Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner la région Réunion à lui verser une somme de 6 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de faits de harcèlement moral dans le cadre de ses fonctions, subsidiairement en raison de la privation en 2016-2017 de ses fonctions d'encadrement. Par un jugement n° 1701042 du 27 février 2020, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20BX02790 du 30 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le dossier de la requête de M. B... enregistrée le 24 août 2020 au greffe de cette cour.
Par cette requête, un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er décembre 2022, 20 mars et 11 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 27 février 2020 du tribunal administratif de La Réunion ;
2°) de mettre à la charge de la région Réunion la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 2007-913 du 15 mai 2007 et le décret n° 2016-1372 du 12 octobre 2016 qui l'a modifié ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau, Tapie, avocat de A... B... et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la région Réunion ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par courrier du 26 juillet 2017, M. B..., adjoint technique territorial principal des établissements d'enseignement de 1ère classe, affecté depuis 2012 au lycée Marie-Curie à Sainte-Anne (La Réunion), a sollicité le versement d'une somme de 6 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis à raison d'une modification temporaire de ses fonctions, d'une part, et d'une situation de harcèlement moral dans l'exercice de celles-ci, d'autre part, au cours de l'année 2016 et jusqu'à la rentrée scolaire 2017. Par un courrier du 26 septembre 2017, la région Réunion a rejeté sa demande. M. B... se pourvoit en cassation contre le jugement du 27 février 2020 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Lorsque, par suite des indications erronées portées sur la notification d'un jugement rendu en premier et dernier ressort, un requérant a formé un appel motivé devant la cour administrative d'appel, que celle-ci a transmis son recours au Conseil d'Etat en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative et que le requérant a été invité à faire régulariser son pourvoi par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation en application des articles R. 612-1 et R. 821-3 du même code, le délai de deux mois à l'issue duquel le requérant n'est plus recevable à invoquer une cause juridique distincte court à compter de la réception par celui-ci de cette demande de régularisation.
3. Le jugement du 27 février 2020, rendu en premier et dernier ressort par le tribunal administratif de La Réunion, a été notifié à M. B... le 29 février 2020 avec l'indication erronée d'une voie de recours devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. A l'appui de son appel formé le 24 août 2020 contre ce jugement, M. B... n'a invoqué que des moyens contestant le bien-fondé du jugement attaqué, l'allégation selon laquelle le tribunal aurait statué sur l'un des moyens de première instance " sans vraiment le motiver ", qui n'était formulée qu'à l'appui de la critique du bien-fondé de ce jugement, ne pouvant être regardée comme constituant un moyen relatif à la régularité de ce jugement. Par courrier reçu le 13 janvier 2023, après que la cour administrative d'appel a transmis le dossier au Conseil d'Etat, M. B... a été invité à faire régulariser son pourvoi par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ce qu'il a fait le 20 janvier suivant. Le mémoire complémentaire dans lequel M. B... a invoqué, devant le Conseil d'Etat, d'une part, le moyen tiré de ce que le jugement du tribunal administratif est entaché d'irrégularité en ce que l'avis d'audience qui lui a été adressé ne comportait pas l'indication des modalités selon lesquelles il pouvait prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public, en méconnaissance des exigences de l'article R. 711-2 du code de justice administrative, et, d'autre part, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de ce jugement faute pour le tribunal d'avoir répondu à l'ensemble des griefs invoqués au titre du harcèlement moral, a été enregistré le 20 mars 2023, soit plus de deux mois après la réception de la demande de régularisation. Ces moyens, qui relèvent d'une cause juridique distincte de celle dont relèvent les moyens que M. B... avait invoqués dans les délais, sont, par suite, irrecevables.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 12 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors applicable : " Le grade est distinct de l'emploi. / Le grade est le titre qui confère à son titulaire vocation à occuper l'un des emplois qui lui correspondent. / (...) ". Aux termes du III de l'article 4 du décret du 15 mai 2007 portant statut particulier du cadre d'emplois des adjoints techniques territoriaux des établissements d'enseignement, dans sa rédaction applicable entre le 5 septembre 2016, date à laquelle ont été redéfinies les fonctions de M. B... et le 31 décembre 2016 : " (...) / III. - Les adjoints techniques territoriaux principaux de 2ème et de 1ère classe des établissements d'enseignement sont appelés à exécuter des travaux ouvriers ou techniques nécessitant une qualification approfondie. / Ils sont chargés de la conduite des travaux confiés à un groupe d'adjoints techniques territoriaux des établissements d'enseignement. / Ils peuvent être chargés de diriger les équipes mobiles d'adjoints techniques territoriaux des établissements d'enseignement. / Ils peuvent être chargés de travaux d'organisation et de coordination ".
5. D'une part, il ne résulte pas de ces dispositions, et notamment de celles relatives à la " conduite des travaux confiés à un groupe d'adjoints ", que les adjoints techniques territoriaux principaux des établissements d'enseignement devaient nécessairement, à la date à laquelle ont été modifiées les fonctions de M. B..., être chargés de missions d'encadrement d'autres adjoints techniques comprenant, comme il l'invoquait devant le tribunal, la gestion de leur emploi du temps, l'organisation du travail, la répartition des missions, la prise en charge des commandes, la distribution du matériel ou encore le contrôle des tâches. Par suite, en jugeant que le statut de M. B... n'impliquait pas que lui soient confiées de telles missions d'encadrement, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit.
6. D'autre part, M. B... se prévalait uniquement, à l'appui de sa demande indemnitaire fondée sur l'illégalité de la modification temporaire de ses fonctions, de la méconnaissance des dispositions statutaires précitées. Il saurait donc utilement soutenir, pour la première fois en cassation, que cette modification était contraire aux dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.
7. En second lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dans sa rédaction applicable au litige, actuellement repris aux articles L. 133-2 et L. 133-3 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel./ Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa (...) ". Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
8. D'une part, à l'appui de sa demande indemnitaire au titre du harcèlement moral dont il soutenait avoir fait l'objet, M. B..., qui citait la décision de changement temporaire d'affectation dont il a fait l'objet parmi les autres mesures caractérisant selon lui l'existence d'un tel harcèlement moral, ne soutenait pas qu'elle aurait été prise en méconnaissance des deuxième et troisième alinéas de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, ni qu'elle aurait été prise en réponse à un ensemble de faits suffisant à caractériser un harcèlement moral de la part des agents qu'il encadrait. Dès lors, en ne se prononçant pas sur l'existence d'un tel harcèlement, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit.
9. D'autre part, M. B... ne saurait sérieusement soutenir que le tribunal administratif aurait omis de tenir compte de l'ensemble des griefs qu'il faisait valoir au seul motif que le rappel de ceux-ci, au point 3 du jugement attaqué, est précédé de l'adverbe " notamment ". Il ne ressort pas non plus des énonciations de ce jugement que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de reprendre expressément le détail de l'argumentation des parties, n'aurait pas recherché si les faits dénoncés, pris dans leur ensemble, permettaient ou non de caractériser une situation de harcèlement moral. Par suite, le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait commis, sur ces points, une erreur de droit, doit également être écarté.
10. Enfin, pour juger que M. B... n'était pas fondé à rechercher la responsabilité de la région Réunion à raison de faits de harcèlement moral qu'il dénonçait, le tribunal, après avoir résumé les agissements dont M. B... soutenait qu'ils révélaient un tel harcèlement, à savoir les carences de son employeur dans la gestion du conflit qui l'opposait à deux de ses subordonnés et le caractère défavorable pour lui des mesures prises, telles que la modification temporaire de ses attributions, se traduisant par la perte pendant quelques mois des fonctions d'encadrement qu'il exerçait antérieurement ou son déménagement dans un autre bâtiment, puis avoir mentionné les conséquences de ces mesures sur son état de santé, a relevé, au regard des éléments produits par l'administration en défense, que la situation conflictuelle dans le service avait eu un fort impact sur le fonctionnement de ce dernier du fait du refus des subordonnés de M. B... de servir en sa présence, que la nouvelle organisation du travail décidée en septembre 2016, qui confiait temporairement à M. B... des missions n'impliquant pas d'encadrement, avait pour seul objet de désamorcer cette crise et de le protéger, que l'administration avait fait preuve de vigilance dans le suivi de la situation et qu'elle avait mis fin aux mesures prises dès que la situation l'avait permis et, enfin, que la région Réunion avait soutenu M. B... dans son choix de se maintenir dans son affectation au lycée Marie-Curie à Saint-Anne. En déduisant de ces constatations que les faits dénoncés n'étaient pas constitutifs de harcèlement moral, et que M. B... n'était pas fondé à demander réparation au titre d'un tel harcèlement, le tribunal n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de La Réunion du 27 février 2020.
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme demandée par la région Réunion au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la région Réunion, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. B... est rejeté.
Article 2 : Les conclusions de la région Réunion présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la région Réunion.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 novembre 2024 où siégeaient : M. Stéphane Verclytte, président de chambre, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 20 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Stéphane Verclytte
La rapporteure :
Signé : Mme Muriel Deroc
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova