contrôler l'action des instances régionales de la protection sociale des travailleurs indépendants. L'article L. 612-2 du même code prévoit que le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants est notamment doté d'une assemblée générale délibérante et qu'il dispose également d'instances régionales. Ses articles L. 612-3 et L. 612-4 prévoient que cette assemblée générale et ces instances régionales comprennent notamment des représentants des travailleurs indépendants et des retraités, désignés par les organisations professionnelles représentatives de ces travailleurs au niveau national, telles qu'elles sont définies à l'article L. 612-6.

2. En vertu de l'article L. 612-6 du code de la sécurité sociale, sont admises à désigner des membres au sein de l'assemblée générale et des instances régionales du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants les organisations qui se déclarent candidates, lorsqu'elles remplissent cumulativement les critères mentionnés au I de l'article L. 2151-1 du code du travail, aux termes duquel : " La représentativité des organisations professionnelles d'employeurs est déterminée d'après les critères cumulatifs suivants : / 1° Le respect des valeurs républicaines ; / 2° L'indépendance ; / 3° La transparence financière ; / 4° Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s'apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ; / 5° L'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience ; / 6° L'audience, qui se mesure en fonction du nombre d'entreprises volontairement adhérentes ou de leurs salariés soumis au régime français de sécurité sociale et, selon les niveaux de négociation, en application du 3° des articles L. 2152-1 ou L. 2152-4 (...) ". Aux termes du même article L. 612-6 : " (...) L'audience à laquelle il est fait référence au 6° dudit I s'apprécie sur le fondement du nombre de travailleurs indépendants, au sens de l'article L. 611-1 du présent code, qui sont adhérents à chacune de ces organisations (...) / En vue d'être admises à procéder aux désignations mentionnées au premier alinéa du présent article, les organisations mentionnées au présent article (...) déclarent le nombre, attesté par un commissaire aux comptes, de travailleurs indépendants adhérents à leur organisation l'année précédente (...) ". L'article R. 612-1 du même code dispose en outre que la liste des organisations professionnelles représentatives des travailleurs indépendants au niveau national et leurs audiences respectives sont fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et que, dans chacun des collèges, la répartition des sièges entre les organisations s'effectue proportionnellement à leur audience calculée en application des dispositions de l'article L. 612-6, avec répartition des sièges restants à la plus forte moyenne.

3. L'Union des entreprises de proximité demande l'annulation de l'arrêté du 30 novembre 2021 par lequel le ministre des solidarités et de la santé a, d'une part, reconnu représentatives au niveau national, au sens de l'article L. 612-6 du code de la sécurité sociale, l'Union des entreprises de proximité (U2P) (39,51 %), la Confédération des petites et moyens entreprises (CPME) (29,53 %), la Fédération nationale des auto-entrepreneurs (FNAE) (17,54 %) et la Chambre nationale des professions libérales (CNPL) (10,05 %) et, d'autre part, fixé le nombre de membres que chacune de ces organisations peut désigner au sein de l'assemblée générale et des instances régionales du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants au titre des travailleurs indépendants (respectivement six, cinq, trois et un) et des travailleurs indépendants retraités (respectivement trois, deux, un et un).

Sur la compétence du Conseil d'Etat :

4. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (...) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres (...) ".

5. L'arrêté attaqué, pris par le ministre des solidarités et de la santé, en ce qu'il fixe la répartition des sièges au sein du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants entre les organisations représentatives au niveau national des travailleurs indépendants, est un acte réglementaire. Il en résulte que l'Union requérante n'est pas fondée à soutenir que l'examen de sa demande relèverait de la compétence en premier ressort du tribunal administratif de Paris.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

6. En vertu des I et II de l'article R. 612-12 du code de la sécurité sociale, sont considérés comme adhérents d'une organisation professionnelle candidate pour désigner des membres au sein de l'assemblée générale et des instances régionales du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants les travailleurs indépendants qui acquittent à cette organisation, à une organisation adhérente à cette organisation, ou à l'une de leurs structures territoriales statutaires, une cotisation conformément aux règles mentionnées au 3° de l'article R. 612-14 du même code, lequel renvoie aux règles fixées en matière de cotisations par délibération de l'organe compétent de cette organisation.

7. Il ressort des pièces du dossier que le ministre des solidarités et de la santé a pris en compte, pour apprécier l'audience de la FNAE, tous les adhérents ayant versé une cotisation à cette association, y compris ceux n'ayant versé qu'une cotisation d'un montant de neuf euros correspondant à l'adhésion dite " membre simple ". Il ressort toutefois des termes de la délibération de l'assemblée générale extraordinaire de la FNAE du 14 novembre 2018 que le versement d'une telle cotisation donne seulement accès aux services proposés par la FNAE, sans que cette cotisation inclue une part correspondant à une " adhésion syndicale ", à la différence des deux autres types de cotisations, d'un montant supérieur, prévues par cette délibération. Il est en outre constant que l'adhésion comme " membre simple " ne permet pas de participer aux élections internes de la FNAE. Dans ces conditions, l'Union des entreprises de proximité est fondée à soutenir que le ministre des solidarités et de la santé a commis une erreur manifeste d'appréciation en regardant comme des adhérents au sens des dispositions citées au point 6, à prendre en compte pour déterminer l'audience de la FNAE, les membres de cette association ayant versé une cotisation d'un montant de neuf euros correspondant à l'adhésion dite " membre simple ".

8. Si les autres moyens soulevés ne sont pas fondés, il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que l'Union des entreprises de proximité est fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué.

Sur les conséquences de l'illégalité de l'arrêté attaqué :

9. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

10. D'une part, il ressort des pièces du dossier que la disparition rétroactive de l'arrêté du 30 novembre 2021 entraînerait des conséquences manifestement excessives, eu égard notamment aux délibérations prises par le Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants et ses instances régionales depuis le 1er janvier 2022 ainsi qu'à sa portée sur la gouvernance des organismes du régime général de sécurité sociale dans lesquels il assure la représentation des travailleurs indépendants. Il y a lieu, par suite, de prévoir que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur le fondement de l'arrêté du 30 novembre 2021, les effets produits par cet arrêté antérieurement à son annulation devront être regardés comme définitifs.

11. Par ailleurs, eu égard à la procédure, actuellement en cours, d'édiction d'un nouvel arrêté relatif à la liste des organisations représentatives des travailleurs indépendants et à la répartition des sièges au sein du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants, reposant sur une nouvelle mesure de la représentativité des organisations professionnelles de travailleurs indépendants qui s'achèvera à la fin de l'année 2025, il y a lieu de ne prononcer l'annulation totale de l'arrêté contesté - sous réserve des droits des personnes qui ont engagé une action contentieuse à la date de la présente décision - qu'à compter du 31 décembre 2025.

Sur les autres conclusions :

12. L'annulation de l'arrêté attaqué n'implique pas que soient prises les mesures demandées par l'Union des entreprises de proximité. Les conclusions à fin d'injonction présentées par la requérante doivent dès lors être rejetées.

13. Enfin, il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à l'Union des entreprises de proximité. Les dispositions de ce même article font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Union des entreprises de proximité, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêté du 30 novembre 2021 est annulé. Cette annulation prendra effet le 31 décembre 2025. Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets produits par cet arrêté antérieurement à son annulation doivent être réputés définitifs.

Article 2 : L'Etat versera à l'Union des entreprises de proximité une somme de 3 000 euros au titre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de l'Union des entreprises de proximité est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la Chambre nationale des professions libérales, la Confédération des petites et moyennes entreprises et la Fédération nationale des auto-entrepreneurs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, à l'Union des entreprises de proximité, à la Chambre nationale des professions libérales, à la Confédération des petites et moyennes entreprises et à la Fédération nationale des auto-entrepreneurs.

Délibéré à l'issue de la séance du 15 janvier 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Edouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Vincent Mazauric, conseillers d'Etat ; M. Jean-Luc Matt, maître des requêtes et M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 4 février 2025.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Noël

Le secrétaire :

Signé : M. Hervé Herber


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 488122
Date de la décision : 04/02/2025

Publications
Proposition de citation : CE, 04 fév. 2025, n° 488122
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyril Noël
Rapporteur public ?: M. Thomas Janicot
Avocat(s) : SCP FABIANI, LUC-THALER, PINATEL ; RIDOUX ; SCP BOUCARD-CAPRON-MAMAN

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2025:488122.20250204
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