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18/12/2024 | FRANCE | N°475158

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 18 décembre 2024, 475158


Vu la procédure suivante :



Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 juin 2023 et 1er février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association française d'étude et de protection des poissons (AFEPP) demande au Conseil d'Etat :



1°) d'annuler la décision implicite du 17 juin 2023 par laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a refusé d'adopter, sur le fondement de l'article R. 436-8 du code de l'environnement, un arrêté interdisant la pêche pa

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 juin 2023 et 1er février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association française d'étude et de protection des poissons (AFEPP) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite du 17 juin 2023 par laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a refusé d'adopter, sur le fondement de l'article R. 436-8 du code de l'environnement, un arrêté interdisant la pêche par les pêcheurs de loisir de l'anguille d'Europe au stade d'anguille jaune, dans toutes les eaux douces du territoire métropolitain, et pour une durée de 5 ans ou, à tout le moins, pour une durée de 2 ans ;

2°) d'enjoindre au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires d'adopter un tel arrêté.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment la Charte de l'environnement à laquelle renvoie son Préambule ;

- l'accord du 24 septembre 1949 amendé portant création de la Commission générale des pêches pour la Méditerranée ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ;

- le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 ;

- le règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;

- le règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023 ;

- le règlement (UE) n° 2024/259 du Conseil du 10 janvier 2024 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la Fédération Nationale de pêche et de protection du milieu aquatique ;

Considérant ce qui suit :

1. Par une lettre du 14 avril 2023, l'Association française d'étude et de protection des poissons (AFEPP) a demandé au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires d'adopter, en application de l'article R. 436-8 du code de l'environnement, un arrêté interdisant la pêche récréative de l'anguille d'Europe au stade de l'anguille jaune, dans toutes les eaux douces du territoire métropolitain, et pour une durée de cinq ans ou, à tout le moins, pour une durée de deux ans. L'association requérante demande l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a refusé de faire droit à cette demande, et qu'il lui soit enjoint de prendre cet arrêté.

Sur les interventions :

2. L'association Défense des milieux aquatiques justifie d'un intérêt suffisant à demander l'annulation de la décision contestée. La Fédération Nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique justifie d'un intérêt suffisant à son maintien. Leurs interventions au soutien, respectivement, de la requête et des conclusions présentées en défense par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sont, par suite, recevables.

Sur l'étendue du litige :

3. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à une demande tendant à l'adoption d'une mesure déterminée, destinée à remédier à une illégalité alléguée par un requérant, réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de prendre cette mesure afin que cessent les atteintes illégales que son absence porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que s'il relève, à la date de sa décision, qu'une telle mesure a été prise, le juge de l'excès de pouvoir constate que la demande est devenue sans objet et qu'il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

4. Postérieurement à l'introduction de la requête, l'article 4 du règlement (UE) n° 2024/259 du Conseil du 10 janvier 2024 établissant pour 2024 les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques applicables en mer Méditerranée et en mer Noire, a interdit la pêche récréative de l'anguille européenne à tous les stades de développement dans les eaux saumâtres et les eaux douces des sous-régions géographiques CGPM 1 à 27, soit tous les bassins hydrographiques de la façade méditerranéenne. Cette interdiction s'applique immédiatement et le secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la mer et de la biodiversité, en a tiré les conséquences en rappelant, à l'article 5 de l'arrêté du 14 mars 2024 relatif aux périodes de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille jaune et d'anguille argentée en Méditerranée et dans les eaux douces des bassins Rhône-Méditerranée et Corse, que la pêche de loisir de l'anguille, à tous ses stades de développement, est interdite en domaine maritime méditerranéen en aval de la limite de la salure des eaux et dans les eaux définies à l'article L. 431-3 du code de l'environnement situées dans les bassins Rhône-Méditerranée et Corse. Par suite, les conclusions de la requête dirigées contre le refus d'interdire la pêche par les pêcheurs de loisir de l'anguille d'Europe au stade d'anguille jaune, dans toutes les eaux douces du territoire métropolitain, sont, en ce qui concerne les bassins hydrographiques de la façade méditerranéenne et pour l'année 2024, devenues sans objet.

Sur le cadre juridique applicable :

5. Aux termes de l'article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, qui en fixe les objectifs, cette dernière, notamment, " garantit que les activités de pêche et d'aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives économiques, sociales et en matière d'emploi et à contribuer à la sécurité de l'approvisionnement alimentaire, (...) applique l'approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l'exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d'obtenir le rendement maximal durable, (...) met en œuvre l'approche écosystémique de la gestion des pêches afin que les incidences négatives des activités de pêche sur l'écosystème marin soient réduites au minimum (...) ".

6. Le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes établit un cadre pour la protection et l'exploitation durable de cette espèce migratrice catadrome, se reproduisant dans la mer des Sargasses et grandissant dans les eaux douces européennes où elle passe en une dizaine d'années par trois stades de développement (anguille de moins de 12 centimètres également appelée civelle, anguille jaune et anguille argentée). Aux termes de l'article 2 de ce règlement : " (...) 3. Les États membres élaborent un plan de gestion de l'anguille pour chaque bassin hydrographique tel que défini au paragraphe 1. / 4. L'objectif de chaque plan de gestion est de réduire la mortalité anthropique afin d'assurer avec une grande probabilité un taux d'échappement vers la mer d'au moins 40 % de la biomasse d'anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d'échappement qui aurait été observé si le stock n'avait subi aucune influence anthropique. Le plan de gestion des anguilles est établi dans le but de réaliser cet objectif à long terme. / (...) 8. Le plan de gestion de l'anguille comprend, de manière non limitative, les mesures suivantes : / (...) / - la réduction de la pêche commerciale, / - la limitation de la pêche récréative, / (...) 9. Chaque plan de gestion de l'anguille contient le calendrier prévu pour atteindre l'objectif en matière de taux d'échappement fixé au paragraphe 4, selon une approche progressive et en fonction du taux de recrutement envisagé, et comprend les mesures qui seront appliquées à partir de la première année de mise en œuvre du plan de gestion (...) " et aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Sur la base d'une évaluation technique et scientifique effectuée par le comité scientifique, technique et économique de la pêche ou par un autre organisme scientifique approprié, le plan de gestion de l'anguille est approuvé par la Commission conformément à la procédure visée à l'article 30, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2371/2002. / 2. Les États membres mettent en œuvre les plans de gestion de l'anguille approuvés par la Commission, conformément au paragraphe 1, à partir du 1er juillet 2009, ou le plus tôt possible avant cette date. / (...) ". Sur le fondement de ces dispositions, la Commission européenne a approuvé le 15 février 2010 le plan de gestion de l'anguille présenté par la France, lequel énonce plusieurs objectifs intermédiaires (dits " de gestion ") dont, en ce qui concerne l'anguille jaune, pour les années 2015 et suivantes, une réduction de 60 % de la mortalité par pêche par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008.

7. Au titre des mesures prises pour l'application des règlements précités et destinées à atteindre les objectifs fixés par le plan de gestion établi en 2010, ont été adoptées des dispositions réglementaires, codifiées à l'article R. 436-65-4 du code de l'environnement, qui limitent la pêche de l'anguille jaune, en amont des limites transversales de la mer, à une période fixée pour chaque unité de gestion de l'anguille (UGA) par arrêté du ministre chargé de la pêche en eau douce et du ministre chargé de la pêche maritime et en subordonnent la pratique, par les pêcheurs professionnels et par les pêcheurs de loisir lorsqu'ils utilisent des engins ou des filets, à l'obtention d'une autorisation.

8. Enfin, l'article R. 436-8 du code de l'environnement dispose que : " (...) / Lorsque l'état de conservation d'une espèce le justifie, le ministre chargé de la pêche en eau douce peut, par arrêté, en interdire la pêche pendant une durée qu'il détermine ".

Sur la requête :

9. En premier lieu, aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ". Aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. (...) / (...) ".

10. D'une part, les dispositions précitées de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ayant été prises afin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics, l'association requérante ne saurait utilement invoquer, pour soutenir que le principe de participation aurait été méconnu lors de l'adoption de la décision attaquée, un moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 7 de la Charte de l'environnement. D'autre part et en tout état de cause, le principe de participation prévu tant par ces dispositions que par celles de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ne saurait utilement être invoqué à l'encontre de décisions refusant l'adoption d'un acte réglementaire. Par suite, l'association ne saurait utilement soutenir que la décision contestée méconnaîtrait les articles 7 de la Charte de l'environnement et L. 123-19-1 du code de l'environnement, en l'absence de participation du public pour son adoption.

11. En deuxième lieu, l'association requérante se prévaut d'une méconnaissance des recommandations de la Commission générale des pêches pour la Méditerranée référencées CGPM/42/2018/1 et CGPM/46/2023/16.

12. Aux termes de l'article III de l'accord du 24 septembre 1949 amendé portant création de la Commission générale des pêches pour la Méditerranée : " 1. La Commission a pour rôle de promouvoir le développement, la conservation, l'aménagement rationnel et la valorisation des ressources marines vivantes (...) et, à ces fins, elle s'acquitte des fonctions et assume les responsabilités ci-après : / (...) / b) élaborer et recommander, conformément aux dispositions de l'article V, des mesures appropriées : / i) concernant la conservation et l'aménagement rationnel des ressources marines vivantes, notamment en vue de : / (...) / - établir des périodes ou des zones d'autorisation ou d'interdiction de la pêche, / (...) ". L'article IV prévoit que " La Commission s'acquitte des fonctions et assume les responsabilités prévues à l'article III dans la Région précisée dans le préambule. ", c'est-à-dire la mer Méditerranée, la mer Noire et les eaux intermédiaires. L'article V prévoit, en son 2, que " Sous réserve des dispositions du présent article, les membres de la Commission s'engagent à appliquer toute recommandation formulée par la Commission conformément à l'article III, paragraphe 1, point b), à compter de la date arrêtée par la Commission, laquelle ne doit pas être fixée avant la fin de la période prévue dans le présent article pour la présentation d'objections. ", soit 120 jours. Il résulte de ces stipulations que la Commission générale des pêches pour la Méditerranée peut adopter des recommandations à l'endroit des parties à l'accord et que leur mise en œuvre, qui peut le cas échéant laisser une marge d'appréciation à ces mêmes parties, requiert l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers. Par suite, l'association requérante ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de telles recommandations, qui sont dépourvues d'effet direct.

13. En troisième lieu, l'association requérante soutient que le refus litigieux méconnaît les dispositions de l'article 13 du règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023 établissant, pour 2023, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l'Union et, pour les navires de pêche de l'Union, dans certaines eaux n'appartenant pas à l'Union, et établissant, pour 2023 et 2024 de telles possibilités de pêche pour certains stocks de poissons d'eau profonde, aux termes desquelles : " (...) 6. La pêche récréative de l'anguille d'Europe à tous les stades de développement est interdite ". Toutefois, ces dispositions, tout comme celles, qui s'y sont ultérieurement substituées pour les sous-zones CIEM 7 et 8 c'est-à-dire les eaux de la façade atlantique, de l'article 13 du règlement (UE) 2024/257 du Conseil du 10 janvier 2024 établissant, pour 2024, 2025 et 2026, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l'Union et, pour les navires de pêche de l'Union, dans certaines eaux n'appartenant pas à l'Union, ne s'appliquent qu'au domaine maritime et aux eaux saumâtres. L'interdiction qu'elles prévoient n'implique dès lors pas, par elle-même, que la même interdiction soit étendue à la pêche en eau douce.

14. En quatrième lieu, l'intervention du règlement n° 2024/259 du Conseil du 10 janvier 2024, mentionné au point 4, dont l'article 4 interdit la pêche récréative de l'anguille d'Europe, à tous les stades de développement, dans les bassins hydrographiques de la façade méditerranéenne, n'implique pas davantage, par elle-même, que la même interdiction soit étendue à la pêche en eau douce dans les autres bassins hydrographiques.

15. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 436-11 du code de l'environnement : " En ce qui concerne les cours d'eau et canaux affluant à la mer, des décrets en Conseil d'Etat règlent, pour la pêche en eau douce et pour la pêche maritime, d'une manière uniforme, les conditions dans lesquelles sont fixées pour les espèces vivant alternativement dans les eaux douces et dans les eaux salées : / 1° Les époques pendant lesquelles la pêche de ces espèces de poissons est interdite ; / 2° Les dimensions au-dessous desquelles la pêche de ces espèces de poissons est interdite ; / 3° Les mesures utiles à la reproduction, au développement, à la conservation et à la circulation de ces espèces ; / 4° La liste de celles dont le colportage et la vente sont interdits ; / 5° La liste de celles dont l'introduction est interdite ; / 6° Le nombre et la dimension des filets, engins et instruments de pêche dont l'usage est permis. ". L'article R. 436-44 du même code prévoit que : " Par exception à l'article L. 431-1 et en application de l'article L. 436-11, la présente section s'applique aux cours d'eau et aux canaux affluant à la mer, tant en amont de la limite de salure des eaux que dans leurs parties comprises entre cette limite et les limites transversales de la mer, à leurs affluents et sous-affluents ainsi qu'aux plans d'eau avec lesquels ils communiquent, dans la mesure où s'y trouvent des poissons migrateurs appartenant aux espèces suivantes : / (...) / 6° Anguille (Anguilla anguilla) ; / (...) ".

16. Contrairement à ce que soutient l'association requérante, si les dispositions citées au point précédent impliquent la définition d'un cadre commun pour la détermination des règles concernant les poissons amphihalins, que ces dernières concernent les eaux salées ou les eaux douces, elles n'imposent pas, par elles-mêmes, que soient définies des règles strictement identiques, dont d'éventuelles interdictions, pour la pêche dans les eaux salées et celle dans les eaux douces. Il n'en résulte donc pas davantage que l'interdiction de la pêche de loisir de l'anguille jaune en aval de la limite de salure des eaux doive être étendue en amont de cette limite.

17. En sixième lieu, l'association requérante fait valoir qu'en refusant de faire droit à sa demande, alors que la pêche de loisir de l'anguille jaune est insuffisamment encadrée et porte atteinte à l'état de conservation de l'espèce, le ministre a méconnu l'article L. 430-1 du code de l'environnement, aux termes duquel, notamment, le développement de la pêche de loisir doit se faire dans le respect des espèces piscicoles et du milieu aquatique, ainsi que l'article R. 436-8 du même code cité au point 8.

18. S'il appartient aux seules autorités compétentes de déterminer, parmi l'ensemble des mesures qui sont susceptibles d'être prises, celles qui sont les mieux à même d'assurer le respect des obligations qui leur incombent et si le refus de prendre une mesure déterminée ne saurait en principe être regardé comme entaché d'illégalité au seul motif que la mise en œuvre de cette mesure serait susceptible de concourir au respect de ces obligations, le refus de prendre une mesure déterminée est illégal dans l'hypothèse où l'édiction de cette mesure se révèle nécessaire au respect des obligations qui s'imposent aux autorités compétentes et où l'abstention de la prendre fait obstacle à ce qu'elles puissent être respectées.

19. Par suite, le ministre chargé de la pêche en eau douce ne saurait être tenu de prononcer une mesure d'interdiction de la pêche en eau douce de l'anguille sur le fondement des dispositions générales de l'article R. 436-8 du code de l'environnement, citées au point 8, que si l'ensemble des mesures spécifiques déjà en vigueur relatives à la gestion de l'anguille et destinées à atteindre les objectifs fixés par le plan de gestion établi en 2010, notamment celles prises sur le fondement de l'article R. 436-65-4 du même code, ne permettent pas de garantir l'état de conservation de l'espèce.

20. Il ressort des pièces du dossier que le stock d'anguille européenne a connu une forte diminution à partir de 1980 et que, depuis 2010, le recrutement se maintient à un niveau globalement stable mais très inférieur à celui qu'il atteignait avant 1980. L'espèce est classée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) comme étant en danger critique d'extinction. Les avis rendus par le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) relèvent que la population de l'espèce ne permet pas d'atteindre le rendement maximal durable. Alors que la finalité poursuivie par le règlement du 18 septembre 2007 est, en assurant la reconstitution du stock d'anguille européenne, tant de prévenir l'extinction de l'espèce que de permettre le retour à une exploitation durable, les évaluations réalisées par la Commission européenne et le CIEM constatent que les données disponibles sont insuffisantes pour établir que l'objectif fixé au 4 de son article 2, relatif à la biomasse d'anguilles argentées s'échappant vers la mer, serait atteint ou même en voie de l'être.

21. Toutefois, l'objectif énoncé dans le règlement constitue un objectif de long terme, dont l'atteinte dépend d'un ensemble de mesures qui ne se limite pas à la réglementation de la pêche de loisir des anguilles jaunes en eau douce, et inclut également certaines interdictions de pêche, le respect de quotas pour la pêche de la civelle, la limitation des zones et des périodes de pêche pour la pêche des anguilles à tous les stades de leur développement et diverses mesures destinées à réduire les autres facteurs de mortalité anthropique de l'anguille ainsi qu'à favoriser le repeuplement.

22. En ce qui concerne spécifiquement la contribution de la règlementation de la pêche de l'anguille jaune à l'atteinte de l'objectif énoncé dans le règlement, le plan de gestion de l'anguille en France fixe, ainsi qu'il a été dit plus haut, un objectif intermédiaire (dit " de gestion ") pour la mortalité par pêche de ces anguilles, à savoir à compter de 2015 une réduction de 60 % de leur taux d'exploitation, correspondant au rapport entre volume des captures et indice de recrutement, par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008. Pour soutenir que la pratique de la pêche de loisir n'est pas compatible avec l'atteinte de ces objectifs, l'AFEPP se borne à faire état de données selon lesquelles les captures d'anguilles jaunes par les pêcheurs amateurs à la ligne sur le domaine privé atteindraient 700 tonnes par an, soit 2,7 millions de spécimens, auxquelles il conviendrait d'ajouter les captures, non déterminées, effectuées sur le domaine public fluvial. Il ressort toutefois des pièces du dossier que cette estimation de 700 tonnes repose sur des données remontant à l'année 2005, alors qu'il n'est pas sérieusement contesté que le nombre de pêcheurs amateurs en zone fluviale, aux lignes ou avec des engins ou des filets, a baissé de manière significative depuis 2009, et que les données disponibles plus récentes et non sérieusement contestées relatives à l'UGA " Bretagne " attestent corrélativement d'une réduction conséquente du volume de captures pour cette UGA.

23. Dans ces conditions, en l'état des données disponibles, dont il ne ressort pas non plus qu'une insuffisance des mesures de protection mentionnées au point 21 rendrait impossible l'atteinte des objectifs prescrits par les règlements du 11 décembre 2013 et du 18 septembre 2007, il n'est pas établi qu'en refusant de faire droit à la demande d'interdiction temporaire de la pêche de loisir de l'anguille jaune en eau douce, le ministre aurait lui-même fait obstacle à l'atteinte de ces objectifs, lesquels sont de nature à assurer la conservation de l'espèce. L'association requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que la décision attaquée méconnaîtrait les dispositions précitées du code de l'environnement ou serait entachée, à cet égard, d'erreur d'appréciation.

24. En septième lieu, la circonstance que l'Etat n'aurait pas procédé à l'estimation, prévue par l'article 11 § 2 du règlement du 18 septembre 2007, du nombre de pêcheurs pratiquant la pêche récréative et de leurs captures d'anguilles est sans incidence sur la légalité du refus contesté.

25. En huitième lieu, en l'absence d'éléments circonstanciés accréditant l'hypothèse d'un risque autre que celui d'extinction de l'espèce, identifié et évalué, que les règlementations mentionnées au point 21 visent à prévenir, l'association Défense des Milieux Aquatiques n'est pas davantage fondée à soutenir que, pour parer à la réalisation d'un dommage grave et irréversible à l'environnement, les exigences résultant de l'article 5 de la Charte de l'environnement imposeraient l'adoption de mesures supplémentaires, telle que celle refusée par le ministre.

26. En dernier lieu, l'association requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que la consommation de l'anguille serait nocive pour la santé pour contester le refus opposé par le ministre de faire droit à sa demande d'adopter un arrêté sur le fondement de l'article R. 436-8 du code de l'environnement.

27. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, que les conclusions de la requête de l'AFEPP restant en litige doivent être rejetées, y compris ses conclusions à fin d'injonction.

D E C I D E :

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Article 1er : Les interventions de l'association Défense des Milieux Aquatiques et de la Fédération nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique sont admises.

Article 2 : Il n'a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation de la décision du ministre refusant d'interdire la pêche de loisir de l'anguille jaune en eau douce, en ce qui concerne les bassins hydrographiques de la façade méditerranéenne pour l'année 2024.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'Association française d'étude et de protection des poissons est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Association française d'étude et de protection des poissons, à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, à l'association Défense des Milieux Aquatiques et à la Fédération Nationale de la pêche et de la protection du milieu aquatique.

Délibéré à l'issue de la séance du 18 novembre 2024 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 18 décembre 2024.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 475158
Date de la décision : 18/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - DIFFÉRENTES CATÉGORIES D'ACTES - ACCORDS INTERNATIONAUX - APPLICABILITÉ - EFFET DIRECT – ABSENCE – RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION GÉNÉRALE DES PÊCHES POUR LA MÉDITERRANÉE.

01-01-02-01 Il résulte des articles III, IV et V de l’accord du 24 septembre 1949 amendé portant création de la Commission générale des pêches pour la Méditerranée que cette commission peut adopter des recommandations à l’endroit des parties à l’accord et que leur mise en œuvre, qui peut le cas échéant laisser une marge d’appréciation à ces mêmes parties, requiert l’intervention d’actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers. ...Par suite, un requérant ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de telles recommandations, qui sont dépourvues d’effet direct.

- RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION GÉNÉRALE DES PÊCHES POUR LA MÉDITERRANÉE – EFFET DIRECT – ABSENCE.

395-04 Il résulte des articles III, IV et V de l’accord du 24 septembre 1949 amendé portant création de la Commission générale des pêches pour la Méditerranée que cette commission peut adopter des recommandations à l’endroit des parties à l’accord et que leur mise en œuvre, qui peut le cas échéant laisser une marge d’appréciation à ces mêmes parties, requiert l’intervention d’actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers. ...Par suite, un requérant ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance de telles recommandations, qui sont dépourvues d’effet direct.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 déc. 2024, n° 475158
Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Muriel Deroc
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2024:475158.20241218
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