Vu la procédure suivante :
Par deux mémoires distincts, enregistrés le 7 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance
n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Hellio Solutions demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son recours tendant, à titre principal, à l'annulation de la décision du 5 juillet 2024 par laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 2 396 844 euros, l'annulation de certificats d'économies d'énergie d'un volume de 384 653 500 kWh cumac " classique " et de 2 397 900 kWh cumac " précarité énergétique ", la suspension de certaines de ses demandes de délivrance de certificats en cours et l'a mise en demeure d'acquérir dans le délai d'un mois un volume de certificats d'économies d'énergie égal à l'écart entre le solde de son compte et la sanction prononcée, et à ce qu'il soit enjoint au ministre de publier au Journal officiel la décision à intervenir, ou, à titre subsidiaire, à la réformation de la décision de sanction, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 3° de l'article L. 222-2 du code de l'énergie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'énergie ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,
- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Hellio Solutions ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de cet article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 222-1 du code de l'énergie : " Dans les conditions définies aux articles suivants, le ministre chargé de l'énergie peut sanctionner les manquements aux dispositions du chapitre Ier du présent titre ou aux dispositions réglementaires prises pour leur application ". Aux termes de l'article L. 222-2 du même code : " En cas de manquement à des obligations déclaratives, le ministre met l'intéressé en demeure de se conformer à ses obligations dans un délai déterminé. Il peut rendre publique cette mise en demeure. / Lorsque l'intéressé ne se conforme pas dans les délais fixés à cette mise en demeure ou lorsque des certificats d'économies d'énergie lui ont été indûment délivrés, le ministre chargé de l'énergie peut : / 1° Prononcer à son encontre une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et à la situation de l'intéressé, sans pouvoir excéder le double de la pénalité prévue au premier alinéa de l'article L. 221-4 par kilowattheure d'énergie finale concerné par le manquement et sans pouvoir excéder 4 % du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos, porté à 6 % en cas de nouveau manquement à la même obligation ; / 2° Le priver de la possibilité d'obtenir des certificats d'économies d'énergie selon les modalités prévues au premier alinéa de l'article L. 221-7 et à l'article L. 221-12 ; / 3° Annuler des certificats d'économies d'énergie de l'intéressé, d'un volume égal à celui concerné par le manquement ; / 4° Suspendre ou rejeter les demandes de certificats d'économies d'énergie faites par l'intéressé ; / 5° Annuler les certificats d'économies d'énergie acquis par les personnes qui n'ont pas mis en place ou qui ont mis en place de façon incomplète les dispositifs mentionnés à l'article L. 221-8. / Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article ". Il résulte de ces dispositions que le ministre chargé de l'énergie peut, en cas de manquement aux dispositions relatives aux certificats d'économies d'énergie, prononcer, dans le respect du principe de proportionnalité qui s'applique à toute sanction administrative et sous le contrôle du juge, une ou plusieurs des sanctions prévues à l'article L. 222-2 du code de l'énergie, parmi lesquelles, en application du 3°, l'annulation de certificats d'économies d'énergie d'un volume égal à celui concerné par le manquement. Les dispositions du 3° de l'article L. 222-2 du code de l'énergie n'ont cependant ni pour objet ni pour effet de lui permettre de prononcer l'annulation de l'ensemble des certificats d'économies d'énergie accordés au titre de l'opération affectée par le manquement, mais seulement celle d'un volume de certificats égal à celui concerné par ce manquement.
3. En premier lieu, la société requérante soutient que les dispositions du 3° de l'article L. 222-2 du code de l'énergie méconnaissent le principe d'individualisation des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, en tant qu'elles ne permettent pas au ministre chargé de l'énergie de moduler le volume des certificats d'économies d'énergie annulés en fonction de la gravité du manquement et de la situation de l'intéressé.
4. Le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 implique qu'une sanction administrative ne puisse être appliquée que si l'administration, sous le contrôle du juge, l'a expressément prononcée en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective des manquements. Il n'implique pas davantage que la peine soit exclusivement déterminée en fonction de la personnalité de l'auteur de l'infraction.
5. Il résulte des termes mêmes des dispositions de l'article L. 222-2 du code de l'énergie citées au point 2 que le législateur a assuré, par l'éventail des sanctions qu'il prévoit, la possibilité pour le ministre d'adapter la sanction prononcée à l'encontre de l'auteur de manquements commis à la législation sur les certificats d'économies d'énergie, à la gravité de ceux-ci, en fonction des circonstances de l'espèce. A cet égard, aucune disposition ni aucun principe de valeur constitutionnelle n'imposait au législateur de prévoir la possibilité d'une modulation de la sanction d'annulation de certificats prévue au 3° de cet article, laquelle, lorsqu'elle est appliquée, est par elle-même proportionnée au manquement. Par ailleurs, lorsque cette sanction est prononcée, le juge décide, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de la maintenir, soit d'en dispenser l'intéressé. Par suite, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines.
6. En second lieu, la société requérante soutient que les dispositions du 3° de l'article L. 222-2 du code de l'énergie méconnaissent le droit de propriété garanti par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en tant que la sanction d'annulation qu'elles prévoient porte sur d'autres certificats d'économies d'énergie que ceux concernés par le manquement, alors que ces certificats ont été délivrés au terme d'opérations conformes.
7. Toutefois, la disposition contestée constituant une sanction ayant le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la société requérante ne peut utilement invoquer la méconnaissance du droit de propriété.
8. Il résulte de ce qui précède que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas un caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la société Hellio Solutions.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Hellio Solutions et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,
Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas,
M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.
Rendu le 20 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Chatard
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Planchette
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :