Vu la procédure suivante :
La commune de Villiers-le-Bâcle a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant de 181 501 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'insuffisance d'assujettissement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et d'une société qui lui est liée à la taxe foncière sur les propriétés bâties et à la taxe foncière sur les propriétés non bâties, au titre de l'année 2017, à raison de biens situés sur son territoire. Par un jugement n° 2002514 du 7 juillet 2022, ce tribunal a reconnu la responsabilité de l'Etat en ce qui concerne l'établissement des taxes foncières dues au titre de cette année par le CEA, renvoyé la commune de Villiers-le-Bâcle devant l'administration fiscale pour qu'il soit procédé à la liquidation de l'indemnisation de son préjudice et rejeté le surplus de ses demandes.
Par un arrêt n° 22VE01982 du 27 février 2024, la cour administrative d'appel de Versailles, faisant droit à l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a annulé les articles 2 à 4 de ce jugement et rejeté les demandes d'indemnisation présentées par la commune de Villiers-le-Bâcle en ce qui concerne l'établissement des taxes foncières dues par le CEA au titre de l'année 2017.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril et 23 juillet 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Villiers-le-Bâcle demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2 et 3 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de rejeter l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de la recherche ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la commune de Villiers-Le-Bâcle ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), ainsi que la société Technicatome qui lui est liée, sont propriétaires ou emphytéotes de biens immobiliers situés sur le territoire de la commune de Villiers-le-Bâcle. Estimant constitutives d'une faute les conditions dans lesquelles ont été déterminées les bases sur lesquelles cet établissement public et cette société ont été assujettis, au titre de 2017, à la taxe foncière sur les propriétés bâties et à la taxe foncière sur les propriétés non bâties, notamment, en ce qui concerne le CEA, en ne retenant que la valeur locative des immeubles regardés comme affectés, en tout ou partie, à une activité productive de revenus, la commune a demandé à l'Etat, par réclamation du 12 décembre 2019, le versement d'une indemnité en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'insuffisance de l'établissement des impositions devant lui revenir. Par un jugement du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de Versailles, après avoir rejeté les demandes d'indemnisation présentées par la commune de Villiers-le-Bâcle à raison de l'établissement des impositions locales dues par la société Technicatome, a condamné l'Etat à verser à cette commune, à raison de l'insuffisance des taxes foncières auxquelles le CEA a été assujetti, une indemnité dont il a déterminé les modalités de calcul et renvoyé cette commune devant l'administration fiscale pour qu'il en soit procédé à la liquidation. La commune de Villiers-le-Bâcle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 février 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur l'appel du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a annulé les articles 2 à 4 de ce jugement ayant ainsi fait droit aux conclusions présentées par la commune et a rejeté sa demande d'indemnisation à raison de l'insuffisance de l'établissement de la taxe foncière à laquelle le CEA a été assujetti au titre de l'année 2017.
2. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement ou de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard d'une collectivité territoriale ou de toute autre personne publique si elle lui a directement causé un préjudice. Un tel préjudice peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et notamment du fait de ne pas avoir versé à cette collectivité ou à cette personne des impôts ou taxes qui auraient dû être mis en recouvrement à son profit. L'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.
3. Le 1° de l'article 1382 du code général des impôts dispose que sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties " les immeubles nationaux, les immeubles régionaux, les immeubles départementaux pour les taxes perçues par les communes et par le département auquel ils appartiennent et les immeubles communaux pour les taxes perçues par les départements et par la commune à laquelle ils appartiennent, lorsqu'ils sont affectés à un service public ou d'utilité générale et non productifs de revenus (...) / (...) cette exonération n'est pas applicable aux immeubles qui appartiennent à des établissements publics autres que (...) les établissements publics scientifiques, d'enseignement et d'assistance (...) ni aux organismes de l'Etat, des départements ou des communes ayant un caractère industriel ou commercial ". En vertu du septième alinéa du 2° de l'article 1394 du code général des impôts, n'est pas applicable l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties que prévoit cet article, " aux propriétés des établissements publics autres que les établissements scientifiques, d'enseignement et d'assistance, ni à celles des organismes de l'Etat, des départements ou des communes, ayant un caractère industriel ou commercial (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 332-1 du code de la recherche : " Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives est un établissement à caractère scientifique, technique et industriel, doté de la personnalité morale ainsi que de l'autonomie administrative et financière ". Cet établissement, qui appartient à la catégorie des établissements publics à caractère industriel et commercial, n'entre pas dans le champ de ceux qui bénéficient, en application des articles 1382 et 1394 du code général des impôts, d'une exonération de taxe foncière de leurs propriétés bâties et non bâties affectées à un service public ou d'utilité générale et non productives de revenus.
4. La cour s'est fondée, pour juger que la circonstance que les services fiscaux n'avaient pas spontanément procédé à l'assujettissement à la taxe foncière du CEA à raison des immeubles et propriétés non productifs de revenus avant l'expiration du délai de reprise n'était pas, à elle seule, de nature à caractériser une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, sur l'absence de circonstances particulières qui auraient dû nécessairement conduire l'administration à réexaminer la situation de cet organisme.
5. Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la faute invoquée procédait non d'une abstention des services fiscaux à contrôler les éléments déclarés par le CEA, mais de l'application erronée par l'administration fiscale, au regard des textes cités au point 3, d'une exonération tenant au seul statut de cet établissement public. La cour, qui n'avait alors à rechercher ni si la commune avait signalé cette erreur dans le délai de reprise, ni s'il existait des circonstances particulières devant conduire à une rectification spontanée des bases d'imposition de l'assujetti, s'est fondée, pour écarter l'existence de cette faute, sur des circonstances inopérantes et a, par suite, entaché son arrêt d'une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède que la commune de Villiers-le-Bâcle est fondée à demander l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt qu'elle attaque.
7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à la commune de Villiers-le-Bâcle de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt du 27 février 2024 de la cour administrative d'appel de Versailles sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera à la commune de Villiers-le-Bâcle la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Villiers-le-Bâcle et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 décembre 2024 où siégeaient : M. Thomas Andrieu, président de chambre, présidant ; M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 23 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Thomas Andrieu
La rapporteure :
Signé : Mme Marie Prévot
Le secrétaire :
Signé : M. Aurélien Engasser