Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 15 juillet et 16 octobre 2023 et les 30 juillet et 10 septembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Génération Harkis et M. Z... W... demandent au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir le rapport d'activité pour 2022 de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles (CNIH) ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir les pages 49 à 57, 74 et 75 et les annexes n° 1 et n° 4 de ce rapport ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 2022-229 du 23 février 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. L'association Générations Harkis et M. W... demandent l'annulation pour excès de pouvoir, à titre principal, du rapport d'activité de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles (CNIH) pour l'année 2022, remis à la Première ministre et publié le 15 mai 2023 ou, à titre subsidiaire, des pages 49 à 57, 74 et 75 et des annexes n° 1 et n° 4 de ce rapport.
2. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : (...) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale (...) ". Aux termes de l'article R. 351-4 du même code : " Lorsque tout ou partie des conclusions dont est saisi un tribunal administratif, une cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat relève de la compétence d'une de ces juridictions administratives, le tribunal administratif, la cour administrative d'appel ou le Conseil d'Etat, selon le cas, est compétent, nonobstant les règles de répartition des compétences entre juridictions administratives, pour rejeter les conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance (...) ".
3. En application de l'article 4 de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français, la CNIH, qui est placée auprès du Premier ministre et est assistée par l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre pour la mise en œuvre de ses missions, publie un rapport annuel d'activité.
4. Les rapports annuels d'activité de la CNIH sont dépourvus de caractère réglementaire et ne constituent ni des circulaires, ni des instructions de portée générale au sens du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative. Ni cet article, ni aucune autre disposition ne donne compétence au Conseil d'Etat pour connaître en premier ressort de conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d'un tel rapport. Par suite, le jugement de telles conclusions relève, en premier ressort, de la compétence du tribunal administratif de Paris.
5. Toutefois, les mises en garde, prises de position ou recommandations adoptées par la CNIH dans son rapport annuel d'activité ou sur tout autre support qu'elle rend public, de même que le refus de les supprimer, de les modifier ou de les rectifier, ne peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir par une personne, justifiant d'un intérêt direct et certain à leur annulation, que s'ils sont de nature à produire à son égard des effets notables ou sont susceptibles d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elles s'adressent.
6. En premier lieu, si les requérants contestent les pages 49 à 57 et l'annexe n° 1 du rapport attaqué, ces passages se bornent à exposer les travaux d'expertise historique conduits par la CNIH au sujet de structures ayant accueilli des harkis, des moghaznis et des personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local, leurs conjoints et leurs enfants, dans la perspective de proposer au Premier ministre d'inclure ou non ces structures dans la liste fixée par décret en application de l'article 3 de la loi du 23 février 2022. Ces travaux ne présentent donc qu'un caractère préparatoire à l'adoption d'un éventuel décret et l'association Génération Harkis et M. W... ne sont pas recevables à attaquer les passages incriminés devant le juge de l'excès de pouvoir, sans qu'ait d'incidence à cet égard, en tout état de cause, le fait que ces travaux comportent des appréciations sur le rôle de certaines personnes lors de la mise en place de ces structures.
7. En deuxième lieu, les requérants ne sont pas davantage recevables à attaquer devant le juge de l'excès de pouvoir les passages des pages 56 et 57 du rapport attaqué, dans lesquels la CNIH suggère d'étendre le périmètre de la loi du 23 février 2022 aux anciens supplétifs et rapatriés d'Indochine, cette recommandation n'étant pas de nature à produire des effets notables à leur égard ou d'influer de manière significative sur le comportement des personnes prenant connaissance du rapport attaqué. Il en va de même de l'annexe n° 4 du rapport attaqué, qui est l'analyse d'une historienne, directrice de recherche au centre national de la recherche scientifique (CNRS) et qui ne traduit aucune prise de position de la CNIH.
8. Il résulte de ce qui précède que le rapport attaqué n'a pas le caractère d'acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Le ministre des armées qui, contrairement à ce qui est soutenu, est compétent pour présenter un mémoire en défense relatif à un acte de la CNIH, est, par suite, fondé à soutenir que les conclusions tendant à son annulation sont entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance. Par suite, il y a lieu, en application des dispositions de l'article R. 351-4 du code de justice administrative citées au point 2, de rejeter la requête de l'association Générations Harkis et de M. W.... Cette requête étant irrecevable, les interventions présentées au soutien de celle-ci sont, pour ce motif, également irrecevables.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de Mme J... V..., Mme AM... AK..., Mme E... Q..., Mme U... O..., M. B... AF..., Mme I... M..., Mme Y... AI..., Mme X... O..., Mme L... K..., M. S... K..., M. H... ACNIH, Mme R... W..., Mme F... AC..., Mme N... AH..., M. AA... AB..., Mme AE... AJ..., Mme F... AJ..., M. A... AL..., Mme AG... AN..., M. G... AJ..., M. P... AJ..., Mme T... AJ... et Mme C... AJ... ne sont pas admises.
Article 2 : La requête de l'association Génération Harkis et M. W... est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Génération Harkis, première requérante dénommée et au ministre des armées.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Les intervenants pourront prendre connaissance de la présente décision sur le site Internet du Conseil d'Etat.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 décembre 2024 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 31 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Bertrand Dacosta
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie Delaporte
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq