Vu la procédure suivante :
M. B... A... et Mme E... D..., épouse A..., ont demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1801954 du
6 juillet 2020, ce tribunal a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 20MA03342 du 10 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. et Mme A... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 janvier et 5 avril 2023 et le 22 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,
- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. et Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que M. A..., qui était associé unique et gérant de l'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) A..., société soumise au régime d'imposition prévu à l'article 8 du code général des impôts, a conclu le 4 octobre 2013 un protocole d'accord portant notamment sur la cession de ses parts de l'EARL à M. C..., sous la condition que ce dernier obtienne l'aide à l'installation des jeunes agriculteurs. Après l'obtention de cette aide, il a été notamment décidé, lors d'une assemblée générale extraordinaire de l'EARL A... qui s'est tenue le 16 décembre 2013 et à laquelle participaient MM. A... et C..., d'autoriser le rachat par l'EARL de 875 des 2 000 parts détenues par M. A... (2ème résolution) ainsi que la cession des 1 125 parts restantes à M. C... (4ème résolution), auxquels il a été respectivement procédé par deux actes séparés du même jour, l'annulation des parts sociales rachetées par l'EARL suivie de la réduction du capital social à hauteur de leur valeur nominale (3ème résolution), l'arrêté d'un résultat intermédiaire au 15 décembre 2013, affecté entièrement à l'associé sortant M. A... et intégré dans la valeur vénale des parts de l'EARL (8ème résolution), le changement de la dénomination sociale de l'EARL A... en EARL de Lanven (9ème résolution) et, enfin, la modification de la date de clôture de l'exercice social, celle-ci étant désormais fixée non plus au 30 avril mais au 31 décembre (10ème résolution).
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'autre part, qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité de l'EARL de Lanven, l'administration fiscale a constaté, notamment, que le résultat réalisé au titre de l'exercice ouvert le 1er mai 2012 et clos le 31 décembre 2013 avait bénéficié de l'abattement de 100 % prévu en faveur des jeunes agriculteurs par l'article 73 B du code général des impôts. Constatant par ailleurs que
M. et Mme A... n'avaient porté, dans leur déclaration souscrite en vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2013, ni le résultat intermédiaire de l'EARL arrêté au 15 décembre 2013 et attribué à M. A..., ni la plus-value réalisée par celui-ci lors du rachat et de la cession de ses parts de l'EARL le 16 décembre 2013, l'administration a estimé, par une proposition de rectification du 15 décembre 2016, que les opérations effectuées dans le cadre de la transmission de l'EARL étaient constitutives d'un abus de droit visant à permettre à M. A... d'échapper à toute imposition sur ce résultat et cette plus-value. M. et Mme A... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013 à la suite de cette proposition de rectification, ainsi que des pénalités correspondantes, notamment la majoration de 80 % pour abus de droit. Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 10 novembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté leur appel formé contre le jugement du 6 juillet 2020 du tribunal administratif de Toulon rejetant leur demande.
Sur l'imposition des bénéfices agricoles de l'EARL A... arrêtés au 15 décembre 2013 :
3. Aux termes, d'une part, de l'article 8 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de l'article 6, les associés des sociétés en nom collectif et les commandités des sociétés en commandite simple sont, lorsque ces sociétés n'ont pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la part de bénéfices sociaux correspondant à leurs droits dans la société. (...) / Il en est de même, sous les mêmes conditions : / (...) / 5° De l'associé unique ou des associés d'une exploitation agricole à responsabilité limitée ; / (...) ". Il résulte de ces dispositions que les bénéfices réalisés par une société de personnes qui n'a pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux sont soumis à l'impôt sur le revenu entre les mains des associés présents dans la société à la date de clôture de l'exercice. Ces bénéfices sont réputés comprendre la rémunération que les intéressés perçoivent le cas échéant en raison de l'activité qu'ils déploient dans l'entreprise. Par suite, la rémunération versée à l'associé d'une société de personnes qui a cédé ses parts avant la date de clôture de l'exercice, à raison de l'activité qu'il a déployée dans l'entreprise avant son départ, constitue un élément du prix de cession de ces parts, prélevé par le cessionnaire sur la quote-part des bénéfices sociaux qui lui revient à la clôture de l'exercice.
4. Aux termes, d'autre part, de l'article 73 D du même code : " En cas de transmission ou de rachat des droits d'un associé, personne physique, dans une société mentionnée à l'article 8, qui exerce une activité agricole au sens de l'article 63 et qui est soumise obligatoirement au régime d'imposition d'après le bénéfice réel, l'impôt sur le revenu peut être immédiatement établi au nom de cet associé pour sa quote-part dans les résultats réalisés depuis la fin de la dernière période d'imposition jusqu'à la date de cet événement. Cette mesure s'applique sur demande conjointe de l'associé dont les titres sont transmis ou rachetés ou de ses ayants cause et du bénéficiaire de la transmission ou, en cas de rachat, des associés présents dans la société à la date du rachat. / (...) ". Ces dispositions prévoient, dans les conditions qu'elles énoncent, une faculté de déroger à la règle rappelée au point précédent en vertu de laquelle, pour l'imposition des résultats d'une société soumise au régime prévu à l'article 8 du code général des impôts, sont seuls redevables de l'impôt dû sur les résultats de l'exercice les associés présents dans la société à la clôture de l'exercice.
5. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'après avoir rappelé que les dispositions de l'article 73 D du code général des impôts mentionnées au point 4 permettent de retenir, pour l'imposition de l'associé d'une société soumise au régime prévu à l'article 8 du même code dont les titres sont transmis ou rachetés, un résultat intermédiaire à la date de cette transmission ou de ce rachat, la cour administrative d'appel a jugé que la 8ème résolution adoptée lors de l'assemblée générale extraordinaire de l'EARL A... du 16 décembre 2013, mentionnée au point 1, revêtait le caractère et emportait les effets de l'option prévue par l'article 73 D du code général des impôts, de sorte que les bénéfices agricoles de l'EARL arrêtés au 15 décembre 2013 auraient dû être imposés entre les mains de M. A.... En statuant ainsi, alors qu'il ressortait des termes mêmes de cette résolution que l'associé sortant de l'EARL et son nouvel associé avaient au contraire entendu, conformément aux règles rappelées au point 3, prélever sur les bénéfices sociaux devant revenir au nouvel associé à la clôture de l'exercice une somme destinée à rémunérer, sous la forme d'un complément du prix de rachat et de cession des parts de la société, l'activité déployée en son sein par l'associé sortant jusqu'à la date de ce rachat et de cette cession, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier.
Sur l'imposition de la plus-value réalisée lors du rachat et de la cession des parts de l'EARL A... le 16 décembre 2013 :
6. En second lieu, aux termes du I de l'article 73 B du même code, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Le bénéfice imposable des exploitants soumis à un régime réel d'imposition qui bénéficient des prêts à moyen terme spéciaux ou de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs prévus par les articles D. 343-9 à D. 343-16 du code rural et de la pêche maritime, est déterminé, au titre des soixante premiers mois d'activité, à compter de la date d'octroi de la première aide, sous déduction d'un abattement de 50 %. Cet abattement est porté à 100 % au titre de l'exercice en cours à la date d'inscription en comptabilité de la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs. / Ces exploitants peuvent demander l'application de l'abattement sur les bénéfices des exercices non prescrits, clos avant l'attribution de ces aides. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que le bénéfice imposable des exploitants agricoles qui, soumis à un régime réel d'imposition, ont obtenu les aides à l'installation des jeunes agriculteurs qu'elles mentionnent peut bénéficier du dispositif d'abattement qu'elles prévoient, y compris lorsque leur établissement procède de la reprise d'un fonds rural précédemment exploité par un autre agriculteur. Elles n'ont en revanche ni pour objet ni pour effet, dans une telle hypothèse, de permettre de faire échapper à l'impôt la plus-value réalisée lors de la transmission de ce fonds par l'agriculteur qui l'exploitait précédemment.
7. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour confirmer la position de l'administration selon laquelle les opérations effectuées dans le cadre de la transmission de l'EARL A... étaient constitutives d'un montage purement artificiel visant exclusivement à permettre à M. A... de faire échapper à toute imposition la plus-value réalisée lors du rachat et de la cession de ses parts de l'EARL et, par suite, caractérisaient un abus de droit, la cour administrative d'appel a estimé que celui-ci avait fait application du dispositif d'abattement sur les bénéfices des jeunes agriculteurs prévu par les dispositions de l'article 73 B du code général des impôts cité au point précédent. En statuant par de tels motifs, alors qu'ainsi qu'il vient d'être dit à ce même point 6, ces dispositions ne permettaient pas, en toute hypothèse, de faire échapper à l'impôt la plus-value réalisée par M. A... lors de la transmission de son exploitation agricole, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de leur pourvoi, que M. et Mme A... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. et Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 10 novembre 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M B... A..., représentant unique désigné, et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; ; M. Bertrand Dacosta,
Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas,
M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat, M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.
Rendu le 20 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Chatard
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Planchette
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :