Vu les procédures suivantes :
M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision du 22 décembre 2017 par laquelle le maire d'Auriol (Bouches-du-Rhône) a rejeté sa demande tendant au rétablissement de la circulation publique sur le chemin rural de la Vède aux Estiennes et, d'autre part, d'enjoindre à la commune d'Auriol de rétablir l'assiette intégrale du chemin rural jusqu'à son extrémité et sa jonction avec le chemin des Estiennes, ainsi que d'autoriser le passage sur la totalité de ce chemin, de le remettre en état pour permettre le passage des véhicules à moteur et de remplacer le panneau de signalisation installé à l'entrée du chemin des Estiennes qui n'est pas conforme à sa dénomination. Par un jugement n° 1801537 du 16 avril 2020, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 20MA02011 du 23 septembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de M. D..., d'une part, annulé ce jugement et la décision du 22 décembre 2017 du maire d'Auriol et, d'autre part, enjoint au maire d'Auriol de faire usage de ses pouvoirs de police afin de rétablir la circulation sur le chemin rural au droit des parcelles cadastrées n° 110, 54, 55 et 60, dans un délai de deux mois.
1° Sous le numéro 469108, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 novembre 2022, 20 février et 19 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune d'Auriol demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. D... ;
3°) de mettre à la charge de M. D... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le numéro 469129, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 novembre 2022, 24 février et 21 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme C... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. D... ;
3°) de mettre à la charge de M. D... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune d'Auriol, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. D... et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. et Mme C... ;
Vu les notes en délibéré, enregistrées le 22 novembre 2024, présentées par M. D... dans chacune des instances ;
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois de la commune d'Auriol et de M. et Mme C... sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. La commune d'Auriol, d'une part, et M. et Mme C..., d'autre part, se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 23 septembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le jugement du tribunal administratif de Marseille du 16 avril 2020, ainsi que la décision du 22 décembre 2017 du maire d'Auriol rejetant la demande de M. D... tendant à ce que soit rétablie la circulation publique sur la partie du chemin de Vède aux Estiennes fermée par un portail, et a enjoint au " maire d'Auriol de faire usage de ses pouvoirs de police afin de rétablir la circulation sur le chemin rural au droit des parcelles cadastrées n° 110, 54, 55 et 60 ".
Sur la recevabilité du pourvoi de M. et Mme C...
3. D'une part, la voie du recours en cassation n'est ouverte, en vertu des règles générales de la procédure, qu'aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée. Doit être regardée comme une partie à l'instance devant les juges du fond la personne qui a été invitée par la juridiction à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre la décision rendue par les juges du fond.
4. D'autre part, aux termes de l'article R. 832-1 du code de justice administrative : " Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. "
5. Il ressort des pièces de la procédure que M. et Mme C... ont été appelés par la cour administrative d'appel de Marseille à présenter des observations dans l'instance. Ils avaient, en leur qualité de propriétaires des parcelles au droit desquelles un portail a été installé sur le chemin litigieux, des intérêts propres à défendre dans cette instance relative au refus du maire de rétablir la circulation publique sur ce chemin. Ces intérêts ne sont pas de même nature que ceux que la commune défendait et, par suite, M. et Mme C... n'auraient pu être regardés comme ayant été représentés par celle-ci s'ils n'avaient pas été invités par la cour à présenter des observations, de sorte qu'ils auraient eu qualité pour former tierce opposition contre l'arrêt attaqué. Dès lors, M. et Mme C... sont recevables à contester l'arrêt qu'ils attaquent.
Sur l'intervention de M. et Mme C... au soutien du pourvoi de la commune d'Auriol
6. Les conclusions du pourvoi de la commune d'Auriol sont identiques à celles du pourvoi de M. et Mme C.... Dès lors, l'intervention de ces derniers à leur soutien est recevable.
Sur le bien-fondé des pourvois de la commune d'Auriol et de M. et Mme C...
7. D'une part, aux termes de l'article L. 161-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune. " Selon l'article L. 161-2 du même code : " L'affectation à l'usage du public est présumée, notamment par l'utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l'autorité municipale. (...) ". En vertu de l'article L. 161-3 du même code : " Tout chemin affecté à l'usage du public est présumé, jusqu'à preuve du contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé ". L'article L. 161-4 du même code dispose : " Les contestations qui peuvent être élevées par toute partie intéressée sur la propriété ou sur la possession totale ou partielle des chemins ruraux sont jugées par les tribunaux de l'ordre judiciaire ". Enfin, selon l'article L. 161-5 du même code : " L'autorité municipale est chargée de la police et de la conservation des chemins ruraux ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 162-1 du même code : " Les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés. L'usage de ces chemins peut être interdit au public " et, en vertu de l'article L. 162-5 de ce code : " Les contestations relatives à la propriété et à la suppression des chemins et sentiers d'exploitation ainsi que les difficultés relatives aux travaux prévus à l'article L. 162-2 sont jugées par les tribunaux de l'ordre judiciaire ".
8. D'autre part, aux termes de l'article R. 771-2 du code de justice administrative : " Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction judiciaire, la juridiction administrative initialement saisie la transmet à la juridiction judiciaire compétente. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ".
9. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le litige porte sur une fraction de chemin reliant le chemin des Estiennes, au sud, et le chemin de Vède aux Estiennes, au nord, traversant le hameau des Estiennes et longeant à l'ouest les parcelles cadastrées 54, 55 et 110 appartenant à M. et Mme C.... Par un arrêt du 27 septembre 2006, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, saisie d'un différend sur l'entretien de cette fraction de chemin entre les propriétaires riverains, n'a pu se prononcer sur sa nature de chemin rural soutenue par une association syndicale autorisée intervenante, faute de mise en cause de la commune, mais a retenu l'existence d'un chemin d'exploitation entre le chemin des Estiennes, au sud, et le chemin de Vède aux Estiennes, au nord, sans toutefois entériner son assiette à l'ouest des parcelles cadastrées 54, 55 et 110 alors qu'un autre chemin dont elle a jugé qu'il n'était pas établi qu'il n'était pas carrossable était accessible à l'est de ces parcelles. Par suite, en estimant, d'une part, que les témoignages et courriers produits par M. D... suffisaient à établir l'affectation à l'usage du public de la fraction de chemin identifiée par M. D... et, d'autre part, que la pose, en 1970, de canalisations d'eau sous ce chemin était, à elle seule, révélatrice d'actes réitérés de surveillance ou de voirie de la part de l'autorité municipale au sens de l'article L. 161-2 du code rural et de la pêche maritime, et qu'en conséquence, la question de sa propriété et de sa qualification de chemin rural ne présentait pas une difficulté sérieuse qu'il y avait lieu de soumettre, par la voie d'une question préjudicielle, au juge judiciaire, alors que la commune contestait son affectation à l'usage public et, partant, sa propriété et qu'aux termes de son arrêt du 27 septembre 2006 dont la commune pouvait se prévaloir quand bien même elle n'était pas partie à cette instance, la cour d'appel d'Aix-en-Provence n'avait ni jugé qu'il constituait un chemin rural, ni même admis l'assiette d'un chemin d'exploitation à l'ouest des parcelles cadastrées 54, 55 et 110, la cour administrative d'appel de Marseille a donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée.
10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, la commune d'Auriol et M. et Mme C... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que des sommes soient mises à la charge de la commune d'Auriol et de M. et Mme C..., qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. D... le versement de la somme de 1 500 euros à la commune d'Auriol et de la somme de 1 500 euros à M. et Mme C..., au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de M. et Mme C... au soutien du pourvoi de la commune d'Auriol est admise.
Article 2 : L'arrêt du 23 septembre 2022 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 3 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 4 : M. D... versera une somme de 1 500 euros à la commune d'Auriol et une somme de 1 500 euros à M. et Mme C..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par M. D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune d'Auriol, à M. A... C..., premier requérant dénommé, et à M. B... D....
Délibéré à l'issue de la séance du 21 novembre 2024 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et M. Christophe Barthélemy, conseiller d'Etat en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 20 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
Le rapporteur :
Signé : M. Christophe Barthélemy
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet