Vu les procédures suivantes :
1° Sous le numéro 473640, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 avril et 28 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Le Cercle Lafay demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la réponse apportée à la question n° 1 de la " foire aux questions " intitulée " Questions-réponses - Présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié ", publiée le 18 avril 2023 sur le site internet du ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le numéro 473680, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 avril et 31 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération générale du travail - Force ouvrière demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 sur la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié ainsi que la " foire aux questions " intitulée " Questions-réponses - Présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié ", publiée le 18 avril 2023 sur le site internet du ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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3° Sous le numéro 474392, par une requête, un mémoire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 22 mai, 8 juin et 24 novembre 2023 et le 31 janvier 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Alliance plasturgie et composites du futur demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la " foire aux questions " intitulée " Questions-réponses - Présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié ", publiée le 18 avril 2023 sur le site internet du ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion ;
2°) d'enjoindre au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion de publier une nouvelle " foire aux questions " corrigée des illégalités censurées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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4° Sous le numéro 475097, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 juin et 1er septembre 2023 et le 22 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des syndicats autonomes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 sur la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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5° Sous le numéro 475100, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 juin et 1er septembre 2023 et le 22 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des syndicats autonomes demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la " foire aux questions " intitulée " Questions-réponses - Présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié ", publiée le 18 avril 2023 sur le site internet du ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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6° Sous le numéro 475194, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 juin et 15 septembre 2023 et le 5 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération générale du travail, l'Union syndicale Solidaires et la Fédération syndicale unitaire demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 sur la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son premier protocole additionnel ;
- la convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à Me Haas, avocat de la Confédération générale du travail - Force ouvrière, à la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol, avocat du syndicat Alliance plasturgie et composites du futur, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, Goulet, avocat de l'Union nationale des syndicats autonomes et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Confédération générale du travail et autres ;
Considérant ce qui suit :
1. L'article L. 1237-1-1 du code du travail, issu de l'article 4 de la loi du 21 décembre 2022 portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, dispose que : " Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l'employeur, est présumé avoir démissionné à l'expiration de ce délai. / Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud'hommes. L'affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d'un mois à compter de sa saisine. / Le délai prévu au premier alinéa ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d'Etat. Ce décret détermine les modalités d'application du présent article. "
2. Par un décret du 17 avril 2023 sur la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié, le pouvoir réglementaire a déterminé les modalités d'application de cet article. Cette nouvelle procédure de présomption de démission a fait l'objet d'une " foire aux questions " intitulée " Questions-réponses - Présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié ", publiée le 18 avril 2023 sur le site internet du ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion. Les six requêtes visées ci-dessus, qui tendent à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 17 avril 2023 et de la " foire aux questions " précédemment mentionnée, présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 17 avril 2023 :
3. En premier lieu, en vertu du premier alinéa de l'article L. 1 du code du travail : " Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation. " Le décret attaqué, qui se borne, ainsi qu'il a été dit au point 2, à fixer les conditions d'application des dispositions législatives relatives à la présomption de démission en cas d'abandon de poste, n'a pas le caractère d'une réforme au sens de ces dispositions. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il aurait dû, en application du principe de participation des travailleurs énoncé par le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, faire l'objet d'une concertation préalable dans les conditions prévues par les dispositions de l'article L. 1 du code du travail ne peut qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, l'article 3 de la convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur définit le licenciement au sens de cette convention comme " la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur ", ce qui ne couvre pas les cas de démission volontaire. D'une part, la présomption de démission prévue au premier alinéa de l'article L. 1237-1-1 du code du travail cité au point 1 n'étant constituée que lorsque le salarié a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste dans le délai fixé par l'employeur, la cessation de la relation de travail susceptible d'en découler n'est pas à l'initiative de l'employeur. D'autre part, ainsi que le rappelle le décret en litige, l'abandon de poste ne peut pas revêtir un caractère volontaire lorsqu'il est justifié par un motif légitime " tel que, notamment, des raisons médicales, l'exercice du droit de retrait prévu à l'article L. 4131-1, l'exercice du droit de grève prévu à l'article L. 2511-1, le refus du salarié d'exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l'initiative de l'employeur ". La justification, par le salarié, de son absence pour un motif légitime est en conséquence, contrairement à ce que soutiennent les requérants, de nature à faire obstacle à la mise en œuvre de la présomption de démission. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article L. 1237-1-1 du code du travail et le décret en litige pris pour son application méconnaîtraient les stipulations de la convention internationale du travail n° 158, lesquelles s'attachent au seul licenciement, est inopérant.
5. En troisième lieu, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir que le décret en litige méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi ou celui de non-discrimination, le droit de propriété, le droit au respect des biens, le droit à l'existence d'un régime d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi, ainsi que les articles L. 1232-2 et suivants du code du travail et les articles L. 5422-1 et suivants du même code en ce que, selon leurs allégations, il laisserait à l'employeur la possibilité de procéder au licenciement pour motif personnel d'un salarié auquel la présomption de démission figurant à l'article L. 1237-1-1 du code du travail aurait pu être applicable, dès lors qu'il ne fait que mettre en œuvre cette présomption de démission prévue par la loi en cas d'abandon volontaire de poste par un salarié.
6. En quatrième lieu, cette présomption de démission est notamment subordonnée à l'absence de reprise du travail par le salarié après mise en demeure, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste dans le délai fixé par l'employeur. Ce délai ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d'Etat. En fixant ce délai minimum à quinze jours à compter de la date de présentation de la mise en demeure et non à compter de sa réception, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 1237-1-1 du code du travail ou l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.
7. En cinquième lieu, la mise en demeure adressée en application du premier alinéa de l'article L. 1237-1-1 du code du travail a pour objet de s'assurer du caractère volontaire de l'abandon de poste du salarié, en lui permettant de justifier son absence ou de reprendre le travail dans le délai fixé par l'employeur. Dès lors, pour que la démission du salarié puisse être présumée en application de ces dispositions, ce dernier doit nécessairement être informé, lors de la mise en demeure, des conséquences pouvant résulter de l'absence de reprise du travail sauf motif légitime justifiant son absence. La seule circonstance que le décret en litige ne le précise pas n'est toutefois pas de nature à l'entacher d'illégalité.
8. En dernier lieu, le décret n'avait pas, à peine d'illégalité, à préciser si la procédure de licenciement peut, ainsi qu'il a été dit au point 5, être engagée par l'employeur quand les conditions du premier alinéa de l'article L. 1237-1-1 du code du travail sont remplies, à prévoir que la mise en demeure avertisse le salarié, ainsi qu'il a été dit au point 7, des conséquences potentielles d'une absence de justification de son absence et d'une absence de reprise du travail dans le délai prescrit, ni à prévoir un délai minimal pour l'envoi de la mise en demeure, les conditions dans lesquelles la démission est constatée ou à préciser les conséquences de l'existence d'un motif légitime ou à déterminer l'office du juge dans cette hypothèse. Dès lors, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le décret en litige, faute de comporter ces précisions, serait entaché d' " incompétence négative " et porterait atteinte à l'effectivité du droit constitutionnel à l'existence d'un régime d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi, au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, au droit à un recours juridictionnel effectif et à un procès équitable et à l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
9. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret qu'ils attaquent.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la " foire aux questions " :
10. Il ressort des pièces des dossiers que la " foire aux questions " en litige a été mise en ligne sur le site internet du ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion le 18 avril 2023 et qu'elle en a été retirée en juin 2023. Si une nouvelle version de cette " foire aux questions " a été depuis lors mise en ligne sur ce même site internet, elle ne reprend pas les mentions dont la légalité est contestée. Le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion est fondé à soutenir qu'il n'y a, en conséquence, pas lieu de statuer sur les conclusions des requêtes tendant à son annulation, non plus que sur les conclusions tendant à ce qu'il lui soit enjoint de la remplacer par une nouvelle " foire aux questions ".
Sur les frais des instances :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans les présentes instances, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions des requêtes tendant à l'annulation de la " foire aux questions " intitulée " Questions-réponses - Présomption de démission en cas d'abandon de poste volontaire du salarié ".
Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Le Cercle Lafay, à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, au syndicat Alliance plasturgie et composites du futur, à l'Union nationale des syndicats autonomes, à la Confédération générale du travail, première dénommée, pour l'ensemble des requérants ayant présenté la requête n° 475194, et à la ministre du travail et de l'emploi.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2024 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Pierre Boussaroque conseillers d'Etat ; Mme Catherine Brouard Gallet, conseillère d'Etat en service extraordinaire et M. Eric Buge, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 18 décembre 2024.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Eric Buge
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly