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31/12/2024 | FRANCE | N°484422

France | France, Conseil d'État, 5ème - 6ème chambres réunies, 31 décembre 2024, 484422


Vu la procédure suivante :



Par une requête, un mémoire en réplique et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 18 août 2023 et les 23 avril, 12 juillet, 10 septembre et 10 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler la décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) n° 2023-544 du 21 juin 2023 prononçant à son encontre des sanctions pécuniaires de 120 000 euros, au titre d'émissions diffusées en 202

2, et de 80 000 euros, au titre d'émissions diffusées en 2023, à raison de manquements à l'in...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 18 août 2023 et les 23 avril, 12 juillet, 10 septembre et 10 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société C8 demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) n° 2023-544 du 21 juin 2023 prononçant à son encontre des sanctions pécuniaires de 120 000 euros, au titre d'émissions diffusées en 2022, et de 80 000 euros, au titre d'émissions diffusées en 2023, à raison de manquements à l'interdiction de la publicité clandestine ;

2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- le décret n° 92-280 du 27 mars 1992 ;

- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel n° 2010-4 du 16 février 2010 ;

- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel n° 2012-35 du 24 juillet 2012 ;

- la délibération du 9 avril 2014 fixant le règlement intérieur du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société C8 et à la SARL Gury et Maître, avocat de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ". Aux termes de l'article 42-1 de la même loi : " Si la personne faisant l'objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l'objet d'une mise en demeure, une des sanctions suivantes : / (...) 3° Une sanction pécuniaire assortie éventuellement d'une suspension de l'édition ou de la distribution du ou des services ou d'une partie du programme (...) ".

2. Il résulte de l'instruction que, par une décision du 21 juin 2023, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a, par application des dispositions citées ci-dessus, infligé à la société C8 deux sanctions pécuniaires de 120 000 et 80 000 euros à raison de manquements à l'interdiction de la publicité clandestine dans des émissions " Le 6 à 7 " et " Touche pas à mon poste " diffusées respectivement les 4, 9 et 17 novembre 2022 et les 24 et 30 janvier 2023.

Sur la légalité externe :

3. En premier lieu, la décision attaquée, qui énonce les motifs pour lesquels l'Arcom retient l'existence de manquements ainsi que les sanctions qu'elle inflige, est suffisamment motivée.

4. En deuxième lieu, la société C8 n'allègue pas, et il ne résulte pas davantage de l'instruction, que la sanction qui lui a été infligée reposerait de manière déterminante sur des propos tenus lors de son audition par l'Arcom. Par suite, le moyen tiré de ce qu'aurait été méconnue, lors de cette audition, l'obligation de lui notifier le droit de se taire ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

5. En troisième lieu, la société soutient que la décision contestée serait irrégulière en ce que deux des membres du collège de l'Arcom ayant pris part à la délibération auraient participé à un groupe de travail chargé de la préparer. Toutefois, d'une part, en prévoyant que " les dossiers soumis à la délibération du conseil sont, dans la mesure du possible, examinés préalablement en groupe de travail ", sans en exclure ceux relatifs aux procédures de sanction, les dispositions de l'article 4 du règlement intérieur du Conseil supérieur de l'audiovisuel adopté par la délibération du 9 avril 2014 susvisée ne méconnaissent pas, contrairement à ce qui est soutenu, celles de l'article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 qui donnent au rapporteur indépendant une compétence exclusive pour saisir le collège en matière de sanctions. D'autre part, la circonstance, à la supposer établie, que deux des membres du collège de l'Arcom ayant pris part à la délibération de la décision attaquée auraient participé au groupe de travail de l'autorité chargé, en application des dispositions de l'article 4 du règlement intérieur, d'en préparer les délibérations, ne saurait, par elle-même, être de nature à entraîner une méconnaissance du principe d'impartialité. La société requérante ne fait par ailleurs état d'aucune circonstance qui aurait été de nature à influer sur l'appréciation des deux membres en cause et aurait ainsi imposé qu'ils s'abstiennent de se prononcer.

Sur la légalité interne :

6. Aux termes de l'article 9 de la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 dite directive " Services de médias audiovisuels " : " 1. Les Etats membres veillent à ce que les communications commerciales audiovisuelles fournies par les fournisseurs de services de médias relevant de leur compétence répondent aux exigences suivantes : / a) les communications commerciales audiovisuelles sont facilement reconnaissables comme telles ; les communications commerciales audiovisuelles clandestines sont interdites ". Aux termes de l'article 9 du décret du 27 mars 1992 pris pour l'application des articles 27 et 33 de la loi du 30 septembre 1986, fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat et transposant sur ce point la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil : " La publicité clandestine est interdite. / Pour l'application du présent décret, constitue une publicité clandestine la présentation verbale ou visuelle de marchandises, de services, du nom, de la marque ou des activités d'un producteur de marchandises ou d'un prestataire de services dans des programmes, lorsque cette présentation est faite dans un but publicitaire. "

7. Il résulte de ces dispositions que la seule apparition d'une marque ou d'un produit à l'écran dans un programme audiovisuel, même à plusieurs reprises, ne saurait être regardée comme caractérisant, par elle-même, un manquement à l'interdiction de la publicité clandestine. Il peut, toutefois, en aller différemment lorsque la marque ou le produit qui lui sert de support sont l'objet même d'une séquence de l'émission ou lorsqu'ils bénéficient d'un traitement à l'image insistant, tel qu'un cadrage resserré ou une présentation particulièrement récurrente, et sont ainsi intentionnellement mis en avant d'une manière qui révèle le but publicitaire poursuivi.

En ce qui concerne la sanction relative aux émissions diffusées les 4, 9 et 17 novembre 2022 :

8. Il résulte de l'instruction, en premier lieu, qu'au cours de l'émission " Le 6 à 7 " du 4 novembre 2022, l'animateur portait une veste dont le logo, présent sur la manche, est apparu à de multiples reprises lors de ses prises de parole pendant une trentaine de minutes et que le nom abrégé de la marque, présent sur toute la largeur du dos du vêtement, a été visible à trente reprises, y compris lors de cadrages centrés sur son dos.

9. En deuxième lieu, au cours de l'émission " Le 6 à 7 " du 9 novembre 2022, les marques des chaussures portées par l'animateur ont été visibles au cours d'un cadrage en gros plan d'une durée de plusieurs secondes et ont fait l'objet d'un échange de propos laudatifs entre l'animateur et un chroniqueur, cet échange révélant par ailleurs que l'animateur avait bénéficié, de la part du fabricant, d'une proposition commerciale relative à ces chaussures.

10. En troisième lieu, au cours de l'émission " Le 6 à 7 " du 17 novembre 2022, l'animateur portait un sweat-shirt dont le logo de la marque sur la poitrine et les insignes le long des manches, particulièrement reconnaissables, ont été visibles lors de ses nombreuses prises de parole pendant une trentaine de minutes.

11. En quatrième lieu, au cours de l'émission " Touche pas à mon poste " du même jour, l'animateur portait le même vêtement, dont le logo avait été masqué mais dont les insignes sur les manches sont demeurés visibles lors de ses prises de parole pendant près de deux heures.

12. Par suite, l'Arcom, qui s'est fondée sur la durée et la répétition des visualisations des marques en cause, les propos qui ont attiré sur elles l'attention des téléspectateurs et leur association avec l'animateur, figure centrale de ces émissions, a pu légalement estimer, compte tenu des principes rappelés au point 7, que ces faits, mentionnés respectivement aux points 4, 5, 6 et 7 de la décision attaquée, constituaient des manquements à l'interdiction de la publicité clandestine prévue à l'article 9 du décret du 27 mars 1992 précité.

13. Compte tenu de la gravité des manquements ainsi constatés et de leur répétition, l'Arcom n'a pas, en retenant une sanction pécuniaire d'un montant de 120 000 euros, infligé à la société C8 une sanction disproportionnée au titre des émissions des 4, 9 et 17 novembre 2022. La société C8 n'est, par suite, pas fondée à en demander l'annulation.

En ce qui concerne la sanction relative aux émissions diffusées les 24 et 30 janvier 2023 :

14. Il résulte de l'instruction, d'une part, qu'au cours des émissions " Le 6 à 7 " et " Touche pas à mon poste " du 24 janvier 2023, une chroniqueuse portait une broche constituée des initiales aisément identifiables de la marque de ce bijou, sur lequel l'attention des téléspectateurs a été attirée par plusieurs plans rapprochés et par un échange de propos laudatifs entre cette chroniqueuse et l'animateur de l'émission sur sa tenue.

15. D'autre part, lors de la seconde partie de l'émission " Le 6 à 7 " et lors de l'émission " Touche pas à mon poste " du 24 janvier 2023, l'un des chroniqueurs portait un vêtement dont les insignes de la marque le long des manches, qui se trouve être la même que celle en cause aux points 10 et 11, ont bénéficié d'une exposition significative à travers plus d'une centaine de visualisations.

16. Par suite, l'Arcom, qui s'est, là encore, fondée sur le traitement à l'image insistant accordé aux marques en cause ainsi que, dans le cas mentionné au point 14 ci-dessus, sur les propos qui ont attiré sur elles l'attention des téléspectateurs, a pu légalement estimer, compte tenu des principes rappelés au point 7, que ces faits, mentionnés respectivement aux points 11 et 12 de la décision attaquée, constituaient des manquements à l'interdiction de la publicité clandestine prévue à l'article 9 du décret du 27 mars 1992 précité.

17. En revanche, pour estimer, au point 13 de sa décision, que la société C8 avait méconnu l'interdiction de la publicité clandestine lors de l'émission " Touche pas à mon poste " du 30 janvier 2023, l'Arcom s'est fondée sur la circonstance que l'un des invités portait un sweat-shirt arborant le logo d'une plateforme d'échange de cryptomonnaies et que ce logo était visible pendant la fin de son intervention. En se prononçant ainsi, alors qu'il résulte de l'instruction que ce logo a été masqué pendant la majeure partie de la séquence et n'est apparu qu'occasionnellement, lors des six dernières minutes, à la marge de cadrages centrés sur le buste de l'invité, l'Arcom a entaché sa décision d'erreur d'appréciation.

18. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le manquement à l'interdiction de la publicité clandestine ne pouvait être retenu à l'encontre de la société C8 pour les faits mentionnés au point 13 de la décision attaquée. Il y a lieu de minorer, en conséquence, la sanction pécuniaire de 80 000 euros qui lui a été infligée au titre des émissions diffusées en 2023. Compte tenu de la gravité des manquements mentionnés aux points 14 et 15 ci-dessus et aux points 11 et 12 de la décision attaquée, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en ramenant le montant de cette sanction à 60 000 euros.

19. La présente décision, qui réforme le montant d'une sanction prononcée par la décision 21 juin 2023, publiée sur le site internet de l'Arcom, implique qu'il en soit fait mention sur ce même site internet.

20. Il n'y pas a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société C8 et par l'Arcom au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La sanction pécuniaire de 80 000 euros prononcée à l'encontre de la société C8 à l'article 2 de la décision du 21 juin 2023 est ramenée à 60 000 euros conformément au point 18 de la présente décision.

Article 2 : La décision de l'Arcom du 21 juin 2023 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 3 : La présente décision du Conseil d'Etat sera publiée sur le site internet de l'Arcom dans les mêmes conditions que la décision de sanction ainsi réformée.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société C8 est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par l'Arcom au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société C8 et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Copie en sera adressée à la ministre de la culture.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 décembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat ; M. Alain Seban, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 31 décembre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. Cyrille Beaufils

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras


Synthèse
Formation : 5ème - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 484422
Date de la décision : 31/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 déc. 2024, n° 484422
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyrille Beaufils
Rapporteur public ?: M. Florian Roussel
Avocat(s) : SARL GURY & MAITRE ; SCP PIWNICA & MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:484422.20241231
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