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27/12/2024 | FRANCE | N°498210

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 27 décembre 2024, 498210


Vu la procédure suivante :



Par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 1er octobre et 3 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'association des avocats pénalistes demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite du 25 septembre 2024 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'abrogation des articles R. 621-34, R. 621-35 et R. 621-36 du code mon

taire et financier, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de l...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 1er octobre et 3 décembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, l'association des avocats pénalistes demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite du 25 septembre 2024 par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'abrogation des articles R. 621-34, R. 621-35 et R. 621-36 du code monétaire et financier, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 prise en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de l'association des avocats pénalistes et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes des dispositions du premier alinéa de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 18 septembre 2019 prise en application de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : " Pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et des faits susceptibles d'être qualifiés de délit contre les biens et d'être sanctionnés par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers en application de l'article L. 621-15, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter peut, sur demande motivée du secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, autoriser par ordonnance les enquêteurs de l'autorité à effectuer des visites en tous lieux ainsi qu'à procéder à la saisie de documents et au recueil, dans les conditions et selon les modalités mentionnées aux articles L. 621-10 et L. 621-11, des explications des personnes sollicitées sur place ".

3. Aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il résulte de ces dispositions le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Elles impliquent que la personne poursuivie ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'elle soit préalablement informée du droit qu'elle a de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

4. L'association des avocats pénalistes soutient que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, en ce qu'elles ne prévoient pas la notification de leur droit de se taire aux personnes dont les enquêteurs de l'Autorité des marchés financiers sollicitent les explications au cours des visites domiciliaires autorisées par le juge des libertés et de la détention, portent atteinte aux droits garantis par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

5. Les dispositions contestées du premier alinéa de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier sont applicables au présent litige. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte au principe énoncé au point 3 en ce qu'elles ne prévoient pas l'obligation de notification préalable de son droit de se taire à la personne dont les explications sont sollicitées sur leur fondement, qui pose notamment la question de savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure ce principe trouve à s'appliquer lors des enquêtes menées par une autorité administrative indépendante ou une autorité publique indépendante chargée d'une mission de régulation en vue de recueillir des éléments susceptibles d'être utilisés dans le cadre d'une procédure de sanction engagée ultérieurement, présente un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre ces dispositions.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du premier alinéa de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de l'association des avocats pénalistes jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association des avocats pénalistes, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à l'Autorité des marchés financiers.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 décembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Laurence Helmlinger, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 27 décembre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

Le rapporteur :

Signé : M. David Gaudillère

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 498210
Date de la décision : 27/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 déc. 2024, n° 498210
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. David Gaudillère
Rapporteur public ?: Mme Maïlys Lange
Avocat(s) : SCP SPINOSI ; SCP OHL, VEXLIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:498210.20241227
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