Vu la procédure suivante :
D'une part, M. B... D... et Mme A... D... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge ou, à titre subsidiaire, la réduction de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2015, ainsi que des pénalités correspondantes. D'autre part, l'administration fiscale a soumis d'office à ce même tribunal, sur le fondement de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales, la réclamation présentée par M. et Mme D... ayant le même objet. Par un jugement nos 1901278, 2000525 du 29 mars 2022, ce tribunal, après avoir joint ces deux demandes, les a rejetées.
Par un arrêt n° 22LY01618 du 15 février 2024, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par M. et Mme D... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 avril, 13 juin et 22 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme D... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat de M. et Mme D... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B... D... a cédé, le 26 septembre 2012, 4 150 titres de la société par actions simplifiée L'Igloo, réalisant une plus-value de cession de 2 081 698 euros. Il a sollicité, à l'occasion de la déclaration de revenus qu'il a souscrite conjointement avec son épouse au titre de l'année 2012, à raison de cette plus-value, le bénéfice du report d'imposition prévu par l'article 150-0 D bis du code général des impôts. A l'issue d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a remis en cause le bénéfice de ce report d'imposition au motif que la condition, prévue par ces dispositions, de réinvestissement, dans un délai de trente-six mois suivant la cession, d'au moins 80 % du montant de la plus-value net de prélèvements sociaux, n'avait pas été respectée et a assujetti en conséquence M. et Mme D... à une cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu au titre de l'année 2015. Après avoir formé en vain une réclamation contre les impositions supplémentaires et pénalités demeurant à leur charge après que l'administration eut ramené à 10 % le montant des majorations précédemment appliquées au taux de 80 %, M. et Mme D... ont porté le litige devant le tribunal administratif de Grenoble, lequel a, par un jugement du 29 mars 2022, rejeté leur demande de décharge et, subsidiairement, de réduction de ces impositions et pénalités. M. et Mme D... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 15 février 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel qu'ils avaient formé contre ce jugement.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue de l'article 80 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 : " I. - 1. L'imposition de la plus-value retirée de la cession à titre onéreux d'actions ou de parts de sociétés ou de droits démembrés portant sur ces actions ou parts peut être reportée si les conditions prévues au II sont remplies (...) / II. - Le bénéfice du report d'imposition prévu au 1 du I est subordonné au respect des conditions suivantes : (...) / 2° La société dont les actions, parts ou droits sont cédés : / a) Est passible de l'impôt sur les sociétés ou d'un impôt équivalent ou soumise sur option à cet impôt ; / b) Exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l'exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier, ou a pour objet social exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités précitées. Cette condition s'apprécie de manière continue pendant les huit années précédant la cession ; / c) A son siège social dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ; / 3° Le report d'imposition est, en outre, subordonné au respect des conditions suivantes : / a) Le produit de la cession des titres ou droits doit être investi dans un délai de trente-six mois et à hauteur de 80 % du montant de la plus-value net des prélèvements sociaux, dans la souscription en numéraire au capital initial ou dans l'augmentation de capital en numéraire d'une société ; / b) La société bénéficiaire de l'apport doit exercer l'une des activités mentionnées au b du 2° du présent II et répondre aux conditions prévues aux a et c du même 2° (...) / d) Les titres représentatifs de l'apport en numéraire doivent être détenus directement et en pleine propriété par le contribuable pendant au moins cinq ans (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que le bénéfice du report d'imposition qu'elles prévoient est subordonné au réinvestissement, dans un délai de trente-six mois, d'au moins 80 % du montant, net de prélèvements sociaux, de la plus-value réalisée dans la souscription au capital initial ou dans l'augmentation de capital d'une ou de plusieurs sociétés exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l'exception de la gestion de leur propre patrimoine mobilier ou immobilier.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. D... a constitué le 5 juin 2014 la société Quartz PC, dont l'objet social exclusif est de prendre des participations dans des sociétés exerçant des activités industrielles ou commerciales au sens de l'article 150-0 D bis du code général des impôts et au capital de laquelle il a apporté une somme de 1 420 000 euros. Dans leur déclaration de revenus souscrite au titre de l'année 2014, M. et Mme D... ont désigné cette société comme la bénéficiaire du réinvestissement du montant, net de prélèvements sociaux, de la plus-value réalisée à l'occasion de la cession, le 26 septembre 2012, des titres de la société L'Igloo. Dès lors que cette société avait pour objet la gestion de son propre patrimoine mobilier, M. et Mme D... ne pouvaient être regardés comme ayant satisfait à la condition, rappelée au point 3, de réinvestissement d'au moins 80 % de cette plus-value dans le capital de sociétés exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que la société Quartz PC ait elle-même réinvesti tout ou partie de la somme apportée par M. D... dans le capital de sociétés poursuivant de telles activités.
5. Ce motif de pur droit, exclusif de toute appréciation de fait de la part du juge de cassation, doit être substitué à celui retenu par la cour administrative d'appel au point 4 de l'arrêt attaqué, dont il justifie sur ce point le dispositif. Le moyen du pourvoi dirigé contre le motif retenu par l'arrêt attaqué est par suite inopérant et ne peut qu'être écarté.
6. En second lieu, aux termes du III de l'article 150-0 D bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Le non-respect de l'une des conditions prévues au II du présent article entraîne l'exigibilité immédiate de l'impôt sur la plus-value, sans préjudice de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727, décompté de la date à laquelle cet impôt aurait dû être acquitté (...) ".
7. Les dispositions de l'article 150-0 D bis du code général des impôts ont pour seul effet de permettre, par dérogation à la règle selon laquelle le fait générateur de l'imposition d'une plus-value est constitué au cours de l'année de sa réalisation, de constater et de calculer, dans les cas qu'il mentionne, la plus-value de cession des titres l'année de sa réalisation et de l'imposer l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition, lequel peut résulter de la méconnaissance de l'une des conditions prévues au II de cet article. Le montant de la plus-value est ainsi calculé en appliquant les règles d'assiette en vigueur l'année de sa réalisation, mais son imposition obéit aux règles de liquidation de l'impôt en vigueur l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition.
8. Par suite, après avoir relevé que le délai de trente-six mois au terme duquel devait être effectué le réinvestissement prévu par l'article 150-0 D bis du code général des impôts avait expiré en 2015, sans que cette condition ait été satisfaite à cette échéance, c'est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé que la plus-value mise en report devait être imposée au titre de l'année 2015, selon les règles de calcul de l'impôt applicables à cette même année.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de M. et Mme D... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... C... veuve D... et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Benjamin Duca-Deneuve, auditeur-rapporteur.
Rendu le 19 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Benjamin Duca-Deneuve
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle