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19/12/2024 | FRANCE | N°490952

France | France, Conseil d'État, Section, 19 décembre 2024, 490952


Vu la procédure suivante :



Le président du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires a porté plainte contre M. B... A... devant la chambre régionale de discipline du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires. Par une décision du 10 janvier 2020, la chambre régionale de discipline a infligé à M. A... la sanction de la suspension du droit d'exercer la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une durée de deux ans.



Par une ordonnance du 20 novembre 2020, le président

de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a rejeté l'appel form...

Vu la procédure suivante :

Le président du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires a porté plainte contre M. B... A... devant la chambre régionale de discipline du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires. Par une décision du 10 janvier 2020, la chambre régionale de discipline a infligé à M. A... la sanction de la suspension du droit d'exercer la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une durée de deux ans.

Par une ordonnance du 20 novembre 2020, le président de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a rejeté l'appel formé par M. A... contre cette décision.

Par une décision n° 448999 du 22 juillet 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé cette ordonnance et renvoyé l'affaire devant la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires.

Par une décision du 8 novembre 2023, la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires a annulé la décision du 10 janvier 2020 de la chambre régionale de discipline du Centre-Val-de-Loire et infligé à M. A... la sanction de la suspension du droit d'exercer la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une durée de deux ans.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 16 janvier, 6 mars, 27 juin et 29 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision en tant qu'elle lui inflige une sanction ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le règlement (UE) n° 37/2010 de la Commission du 22 décembre 2009 ;

- le règlement d'exécution (UE) 2015/262 de la Commission du 17 février 2015 ;

- la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de la santé publique ;

- l'arrêté du 31 mai 2016 fixant des mesures de prévention, de surveillance et de lutte contre la rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR) ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,

- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de M. A..., et au cabinet Rousseau, Tapie, avocat du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 décembre 2024, présentée par M. A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, sur la plainte du président du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires, la chambre régionale de discipline du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires, par une décision du 10 janvier 2020, a infligé à M. A..., vétérinaire, la sanction de la suspension du droit d'exercer sa profession sur tout le territoire national pendant une durée de deux ans. Par une décision du 8 novembre 2023, la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires - dont une première décision avait été annulée par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, qui lui avait renvoyé le jugement de l'affaire au fond - a, sur appel de M. A..., annulé la décision de première instance et infligé à ce professionnel la même sanction qu'en première instance. M. A... demande au Conseil d'Etat l'annulation de cette décision en tant qu'elle lui inflige cette sanction.

Sur le pourvoi :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. " Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

3. Ces exigences impliquent qu'une personne faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'elle soit préalablement informée du droit qu'elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu'elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l'ordre administratif. A ce titre, elle doit être avisée qu'elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l'instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d'appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information.

4. Il s'ensuit, d'une part, que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d'irrégularité si la personne poursuivie comparaît à l'audience sans avoir été au préalable informée du droit qu'elle a de se taire, sauf s'il est établi qu'elle n'y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier. D'autre part, pour retenir que la personne poursuivie a commis des manquements et lui infliger une sanction, la juridiction disciplinaire ne peut, sans méconnaître les exigences mentionnées aux points 2 et 3, se déterminer en se fondant sur les propos tenus par cette personne lors de son audition pendant l'instruction si elle n'avait pas été préalablement avisée du droit qu'elle avait de se taire à cette occasion.

5. En second lieu, aux termes de l'article R. 242-94 du code rural et de la pêche maritime : " Le secrétaire général en charge du greffe de la chambre régionale de discipline [de l'ordre des vétérinaires] accuse réception de la plainte. Il notifie à la personne poursuivie, dans les meilleurs délais, les faits qui lui sont reprochés et l'informe qu'elle peut être assistée d'un avocat ou d'un vétérinaire inscrit au tableau de l'ordre (...) / Pour l'instruction de l'affaire, un rapporteur est nommé par le président de la chambre régionale de discipline parmi les conseillers ordinaux du conseil régional dont dépend administrativement la personne poursuivie. (...) ". Aux termes de l'article R. 242-95 du même code : " I. - Le rapporteur conduit l'instruction, dans le respect des principes de contradiction et d'impartialité. / II. - Il engage sans délai une procédure de conciliation, sauf s'il dispose d'un procès-verbal constatant l'impossibilité de celle-ci, ou si le plaignant est un président de conseil de l'ordre, le préfet ou le procureur de la République. / Dans le cas où une solution amiable est trouvée, le rapporteur transmet le procès-verbal de conciliation au président du conseil régional et au président de la chambre régionale de discipline. Cette transmission n'est pas susceptible de recours. / En cas de procès-verbal de non-conciliation, le rapporteur procède à l'enquête disciplinaire. / III. - Le rapporteur a qualité pour entendre les parties, recueillir tous témoignages et procéder à toutes constatations utiles à la manifestation de la vérité. Il peut demander aux parties toutes pièces ou tous documents utiles à l'examen du litige. / (...) / IV. - Lors de son enquête, le rapporteur dresse un procès-verbal de chaque audition. Il est donné lecture à chaque partie ou chaque témoin de ses déclarations. Le procès-verbal est signé par le rapporteur et la personne entendue ou mention est faite qu'il ne peut ou ne veut pas signer. (...) / Le rapport mentionne les diligences accomplies, les déclarations des parties, établit un exposé objectif des faits, et souligne les divergences entre les parties. Il est accompagné des procès-verbaux d'audition des personnes entendues, des constats réalisés, des pièces de la procédure et de leurs bordereaux. ". Le dernier alinéa de cet article prévoit, dans sa rédaction qui était applicable à la procédure qui s'est tenue devant la chambre régionale de discipline du Centre-Val-de-Loire, que le " rapporteur remet son rapport sur support papier et support dématérialisé au secrétaire général en charge du greffe de la chambre régionale de discipline qui le transmet au président de la chambre régionale de discipline et au président du conseil régional de l'ordre " et, dans sa rédaction applicable à la procédure devant la chambre nationale de discipline ayant conduit au prononcé de la décision du 8 novembre 2023, que le " rapporteur remet son rapport sur support papier et support dématérialisé au secrétaire général en charge du greffe de la chambre régionale de discipline qui le transmet au président de la chambre régionale de discipline. Ce rapport est communiqué au président du conseil régional de l'ordre, au plaignant et à la personne poursuivie, en annexe à la convocation à l'audience. Ceux-ci peuvent prendre connaissance des pièces qui l'accompagnent dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article R. 242-99. "

6. Par ailleurs, l'article R. 242-102 du code rural et de la pêche maritime dispose que " Le président de la chambre dirige les débats. La chambre entend le rapporteur en la lecture de son rapport " et que " l'auteur de la plainte est entendu ainsi que le président du conseil de l'ordre en ses demandes de peines disciplinaires. / Le président de la chambre régionale procède à l'interrogatoire de la personne poursuivie qui, sauf motif légitime, comparaît en personne, assistée conformément à l'article R. 242-98. Le président recueille ensuite toutes auditions et tous témoignages qu'il estime nécessaires. (...) / Tout membre de la chambre de discipline peut poser toute question par l'intermédiaire du président. / La personne poursuivie a la parole en dernier. "

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 que le vétérinaire doit, dans le cadre des procédures engagées en vertu des dispositions citées aux points 5 et 6, être informé du droit qu'il a de se taire dans les conditions précisées au point 3. En revanche, une telle information n'a pas à lui être dispensée à l'occasion de la conciliation prévue par les dispositions, citées au point 5, du II de l'article R. 242-95 du code rural et de la pêche maritime, eu égard à l'objet d'une telle conciliation et à ce que les propos qui y sont tenus ne sauraient être ultérieurement utilisés dans la procédure disciplinaire.

8. Il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que pour retenir que M. A... avait commis les manquements qui lui étaient reprochés, la chambre nationale de discipline s'est déterminée en se fondant sur la circonstance qu'il avait reconnu les faits en cause lors de son audition par le rapporteur désigné pour conduire l'instruction par la juridiction de première instance. En statuant ainsi, alors, d'une part, que M. A... soutenait qu'il n'avait pas été préalablement informé du droit qu'il avait de se taire avant cette audition et, d'autre part, qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qui lui était soumis qu'une telle information lui avait été délivrée, la chambre nationale de discipline a, au regard de ce qui a été dit aux points 2 et 3, commis une erreur de droit.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. A... est fondé à demander l'annulation de la décision de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires qu'il attaque en tant qu'elle lui inflige la sanction de la suspension du droit d'exercer sa profession sur tout le territoire national pendant une durée de deux ans.

10. Aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'Etat peut (...) régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie. / Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond en application du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de statuer immédiatement sur la plainte formée par le président du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires à l'encontre de M. A..., en se fondant sur cette plainte, à laquelle étaient joints le courrier de signalement du 6 avril 2018 adressé par la préfète du Cher à ce dernier, le courrier d'avertissement du 15 mars 2018 de la préfète du Cher adressé à M. A... et les ordonnances des 4 juin et 6 juillet 2016, et en écartant les pièces issues de l'instruction conduite par les rapporteurs - qui comprennent notamment une audition de M. A... - en raison de l'absence d'information de M. A... sur le droit qu'il avait de se taire.

Sur la plainte formée par le président du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires :

En ce qui concerne les manquements reprochés à M. A... :

11. En premier lieu, de première part, s'agissant du diagnostic vétérinaire, aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 242-3 du code rural et de la pêche maritime, le code de déontologie vétérinaire " établit notamment les principes à suivre en matière de prescription de médicaments à usage vétérinaire ". Aux termes de l'article R. 242-43 du même code : " Règles d'établissement du diagnostic vétérinaire. / Le diagnostic vétérinaire a pour objet de déterminer l'état de santé d'un animal ou d'un ensemble d'animaux ou d'évaluer un risque sanitaire. / Le vétérinaire établit un diagnostic vétérinaire à la suite de la consultation comportant notamment l'examen clinique du ou des animaux. Toutefois, il peut également établir un diagnostic lorsqu'il exerce une surveillance sanitaire et dispense régulièrement ses soins aux animaux en respectant les règles prévues en application de l'article L. 5143-2 du code de la santé publique ou lorsqu'il surveille l'exécution du programme sanitaire d'élevage mentionné à l'article L. 5143-7 du même code. / Dans tous les cas, il est interdit au vétérinaire d'établir un diagnostic vétérinaire sans avoir au préalable procédé au rassemblement des commémoratifs nécessaires et sans avoir procédé aux examens indispensables. ".

12. De deuxième part, s'agissant de la prescription des médicaments vétérinaires, aux termes de l'article R. 242-44 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Principes à suivre en matière de prescription de médicaments. / Toute prescription de médicaments mentionnés à l'article L. 5143-5 du code de la santé publique est effectuée après établissement d'un diagnostic vétérinaire dans les conditions fixées à l'article R. 242-43. / Dans les limites fixées par la loi, et en particulier par les dispositions des articles L. 5143-4, L. 5143-5 et L. 5143-6 du code de la santé publique, le vétérinaire est libre de ses prescriptions. (...) / Sa prescription est appropriée au cas considéré. Elle est guidée par le respect de la santé publique et la prise en compte de la santé et de la protection animales (...) ". Le 1° de l'article L. 5143-5 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige, mentionne les " médicaments vétérinaires contenant des substances prévues à l'article L. 5144-1, à l'exception des substances vénéneuses à doses ou concentrations trop faibles pour justifier de la soumission au régime de ces substances ". Le e) de l'article L. 5144-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, mentionne les " substances pharmacologiquement actives susceptibles de demeurer à l'état de résidus toxiques ou dangereux dans les denrées alimentaires d'origine animale et pour lesquelles une limite maximale de résidus est fixée dans le tableau 1 de l'annexe du règlement (UE) n° 37/2010 de la Commission du 22 décembre 2009 (...) ".

13. De troisième part, s'agissant des règles spécifiques applicables aux prescriptions de médicaments vétérinaires aux équidés, aux termes du paragraphe 2 de l'article 37 du règlement d'exécution (UE) 2015/262 de la Commission du 17 février 2015 établissant des règles conformément aux directives du Conseil 90/427/CEE et 2009/156/CE en ce qui concerne les méthodes d'identification des équidés (règlement sur le passeport équin) : " Avant tout traitement conformément à l'article 10, paragraphe 2, de la directive 2001/82/CE (...), le vétérinaire responsable (...) établit le statut de l'équidé : / a) comme animal destiné à l'abattage pour la consommation humaine, ce qui est le cas par défaut ; ou / b) comme animal non destiné à l'abattage pour la consommation humaine conformément à la section II, partie II, du document d'identification ", la possibilité, prévue par l'article 10 de cette directive et subordonnée aux conditions qu'il prévoit, de prescrire, à titre exceptionnel, à un équidé un médicament qui n'est autorisé que pour d'autres espèces n'étant ouverte que pour un équidé qui n'est pas destiné à l'abattage pour la consommation humaine.

14. De dernière part, s'agissant des mentions devant figurer sur une ordonnance, aux termes de l'article R. 242-45 du code rural et de la pêche maritime : " Rédaction de l'ordonnance. / L'ordonnance prévue à l'article L. 5143-5 du code de la santé publique est établie conformément à l'article R. 5141-111 de ce code. " Aux termes de l'article R. 5141-111 du code de la santé publique : " I.- Sans préjudice des dispositions applicables aux médicaments classés comme stupéfiants, toute prescription de médicaments mentionnés à l'article L. 5143-5, ainsi qu'au II de l'article L. 234-2 du code rural et de la pêche maritime, est rédigée, après un diagnostic vétérinaire, sur une ordonnance qui indique lisiblement " plusieurs mentions, notamment " les nom, prénom et adresse du vétérinaire, son numéro national d'inscription au tableau de l'ordre lorsqu'il est tenu de s'y inscrire et sa signature ", " les nom, prénom ou la raison sociale et l'adresse du détenteur des animaux " et " l'identification des animaux : l'espèce ainsi que l'âge et le sexe, le nom ou le numéro d'identification de l'animal ".

15. Il résulte de la plainte du président du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires et des pièces l'accompagnant que M. A... a rédigé et signé les 4 juin et 6 juillet 2016 des ordonnances par lesquelles il a prescrit des médicaments, notamment un médicament contenant des substances pharmacologiquement actives au sens des dispositions du e) de l'article L. 5144-1 du code de la santé publique citées au point 12, à une jument, sans avoir préalablement procédé à l'examen clinique de l'animal nécessaire à l'établissement d'un diagnostic - alors qu'il n'est pas établi qu'il exerçait dans le cadre prévu à la deuxième phrase du troisième alinéa de l'article R. 242-43 cité au point 11 -, ni vérifié que la jument n'était pas destinée à l'abattage pour la consommation humaine, en méconnaissance du paragraphe 2 de l'article 37 du règlement d'exécution (UE) 2015/262 cité au point 13. Il résulte également de l'instruction que ni l'une ni l'autre de ces ordonnances ne comportent certaines des mentions obligatoires prévues par les dispositions de l'article R. 5141-111 du code de la santé publique citées au point 14, à savoir le numéro national d'inscription au tableau de l'ordre du vétérinaire, l'adresse du propriétaire des animaux, l'âge, le sexe, le nom ou le numéro d'identification de l'animal. Ainsi, ces faits, établis matériellement et au demeurant non contestés par M. A... dans ses écritures, qui n'étaient pas atteints par la prescription de cinq ans fixée par l'article L. 242-6 du code rural et de la pêche maritime lorsque les poursuites disciplinaires ont été engagées, sont constitutifs d'un manquement aux obligations déontologiques des vétérinaires résultant des dispositions des articles R. 242-43, R. 242-44 et R. 242-45 de ce code citées aux points 11, 12 et 14.

16. En second lieu, aux termes du premier alinéa du XIII de l'article R. 242-33 du code rural et de la pêche maritime : " Le vétérinaire accomplit scrupuleusement, dans les meilleurs délais et conformément aux instructions reçues, les missions de service public dont il est chargé par l'autorité administrative. (...) ".

17. Il résulte de la plainte du président du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires et des pièces l'accompagnant que M. A..., en sa qualité de vétérinaire sanitaire au sens de l'article L. 203-1 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction applicable au litige, a procédé le 26 janvier 2018 à des opérations de prophylaxie collective sur les cheptels bovins d'un éleveur et qu'à cette occasion, il a fourni, pour plusieurs des animaux sur lesquels il a effectué des prélèvements sanguins en vue de dépister la rhinotrachéite infectieuse bovine en application de l'arrêté du 31 mai 2016 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt fixant des mesures de prévention, de surveillance et de lutte contre cette maladie, un numéro d'identification erroné, correspondant à des bovins ne se trouvant plus dans ces cheptels, dont certains pour lesquels ces prélèvements se sont au surplus révélés positifs. Ces agissements, commis dans le cadre de l'exécution d'une mission de service public, établis matériellement et au demeurant non contestés par M. A... dans ses écritures, qui n'étaient pas atteints par la prescription de cinq ans fixée par l'article L. 242-6 du code rural et de la pêche maritime lorsque les poursuites disciplinaires ont été engagées et ont eu pour effet de rendre inexploitables les résultats des prélèvements effectués et de contraindre l'éleveur à les faire réaliser de nouveau, à ses frais, constituent un manquement aux dispositions du premier alinéa du XIII de l'article R. 242-33 du code rural et de la pêche maritime citées au point précédent.

18. En revanche, les certificats rédigés par M. A... à l'issue de ces prélèvements n'ayant pas été produits à l'appui de la plainte et ne figurant pas davantage au dossier, le grief, également invoqué par le plaignant, tiré de la méconnaissance de l'article R. 242-38 du même code qui régit de tels certificats, ne peut être retenu.

En ce qui concerne la sanction :

19. Aux termes de l'article L. 242-7 du code rural et de la pêche maritime, le vétérinaire encourt, en cas de manquement aux règles déontologiques de la profession, les sanctions disciplinaires suivantes : " 1° L'avertissement ; / 2° La réprimande ; / 3° La suspension temporaire du droit d'exercer la profession pour une durée maximum de dix ans sur tout ou partie du territoire national, assortie ou non d'un sursis partiel ou total. Cette sanction entraîne l'inéligibilité de l'intéressé à un conseil de l'ordre pendant toute la durée de la suspension ; / 4° La radiation du tableau de l'ordre. / La chambre de discipline peut, à titre complémentaire, interdire à la personne sanctionnée de faire partie d'un conseil de l'ordre pendant un délai qui ne peut excéder dix ans. (...) ".

20. Les manquements relevés aux points 15 et 17 justifient le prononcé d'une sanction disciplinaire. Eu égard, d'une part, à leur nature et à leur gravité, d'autre part, à l'absence d'antécédents disciplinaires de l'intéressé, il y a lieu de prononcer à l'encontre de M. A... la sanction de la suspension du droit d'exercer sa profession sur tout le territoire national pendant une durée de dix-huit mois.

Sur les frais de l'instance :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : La décision du 10 janvier 2020 de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires est annulée en tant qu'elle inflige à M. A... la sanction de la suspension du droit d'exercer sa profession sur tout le territoire national pendant une durée de deux ans.

Article 2 : La sanction de la suspension du droit d'exercer la profession de vétérinaire sur tout le territoire national pendant une durée de dix-huit mois est infligée à M. A....

Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... et par le conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au conseil régional du Centre-Val-de-Loire de l'ordre des vétérinaires.

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des vétérinaires et à la ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 décembre 2024 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Rémy Schwartz, M. Jacques-Henri Stahl, M. Pierre Collin, présidents adjoints de la section du contentieux ; Mme Isabelle de Silva, M. Nicolas Boulouis, Mme Maud Vialettes, M. Bertrand Dacosta, Mme Gaëlle Dumortier, M. Olivier Japiot, M. Jean-Philippe Mochon, Mme Anne Egerszegi, M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre et Mme Camille Belloc, auditrice-rapporteure.

Rendu le 19 décembre 2024.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Camille Belloc

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Vella


Synthèse
Formation : Section
Numéro d'arrêt : 490952
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - RÈGLES GÉNÉRALES DE PROCÉDURE - DROIT DE SE TAIRE (ART - 9 DE LA DÉCLARATION DE 1789) [RJ1] – JURIDICTIONS DISCIPLINAIRES DE L’ORDRE ADMINISTRATIF – OBLIGATION D’INFORMER LA PERSONNE POURSUIVIE DE CE DROIT [RJ2] – 1) PORTÉE – 2) CONSÉQUENCES DE L’ABSENCE D’INFORMATION PRÉALABLE – A) LORS DE LA COMPARUTION À L’AUDIENCE – PRINCIPE – IRRÉGULARITÉ DE LA SANCTION – EXCEPTION – PERSONNE POURSUIVIE N’AYANT PAS TENU DE PROPOS SUSCEPTIBLES DE LUI PRÉJUDICIER [RJ3] – B) A L’AUDITION TENUE AU COURS DE L’INSTRUCTION – IMPOSSIBILITÉ POUR LA JURIDICTION DE SE FONDER SUR DES PROPOS DE LA PERSONNE AUDITIONNÉE 3) VÉTÉRINAIRES – APPLICATION À LA CONCILIATION (II DE L’ART - R - 242-95 DU CRPM) – ABSENCE.

37-03 De l’article 9 de la Déclaration de 1789 résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. ...Ces exigences impliquent qu’une personne faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’elle soit préalablement informée du droit qu’elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu’elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l’ordre administratif. ...1) A ce titre, elle doit être avisée qu’elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l’instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d’appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information....2) a) Il s’ensuit, d’une part, que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d’irrégularité si la personne comparaît à l’audience sans avoir été au préalable informée du droit qu’elle a de se taire, sauf s’il est établi que la personne poursuivie n’y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier....b) D’autre part, pour retenir que la personne poursuivie a commis des manquements et lui infliger une sanction, la juridiction disciplinaire ne peut, sans méconnaître les exigences mentionnées ci-dessus, se déterminer en se fondant sur les propos tenus par cette personne lors de son audition pendant l’instruction si elle n’avait pas été préalablement avisée du droit qu’elle avait de se taire à cette occasion....3) Le vétérinaire doit, dans le cadre des procédures disciplinaires engagées en vertu des dispositions du chapitre II du titre IV du livre II du code rural et de la pêche maritime (CRPM), être informé du droit qu’il a de se taire dans les conditions précisées ci-dessus. ...En revanche, une telle information n’a pas à lui être dispensée à l’occasion de la conciliation prévue par le II de l’article R. 242-95 du CRPM, eu égard à l’objet d’une telle conciliation et à ce que les propos qui y sont tenus ne sauraient être ultérieurement utilisés dans la procédure disciplinaire.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - DISCIPLINE PROFESSIONNELLE - PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS ORDINALES - DROIT DE SE TAIRE (ART - 9 DE LA DÉCLARATION DE 1789) [RJ1] – OBLIGATION D’INFORMER LA PERSONNE POURSUIVIE DE CE DROIT [RJ2] – 1) PORTÉE – 2) CONSÉQUENCES DE L’ABSENCE D’INFORMATION PRÉALABLE – A) LORS DE LA COMPARUTION À L’AUDIENCE – PRINCIPE – IRRÉGULARITÉ DE LA SANCTION – EXCEPTION – PERSONNE POURSUIVIE N’AYANT PAS TENU DE PROPOS SUSCEPTIBLES DE LUI PRÉJUDICIER [RJ3] – B) A L’AUDITION TENUE AU COURS DE L’INSTRUCTION – IMPOSSIBILITÉ POUR LA JURIDICTION DE SE FONDER SUR DES PROPOS DE LA PERSONNE AUDITIONNÉE 3) VÉTÉRINAIRES – APPLICATION À LA CONCILIATION (II DE L’ART - R - 242-95 DU CRPM) – ABSENCE.

55-04-01 De l’article 9 de la Déclaration de 1789 résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. ...Ces exigences impliquent qu’une personne faisant l’objet d’une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’elle soit préalablement informée du droit qu’elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu’elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l’ordre administratif. ...1) A ce titre, elle doit être avisée qu’elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l’instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d’appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information....2) a) Il s’ensuit, d’une part, que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d’irrégularité si la personne comparaît à l’audience sans avoir été au préalable informée du droit qu’elle a de se taire, sauf s’il est établi que la personne poursuivie n’y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier....b) D’autre part, pour retenir que la personne poursuivie a commis des manquements et lui infliger une sanction, la juridiction disciplinaire ne peut, sans méconnaître les exigences mentionnées ci-dessus, se déterminer en se fondant sur les propos tenus par cette personne lors de son audition pendant l’instruction si elle n’avait pas été préalablement avisée du droit qu’elle avait de se taire à cette occasion....3) Le vétérinaire doit, dans le cadre des procédures disciplinaires engagées en vertu des dispositions du chapitre II du titre IV du livre II du code rural et de la pêche maritime (CRPM), être informé du droit qu’il a de se taire dans les conditions précisées ci-dessus. ...En revanche, une telle information n’a pas à lui être dispensée à l’occasion de la conciliation prévue par le II de l’article R. 242-95 du CRPM, eu égard à l’objet d’une telle conciliation et à ce que les propos qui y sont tenus ne sauraient être ultérieurement utilisés dans la procédure disciplinaire.


Publications
Proposition de citation : CE, 19 déc. 2024, n° 490952
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Camille Belloc
Rapporteur public ?: M. Jean-François de Montgolfier
Avocat(s) : SCP SPINOSI ; CABINET ROUSSEAU, TAPIE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:490952.20241219
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